Paris augmente l’aide pour l’eau des plus démunis

 

En février 2016, à la suite d’un vœu relatif à la gratuité des premiers m3 d’eau formulé en 2014,  le Conseil de Paris a décidé d’attribuer une nouvelle aide pour l’eau potable[1] à près de 16 000 ménages parisiens démunis. Présentation du dispositif et commentaires de Henri Smets, Président de l’ADEDE, Coalition eau.

henri smets

Les bénéficiaires de cette nouvelle aide doivent avoir des revenus inférieurs ou égaux à 786 €/mois dans le cas d’un couple (RSA socle). Ils viennent en supplément  des 49 000  ménages parisiens qui reçoivent déjà une aide préventive (allocation de solidarité pour l’eau) et aux quelque 5 000 ménages qui reçoivent déjà une aide curative pour l’eau.  Comme le dit Célia Blauel, adjointe au Maire, avec le vote d’un budget additionnel de 238 000 € par an pour les aides nouvelles, Paris réaffirme « son engagement pour l’eau  pour tous ». Actuellement, personne à Paris ne manquera  d’eau parce qu’il existe déjà 1 200 points d’eau qui fournissent gratuitement de l’eau potable et qu’aucun logement à Paris ne subit plus une coupure d’eau en cas d’impayés. A titre préventif, des « plombiers solidaires » pourront même intervenir  pour identifier et réparer des fuites à charge du locataire.

Grâce à une politique de réduction des prix, le prix de l’eau à Paris (3.33 €/m3) est inférieur au prix moyen de l’eau en France (3.54 €/m3) et  l’eau n’est inabordable que pour un petit nombre de personnes. Si un couple parisien bénéficiaire du RSA Socle consacre 3%  de ses revenus à ses dépenses  d’eau (23.6 €/ mois), il aura après avoir payé l’abonnement  (1.8 €/mois  ou 21.75 €/an),  21.8 € par mois  pour payer l’eau.[2] S’il reçoit une aide de 1.2 € par mois, il disposera chaque mois de 23 €  pour acquérir 230 l d’eau par jour (6.9 m3 par mois). Dans ces conditions, l’eau peut être considérée comme étant d’un prix abordable puisque le plafond de 3% des revenus qu’un  couple démuni pourrait consacrer à l’eau  ne sera probablement pas atteint lorsqu’il aura payé sa consommation d’eau

  1. Une amélioration incontestable

La nouvelle aide représente en moyenne 15,2 € par an pour un ménage aidé  ou 1.2 €/mois. Sachant que le prix de l’eau à Paris est de 1,07 € TTC par m3, un couple aidé pourra ainsi disposer de près de 20  l d’eau potable par jour par personne sans avoir à payer le prix de la ressource elle-même. En revanche, il  devra couvrir l’abonnement, l’assainissement,  les redevances et les taxes. L’eau sera fournie « gratuitement »  dans la mesure où la nouvelle aide compensera le prix de la totalité de la partie « eau » dans le  prix de l’eau, ce qui représente une aide égale à 32.1%  du prix unitaire de la facture (3.33 €/m3 TTC). Cette aide limitée à 20 l par personne représente un « cadeau » ayant la valeur de  6.25 litres d’eau par jour par personne aidée. La présence de ce petit « cadeau » ne changera pas de beaucoup le niveau de vie du couple démuni puisque la consommation normale d’eau au domicile d’une personne démunie à Paris  est d’environ 90 litres par jour (33 m3/an).

  1. Un volume restreint d’eau à tarif réduit

Selon l’Exposé des motifs  joint à la délibération votée par le  Conseil de Paris, les besoins « vitaux » d’une personne seraient couverts avec 20 l  d’eau potable par jour (ou 7.3 m3 par an).  Cette affirmation inspirée par des études de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) menées dans des pays en développement ou dans des situations d‘urgence ou de guerre ne correspond pas du tout à la situation rencontrée dans des villes bien équipées de réseaux de distribution et d’assainissement. Avec 20 l d’eau potable par  jour, une personne peut se désaltérer, se nourrir  et se laver mais elle aura beaucoup de mal à maintenir propre son logement, à faire sa lessive et à utiliser ses toilettes.  De plus, elle ne pourra pas prendre une douche ou un bain. Si un distributeur se contentait de fournir un débit d’un litre d’eau par heure, il serait sûrement condamné par les tribunaux français. Si un propriétaire voulait louer un logement ne disposant que de 20 l d’eau par jour, il serait à juste titre poursuivi. Notons en passant que contrairement à ce qui est avancé dans l’Exposé des motifs, l’OMS n’a pas établi une « norme » de 20 l par jour par personne.

En fait, les travaux de  l’OMS indiquent qu’en période normale et en milieu urbain, il faut fournir entre 50 et 100 litres par jour et par personne pour satisfaire  les besoins  les plus basiques de la population et éviter la survenance de problèmes de santé. Pour le Centre d’information sur l’eau (France), « Pour vivre décemment, l’OMS précise qu’il faut 50 litres d’eau par jour et par personne ».  Cette quantité est très supérieure  aux 20 litres d’eau potable par jour et personne que Paris vient de s’engager à subventionner  dans le cas des  habitants les plus démunis.

