Schistes : Josh Fox en Seine et Marne

« Mon premier film était sur le gaz qui met le feu aux maisons, celui-ci est sur l’industrie qui met le feu à notre démocratie. » Rencontre à Jouarre des militants franciliens contre les gaz et pétroles de schiste, avec Josh Fox, réalisateur de Gasland

Jeudi 5 septembre à Jouarre, à un kilomètre de la plateforme de forage de la Petite Brosse (coordonnées GPS: 48°52’51 N, 3°4’26 E), les membres du collectif fertois contre les gaz et pétroles de schiste sont impatients ! Ils attendent Josh Fox, réalisateur de Gasland et du tout récent Gasland II, dont il vient faire la tournée de promotion en Europe.

Les membres du collectif et les militants franciliens qui les ont rejoint sont émus de rencontrer le réalisateur du film sur lequel se sont appuyées les premières actions visant à sensibiliser le grand public et attirer l’attention sur les dangers de la fracturation hydraulique.

Une fois Josh arrivé et nourri, commence un jeu d’interviews croisées. Les journalistes interrogent Josh Fox, sur son nouveau film, sur sa relation aux militants pour qui son premier film a été un outil essentiel, sur une future sortie « officielle »… Les militants, eux, demandent des nouvelles du front étatsunien et l’avis de Josh sur les évolutions possibles des stratégies énergétiques et climatiques. Josh, lui, ne sait pas grand chose de la situation en France. Curieux, il cherche à comprendre le contexte politique. Une question le tracasse : « Mais votre président, Hollande, il a bien dit qu’il n’y aurait pas de fracturation sous son mandat !? »

Questions des journalistes sur le film. Josh nous explique qu’avec Gasland II il a voulu explorer plus à fond les questions que le dossier gaz et pétroles de schiste soulève sur les processus démocratiques : la facilité avec laquelle les compagnies pétrolières et de forage réussissent à contourner ces processus, les difficultés des citoyens à être réellement représentés à tous les niveaux politiques. « Le premier film était sur le gaz qui met le feu aux maisons, celui-ci est sur l’industrie qui met le feu à notre démocratie. » Selon Josh, la démocratie est devenu inefficace dans son rôle de représentativité et tant que nous ne sortons pas de l’ère des hydrocarbures, il en sera ainsi : les enjeux financiers et le pouvoir des pétroliers sont bien trop grands.

Mais la persévérance et l’application des militants à faire valoir les intérêts des citoyens et à mettre à jour la vérité sur les vrais impacts écologiques – bien plus graves que ce qu’on veut nous faire croire – et économiques – bien moins positifs que ce qu’on nous vante, nourrit l’espoir et amène des victoires…

Au fil de la discussion, les militants français et Josh découvrent que leurs territoires, la Seine et Marne et la Pennsylvanie, sont visés par la même compagnie : Hess Oil. Josh nous annonce joyeusement que dans son district, ils ont réussi à mettre Hess dehors ! Militants et citoyens touchés par les dégâts de la fracturation hydraulique ont créé un contexte politique défavorable aux activités de Hess. Une grande victoire pour ce territoire ! Et la question de Josh revient : « Mais vous, votre président Hollande, il s’est bien prononcé contre la fracturation hydraulique ? »

Et le contexte en France, alors ? 

A sa dernière intervention sur le sujet, le 14 juillet, le président a déclaré: « Tant que je suis président, il n’y aura pas d’exploration de gaz de schiste ». Cette déclaration a suscité bien des débats sur un possible lapsus avec le mot « exploitation ». On comprend pourquoi: vu la durée des phases d’exploration (permis pour 5 ans), et l’automaticité de fait du passage des permis exclusifs de recherche à des titres d’exploitations (concessions), les pétroliers veulent savoir ce qu’il y sous nos pieds et se tenir prêts… Pourtant la position de François Hollande est claire, il a déjà déclaré qu’il n’y aurait pas de fracturation hydraulique en France.

Le président a  laissé de côté la question du pétrole de schiste. Et c’est bien le pétrole de schiste, aussi appelé huile de roche mère, qui est visé par les prospecteurs en Seine et Marne. Détail intéressant, en attendant d’obtenir son titre d’exploitation, en phase de recherche, l’industriel a le droit de vendre les substances extraites ! Quelle différence alors entre l’exploitation et l’exploration? Les taxes : les produits sont bien moins taxés en phase de recherche qu’en phase d’exploitation…

Et si l’on considère la lourdeur des investissements pour le forage en phase de recherche (même technique qu’en phase d’exploitation), il peut devenir très coûteux pour l’Etat de ne pas attribuer systématiquement le permis d’exploitation. Les industriels ayant réalisé des investissements attendent un maximum de retours qui ne peuvent venir qu’avec la vente de tous les hydrocarbures visés… Ou des poursuites judiciaires qu’ils n’hésitent pas à lancer contre les Etats qui leur refuseraient les concessions après les avoir laissé prospecter ! CA des ventes ou indemnités, les pétroliers y trouvent toujours leur compte.

