Quand les affaires de l’eau entrent dans les prétoires…

Les  petites affaires et les grands principes, commentaire sur l’arrêt de la Cour d’appel de Nîmes du 9 février 2017  (la réduction de débit d’eau une nouvelle fois jugée illégale) et  sur les jugements du Tribunal d’instance de Limoges du 25 janvier 2017 (le droit à une eau de qualité). Dans cet article, Daniel Kuri,  Maître de conférences de droit privé, Université de Limoges (O.M.I.J.) EA 3177, met en évidence la construction d’une jurisprudence opposée aux réductions de débit d’eau et l’émergence du droit à une eau de qualité.

 

Décidément, les affaires d’eau commencent à entrer dans les prétoires….

On se souvient que déjà les juges limougeauds[1] avaient marqué les esprits en décidant que les réductions de débit d’eau pratiquées par les distributeurs d’eau, en raison de factures impayées, étaient illégales. Cette position est aujourd’hui partagée par la Cour d’appel de Nîmes. Celle-ci, dans un arrêt du 9 février 2017, a en effet jugé que la réduction du débit d’eau d’un abonné constituait un trouble manifestement illicite dont le juge des référés avait pu « ordonné à juste titre la cessation par le rétablissement sous astreinte du débit antérieur ».

On peut, donc, désormais, se demander s’il n’y a pas l’émergence d’un mouvement jurisprudentiel opposé aux réductions de débit d’eau ? (I).

Par ailleurs, il est intéressant de remarquer que  les juges de Limoges continuent la construction d’un droit de l’eau en considérant que celle-ci doit être de qualité (II).

Vers un mouvement jurisprudentiel opposé aux réductions de débit d’eau ?

On peut en effet se poser légitiment se poser la  question.

En effet, même si une hirondelle ne fait pas le printemps –  et un juge la jurisprudence –, il y a, à notre connaissance, quatre juridictions qui ont considéré que les réductions de débit d’eau effectuées par les fournisseurs d’eau n’étaient pas légales.

Il y a donc, peut-être, avec ce nouvel  arrêt de la Cour d’appel de Nîmes, l’ébauche d’un mouvement jurisprudentiel hostile aux réductions de débit d’eau.

Comme nous l’avions déjà souligné[2], révélateurs du retour de la grande misère, les contentieux relatifs aux paiements des factures d’eau se sont multipliés ces dernières années.
Les distributeurs d’eau ne pouvant plus, depuis la loi dite « Brottes » du 15 avril 2013[3], procéder à des coupures d’eau, ont donc cherché à contourner cette interdiction en procédant à des réductions de débit d’eau au sein du domicile des personnes en conflit avec eux[4].

Après la Cour d’appel de Limoges, le 15 septembre 2016[5],  la  Cour d’appel de Nîmes, dans un arrêt du 9 février 2017[6],  vient  à nouveau de juger cette pratique illicite.

La Cour, en l’espèce, confirme dans toutes ses dispositions l’ordonnance rendue le 18 mars 2016  par le président du Tribunal d’instance d’Avignon, en condamnant une nouvelle fois la Société Avignonnaise des Eaux (SAE)  pour une réduction du débit d’eau « par pastillage » effectuée par cette société au domicile de Madame R.

Quelques mots pour rappeler la genèse de cette affaire.

Les faits sont toujours les mêmes dans leur triste banalité. À la suite d’une facture du 8 décembre 2015, restée partiellement impayée, la Société Avignonnaise des Eaux avait procédé, le 8 mars 2016, à une réduction du débit du branchement d’eau au domicile de Madame R et Monsieur N.

Ceux-ci avaient alors assigné la Société Avignonnaise des Eaux devant le juge des référés du Tribunal d’instance d’Avignon pour obtenir notamment :

– la réouverture du branchement en eau et le rétablissement d’un débit normal sous astreinte de 100 € par jour de retard,

– l’interdiction à la Société Avignonnaise des Eaux de procéder à la coupure du branchement en eau sous astreinte de 100 € par jour de retard en cas de violation de cette interdiction, et ce pendant une durée de deux ans,

– la condamnation de la Société Avignonnaise des Eaux au paiement de la somme de 392 € au titre du préjudice matériel et 6 000 € à titre de provision au titre du préjudice moral,

– la condamnation de la Société Avignonnaise des Eaux au paiement de la somme de 2000 € au titre des frais irrépétibles en plus des entiers dépens.

Par ordonnance du 18 mars 2016, le juge des référés a rejeté les demandes de Monsieur N. en ce qu’il n’est pas titulaire du contrat de fourniture d’eau. Il a, par ailleurs, dit que la réduction du débit d’eau « par pastillage » effectuée par la Société Avignonnaise des Eaux au domicile de Madame R. constitue un trouble manifestement illicite  et  ordonné à la Société Avignonnaise des Eaux de procéder dans la journée du 19 mars 2016, au plus tard, au rétablissement du débit normal, sous astreinte de 100 € par jour de retard à compter du 20 mars 2016.

Le premier juge a enfin condamné la Société Avignonnaise des Eaux à verser à Madame R. la somme de 2500 € à titre de provision à valoir sur la réparation du préjudice subi et la somme de 2 000 € au titre des frais irrépétibles, ainsi que les entiers dépens.

Le tribunal a également condamné Madame R. à verser à la société Avignonnaise des Eaux une somme de 170 €, à titre de provision sur sa dernière facture.