Dans les pays développés, on considère généralement que les besoins essentiels en eau par personne dépassent 40 litres par jour ou 15 m3 par an. Lorsqu’une capitale instaure une première tranche à prix réduit ou même gratuite, elle  choisit comme plafond de la première tranche tarifaire au moins 15 m3 par an.  Il en est ainsi à Bruxelles, Madrid, Lisbonne, Rome, Athènes, Istanbul, Tunis, Alger et Rabat. A Bruxelles, par exemple, la première tranche dite « vitale » est de 15 m3 par personne et par an.

 En France, les municipalités ayant adopté le tarif progressif ont instauré  une première tranche de 15 m3 ou même plus. A Libourne, la première tranche « vitale » est de 15 m3/an. A Dunkerque, la tranche  dite « essentielle »  est de 75 m3/an par ménage, soit 36 m3 / an par unité de consommation pour un  ménage de 4 personnes. A Limay (Yvelines), la tranche « gratuite » est de 40 l par jour (15 m3/an) pour une consommation de 100 l par jour par personne et il n’y a aucune différence sur le volume d’eau « gratuit » selon le revenu de l’usager. L’exemple de Limay pourrait servir de source d’inspiration à d’autres municipalités surtout celles où le prix de l’eau est plutôt élevé.

Pourquoi Paris se distingue-t-il en instaurant une première tranche de seulement 7.3 m3 par an pour l’eau à tarif réduit dans le cas d’une personne seule et démunie? La question mérite d’être posée car plus de la moitié des ménages parisiens en situation de précarité sont constitués d’une seule personne. Ne serait-il pas envisageable de fixer à 40 litres par jour au lieu de 20 l,  la part aidée dans le cas d’une personne seule. ? Pour les ménages démunis de 2 personnes ou plus, on pourrait prévoir pour chaque personne supplémentaire au delà de la première personne un volume aidé supplémentaire de 20 litres par jour. [3]

  1. Une différence de traitement très surprenante

 Il semblerait  que les nouvelles aides pour l’eau potable qui seront données aux

15 682 usagers démunis nouvellement identifiés (15,2 € par an en moyenne) seront au moins quatre fois  plus faibles que celles actuellement distribuées pour l’eau de 49 000 ménages parisiens dans le cadre de l’aide au logement.[4] S’il en est ainsi, l’expérimentation menée à Paris dans le cadre de la loi Brottes conduira à instaurer un traitement différent  entre  des usagers aidés qui sont pourtant dans des situations économiques assez semblables (non respect du principe d’égalité d’accès aux services publics).

  1. CONCLUSION : LE DISPOSITIF PARISIEN D’AIDE PREVENTIVE POURRAIT SERVIR DE MODELE A D’AUTRES MUNICIPALITÉS

Paris est sans doute la ville française qui aide la plus grande proportion de sa population à avoir accès à l’eau potable grâce à un prix plus faible et aussi à un dispositif très complet d’aides préventives. La décision du Conseil de Paris en faveur de l’eau « gratuite » ou des nouvelles aides préventives reflète la volonté de faciliter l’accès à l’eau potable pour les plus démunis.

Paris pourrait toutefois  améliorer son nouveau  dispositif social en augmentant les réductions tarifaires au bénéfice des plus démunis. A cette fin, elle pourrait augmenter les aides préventives des personnes seules, introduire  une réduction  tarifaire pour l’assainissement, réduire la part fixe (abonnement) des ménages aidés et instaurer un tarif plus faible pour les usagers domestiques que pour les autres usagers  (tarif différencié).

 Même si des progrès restent à faire, Paris a fait un grand pas en reconnaissant  le besoin d’aider tous les usagers bénéficiant du  RSA Socle à disposer d’eau potable et en  votant les crédits nécessaires pour transformer un simple objectif en une réalité.

[1] 2016 DPE 18. Mise en œuvre d’une tarification sociale de l’eau. 15/2/2016.

[2] Si l’eau coûtait 4 € par m3 (au lieu de 3.33 € comme à Paris) et que l’abonnement est nul, le couple devrait consacrer 3.1% de ses revenus pour acquérir 200 l d’eau par jour. Une PPL N°3199 a été présentée par le député Michel  Lesage pour aider les usager démunis dans les zones de prix élevé de l’eau. Cette PPL présente un grand intérêt lorsque le prix dépasse 4.5 €/m3 TTC.

[3] Cette mesure pourrait être financée puisque le crédit de 238 000 € /an voté en 2016 pour deux ans ne sera pas complètement utilisé compte tenu du temps de mise en place et de l’ampleur probable des non-recours.

[4] Selon le RPQS de Paris (2013), 44 431 ménages ont bénéficié d’une aide préventive  de solidarité pour l’eau de la Ville de Paris (moyenne 70 €). De plus , le Fonds de solidarité pour le logement de Paris  a aidé 4 780 ménages à payer leurs factures d’eau dans l’ensemble des dépenses impayées de logement (moyenne 82 € d’aide curative) et  le volet eau du FSL a versé une aide « eau » à 6 bénéficiaires en 2013 (moyenne 318 € avec plafond de 400 €). L’aide additionnelle de 15.2 € par ménage démuni créée en février 2016 est très inférieure à l’aide fournie antérieurement sans qu’aucune justification particulière ne soit avancée.