Rapport, contes et mécomptes

Dans son rapport sur « l’alimentation en eau potable de la métropole du Grand Paris », publié le 7 février, la Cour des Comptes plaide pour un transfert de la compétence eau des établissements publics territoriaux à la métropole elle-même. Faisant preuve d’un penchant libéral certain, ce rapport minimise systématiquement les bénéfices de la gestion publique et les dérives financières du SEDIF pourtant dénoncées par la Chambre régionales des comptes en juillet 2017. Un exercice qui ne convainc pas les principaux acteurs de la gestion de l’eau (à l’exception notable de …M. Santini). Dans ce premier article, nous  commençons par …de drôles de comptes (de contes?) qui recouvrent des considérations très concrètes pour les usagers, s’agissant des tarifs mais aussi des investissements.

Le rapport s’efforce de montrer, d’une façon parfois  caricaturale, que le SEDIF fait tout mieux qu’Eau de Paris! Le SEDIF est plus grand, plus beau, plus fort, qu’on se le dise! Mais regardons de plus près…

Plus d’investissements, vraiment?

Ainsi le SEDIF consacrerait plus aux investissements qu’Eau de Paris qui serait en retard. Outre le fait qu’on peut discuter des investissements (Lire des investissements pourquoi faire? dans l’article Comment s’explique la différence de tarif entre Eau de paris et le SEDIF?), le raisonnement est trompeur. Il est indiqué (p449) que le SEDIF consacre 0,51€/m3 aux investissements contre 0,36€/m3 à Eau de Paris qui est ainsi battu à plates coutures, on vous l’avait bien dit! 42% de plus au SEDIF qu’à Eau de Paris. Mais il s’agit d’un trompe l’œil. Dans les deux cas, cela représente environ 24% du budget des deux organismes, le soi-disant avantage du SEDIF a donc disparu! Ramené aux réalités du terrain, le résultat est encore plus cruel. Le  rapport indique (p445) que le SEDIF possède un réseau quatre fois plus long que celui d’Eau de Paris. Deux fois plus d’investissements pour un réseau quatre fois plus important, le compte n’y est pas…

Une opération purement idéologique

Diviser le total des investissements par le nombre de mètres-cube produits pour obtenir un chiffre d’investissement par mètre-cube n’a, en fait, aucun sens. Il s’agit simplement de tromper les usagers et les élu-es en leur faisant croire que la cherté du tarifs du SEDIF aurait pour cause des  investissements supplémentaires, ce qui n’est pas le cas. Il est bien évident que sur un tarif de référence de 1,37€/m3 pour la partie eau de la facture, il n’y a pas 0,51€/m3 d’investissement comme essaie de le faire croire la présentation douteuse de la Cour des Comptes.

Divergences sur la convergence

Selon la Cour des Comptes, nous assisterions à une grande convergence des tarifs entre les principaux opérateurs (SEDIF, Eau de Paris et SEPG) ces dernières années. Là encore, le parti pris affiché résiste mal aux réalités…

S’il est vrai que le tarif du SEDIF a plutôt baissé ces dernières années, c’est sous le feu des critiques citoyennes. En 2008, l’UFC Que Choisir avait révélé l’ampleur de la surfacturation (de l’ordre de 40%) opérée. Pour faire passer malgré tout la pilule du renouvellement  du contrat du SEDIF avec Veolia, une baisse avait été consentie avec le nouveau contrat qui a démarré le 1er janvier 2011. Une baisse annulée en grande partie pour les locataires des immeubles où était en même temps instauré un tarif-multi-habitat (un abonnement par locataire). Rebelote avec la baisse du tarif consentie au 1er janvier 2017;  c’est l’inquiétude face à la possibilité de non-adhésion de certains territoires qui conduit le SEDIF à cette nouvelle baisse. Pour autant, la tendance n’est pas forcément à la baisse des tarifs dans les prochaines années. Le grand projet de M. Santini  consistant à connecter entre elles toutes les usines de production de la région parisienne aurait selon l’intéressé un coût de 500 à 700 millions d’euros. A cela va s’ajoute le surcoût de l’eau « adoucie » que le SEDIF expérimente actuellement dans une petite unité et qu’il souhaite généraliser.