Et Josh tombe bien, l’actualité toute fraîche du dossier en France est brûlante. Si l’opinion publique, endormie par une loi qui interdit la fracturation hydraulique adoptée en 2011, ne s’inquiète pas plus que ça des dangers écologiques et économiques et des rapports de force en jeu, les militants eux sont sur le qui-vive.

Jusque là, les annonces politiques sous Sarkozy, comme sous Hollande, en défaveur du développement des activités schisteuses en France, sont des outils puissants pour les militants. Logiquement, leur action citoyenne se situe du côté des majorités successives qui sont d’accord sur ce dossier. Mais, suite à une « Question Prioritaire de Constitutionalité » posée par la société américaine Schuepbach relative à la loi Jacob du 13 juillet 2011, qui interdit la fracturation hydraulique en France, le Conseil Constitutionnel doit se prononcer: la loi Jacob sera-t-elle déclarée constitutionnelle ?

Le rapport de la QPC est attendu le 24 septembre et la décision du CC devra être prise avant le 10 octobre. Si la loi est jugée non constitutionnelle elle tombe, et si elle tombe, tous les arrêts fondés sur cette loi, annulations de permis, blocages et rejets de demandes, tombent automatiquement. Et ce malgré l’opposition affichée du gouvernement à l’exploitation des gaz de schiste.

Ce qui signifie que la foreuse de Jouarre, pourrait bien commencer à forer horizontalement (ce qu’elle fait peut-être déjà, c’est en fait difficile à vérifier) et à « stimuler » la roche par la fracturation hydraulique, avant de se déplacer pour forer ailleurs. Le permis qui concerne ce forage, dit « permis de Château Thierry », a été délivré pour un territoire d’une superficie de 779 kilomètres carrés environ. Sous nos pieds, bien avant la roche mère qui enferme, avant fracturation de manière étanche, le pétrole de schiste, une vaste nappe phréatique, qui alimente en eau potable l’Est du bassin parisien est menacée.

Ailleurs en France des permis ont été délivrés pour le gaz de couche, dernier avatar des explorateurs. Il se situe en dessous du gaz de houille ou gaz de mine des anciennes mines de charbon. Et il nécessite la fracturation hydraulique. Des centrales sont déjà en projet pour produire de l’électricité avec le gaz de mine, qui est extrait en phase un mais s’épuise rapidement. Il semble donc inévitable que le gaz de couche lui succède pour alimenter ces centrales…

Pour forcer la fracturation hydraulique malgré les réticences politiques, les compagnies ont donc une double stratégie de brouillage de pistes en jouant sur les mots: huile de roche mère, gaz de couche, gaz de mine, gaz de houille, gaz de schiste, pétrole de schiste, exploration, exploitation, recherche ; et de fait accompli – une fois les investissements engagés l’Etat a mieux fait de délivrer des permis que de subir des procès et payer des indemnités.

Si ces réticences sont réelles, alors les citoyens et militants qui veillent, luttent, étudient, demandent des comptes, ne font rien moins qu’aider l’Etat et ses gouvernements à mettre en oeuvre une volonté qui s’exprime au sein même de notre démocratie.

Et au fait quels sont les risques ?

La mobilisation est forte en Seine et Marne. Mais c’est en fait une grande partie de l’Est du bassin parisien dont l’eau potable risque d’être polluée. En plus des fuites inévitables sur les tubes de forage qui traversent de nombreuses couches géologiques, des nappes phréatiques de basse profondeur et d’autres en dessous, il faut s’attendre à des remontées des boues de forage dans ces mêmes nappes où est captée l’eau potable.

Autre conséquence incontrôlable : après la fracturation, c’est-à-dire l’envoi de liquide à très forte pression pour briser la roche mère et libérer le gaz et le pétrole prisonniers des couches de schiste auparavant étanches, la pression exercée provoque la migration des fluides de forage et de fracturation polluants vers des couches voisines et leur remontée par des failles naturelles ou des failles créées par la fracturation.

On sait de plus que la rencontre dans le sous-sol des éléments chimiques et radioactifs présents avec les composés chimiques contenus dans les fluides de forage et de fracturation donnera naissance à de nouveaux composés chimico-radioactifs qui peuvent eux-mêmes remonter par le puits de forage et migrer dans le sous-sol vers d’autres couches.

Avec une telle actualité, les occasions de nous exprimer sur le sujet et pour les Franciliens de réagir ne devraient pas manquer! 

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