Le tarif d’Eau de Paris surévalué

Du côté d’Eau de Paris, le tarif au contraire est surestimé. La Cour des Comptes considère qu’il est de 1,19€/m3 alors qu’il s’établit en réalité à 1,08€/m3. La différence provient du mode de calcul national qui reconstitue le prix du m3 sur la base du prix de l’eau HT auquel est ajouté le prix de l’abonnement annuel rapporté à une consommation de 120m3 pour une famille. Il est considéré qu’il y a un abonnement complet derrière chaque facture, ce qui est erroné en ce qui concerne Paris où il y a, en moyenne, 21 unités de consommation pour un abonnement ; d’où le calcul d’Eau de Paris qui ajoute 1/21 de la part abonnement ce qui donne 1,08 €/m3, abonnement compris, pour 120m3.

On ne peut pas faire le même calcul au SEDIF car même dans l’habitat collectif, il y a un tarif multi-habitat qui comprend un abonnement général de l’immeuble auquel s’ajoute un abonnement individuel par locataire.  Ajoutons que (pour un même diamètre de compteur à savoir 15mm) l’abonnement est de 13,93€ TTC par an à Eau de Paris et de 23,88€ TTC par an au SEDIF! (NB: tarifs 2017) Il en résulte que si l’abonnement est quasiment invisible pour les usagers parisiens, il pèse très lourdement sur les usagers de banlieue.

Les vrais tarifs du SEDIF

La part eau de la facture à 1,37€ HT au SEDIF est une aimable plaisanterie pour la plupart des banlieusard-es. Elle repose sur une consommation  de 120 m3/an, ce qui est loin des consommations réelles de la plupart des usagers. Prenons une personne âgée qui vit seule. Elle consommera 30 m3/an. Abonnement compris, elle paiera le tarif incroyable mais réel de 1,87 €/m3! 70% de plus que le tarif parisien! Considérons à présent un ménage de deux adultes et deux enfants, à 80 m3/an, son tarif s’établira à 1,45 €/m3. 32,4% de plus que le tarif parisien. N’en déplaise à la Cour des Comptes, la différence de tarif entre régie publique et délégation à Veolia reste un sujet de préoccupation légitime et majeure pour les usagers. (NB: tarifs 2017)

La Cour des Comptes contre la Chambre régionale des Comptes

Nous avions salué en juillet dernier le travail réalisé par la Chambre régionale des comptes d’Île-de-France qui analysait plutôt finement la différence de tarif entre le SEDIF et Eau de Paris.

« L’analyse réalisée par la chambre a identifié l’origine d’un certain nombre des surcoûts supportés par le Sedif : des différences structurelles surenchérissent ses coûts, notamment la plus faible densité de population sur son territoire qui impose un réseau plus étendu et plus coûteux à renouveler ainsi que les choix retenus en matière de politique d’investissements (+ 0,15 €) ; les charges liées à la gestion déléguée (+ 0,10 € de recettes pour le délégataire et de pilotage de la délégation) ou le régime fiscal auquel le service est soumis et qui ne s’applique pas aux régies  (+ 0,05 €). » Ainsi, pour la Chambre régionale des comptes, la moitié du surcoût constaté au SEDIF provient bien du choix de déléguer le service public à une entreprise privée! Ce qui constitue une évidence pour les tenants du retour à la gestion publique, est démontré par l’organisme de contrôle.

La Cour des Comptes (nationale) ramène toute la différence à une simple question de fiscalité (p448)! Et énonce clairement son présupposé idéologique: « en théorie, bien que les délégataires reçoivent une rémunération, la gestion par délégation est censée assurer de meilleures performances économiques » (p457). Il s’agit malheureusement d’une théorie dont on ne retrouve jamais les effets dans la pratique.

Le rapport ne peut toutefois pas complètement occulter la réalité et revient discrètement sur la dérive de la rémunération de Veolia (p457) et de façon plus appuyée sur l’épineuse question des frais de siège « affectés au service de l’eau sans justification et ne correspondant à aucune prestation rendue identifiée » (p458). La position affirmée est très claire: ces frais ne peuvent être à la charge du service de l’eau sans prestation réellement fournie et facturée. Mais alors que fait-on du passif de 2011 à 2016, soit six ans où ces frais ont été payés rubis sur l’ongle par le SEDIF sans le début du commencement d’une justification? On regarde ailleurs?

Au final, la démonstration laborieuse de la Cour des comptes ne convainc guère. Mais quelle vision de la gestion de l’eau à l’échelle de la métropole porte-t-elle? Et qu’en pensent les acteurs concernés ? C’est que nous verrons dans un prochain article…

A suivre

Lire le rapport de la Cour des Comptes

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