La Société Avignonnaise des Eaux a relevé appel de ce jugement le 24 mars 2016.

– Elle demande tout d’abord à la Cour d’appel de transmettre à la Cour de cassation la question prioritaire de constitutionnalité suivante : « L’article L 115-3 du Code de l’action sociale et des familles et notamment la deuxième phrase du troisième alinéa, interprétée au regard des débats ayant présidé à l’adoption de la loi n° 2015-992 du 7 août 20I5 relative à la transition énergétique pour une croissance verte comme interdisant par principe les réductions du débit des branchements d’eau potable en cas d’impayés, est-elle conforme aux principes constitutionnels de liberté contractuelle et de liberté d’entreprendre ? ».

Elle soutient, à cet égard, que l’interdiction générale de toute réduction du débit du branchement d’eau potable porte une atteinte disproportionnée à la liberté contractuelle et à la liberté d’entreprendre.

Elle rappelle, également, que si dans sa décision du 29 mai 20l5 le Conseil Constitutionnel a jugé que l’atteinte portée à la liberté contractuelle et à la liberté d’entreprendre par l’interdiction d’interrompre la fourniture d’eau potable prévue par l’article L 115-3 du Code de l’action sociale et des familles (CASF) était justifiée au motif qu’elle participe à la mise en œuvre du droit à un logement décent, autre principe à valeur constitutionnelle, la question qui était posée au conseil constitutionnel ne portait que sur la seule  interruption de la fourniture d’eau et non sur la réduction du débit de celle-ci.

Elle ajoute que le Conseil constitutionnel s’est prononcé sur la conformité de l’article L l15-3 du code précité dans sa rédaction issue de la loi n° 2013-312 du 15 avril 2013 et non dans sa rédaction issue de la loi n° 2015-992 du 7 août 2015, que de surcroît seule la dernière phrase du 3ème  alinéa a été soumise au Conseil constitutionnel et non la deuxième phrase du 3ème  alinéa visée par la question prioritaire de constitutionnalité posée dans le cadre de la présente instance.

Sur le fond du droit, la Société Avignonnaise des Eaux sollicite, ensuite,  l’infirmation de l’ordonnance déférée en toutes ses dispositions sauf celles ayant rejeté les demandes de Monsieur N. et celles ayant condamné Madame R. à verser une provision sur de sa dernière facture de 170 €.

Elle demande à la Cour de rejeter l’ensemble des demandes de Madame R. et de Monsieur N. et de condamner Madame R. au paiement de la somme de 310,80 € au titre des factures impayées et  2000 € au titre des frais irrépétibles d’appel.

Elle considère que le premier juge a commis une erreur de droit en interprétant l’article L 115-3 du CASF comme  interdisant par principe la réduction du débit des branchements d’eau potable en cas d’impayés. Elle soutient aussi que s’il résulte des débats parlementaires qui ont précédé l’adoption de la loi n° 2015-992 du 7 août 2015 relative à la transition énergétique pour une croissance verte que le législateur a rejeté un amendement visant à autoriser les fournisseurs d’eau à réduire les débits d’eau potable en cas d’impayés, c’est essentiellement au motif d’un doute sur la faisabilité technique d’une telle mesure et non au motif qu’elle porterait atteinte par principe au droit à un logement décent.

La Société Avignonnaise des Eaux rappelle, à ce propos,  que selon l’article 3 du décret du 30 janvier 2002 relatif aux caractéristiques du logement décent le logement comporte notamment les éléments d’équipement et de confort suivants : «  […] une installation d’alimentation d’eau potable assurant la distribution avec une pression et un débit suffisants pour l’utilisation normale de ses locataires […] ».

Elle expose que dans le cas d’espèce le débit était de 15 litres par heure durant la période de réduction du débit d’eau et que la consommation entre le 8 et le 16 mars 2015 a été de 4 mètres cube, soit 4 000 litres, ce qui représente une consommation globale de 444 litres  par jour, proche de la consommation de 515 litres par jour relevée entre juillet et  décembre 2015. Par voie de conséquence, elle considère que la réduction du débit d’eau n’a pas privé Mme R. de son droit à un logement décent.

Madame R. et Monsieur N., quant à eux, s’opposent à la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité à la Cour de cassation et font valoir :

– que la question posée est mal fondée car la disposition contestée ne résulte pas de la loi du 7 août 2015,

– que la disposition contestée a déjà été déclarée conforme à la constitution dans les motifs de la décision du Conseil constitutionnel n° 2015-470 du 29 mai 2015,

– que la question est irrecevable et dépourvue de caractère sérieux.

Ils sollicitent la condamnation de la société Avignonnaise des Eaux au paiement de la somme de 2000 € au titre de l’article 700 du Code de procédure civile ainsi qu’à supporter  les  entiers dépens.

Au soutien de leur argumentation les intimés font valoir que le rejet de l’amendement proposé lors des débats portant sur l’adoption de la loi du 7 août 2015 traduit bien la volonté du législateur d’interdire aux fournisseurs d’eau potable le recours à des réductions de débit d’eau en cas d’impayés pour les familles en situation de précarité, et ce, non pas pour des raisons tenant à des doutes sur 1a faisabilité technique d’une telle mesure ainsi que le soutient à tort la société appelante, mais dans le souci de renforcer la garantie d’un accès à l’eau potable qui participe aux objectifs  constitutionnels du droit à un logement décent et au respect de la dignité humaine.

Sur le fond, Madame R. et Monsieur N. concluent à la confirmation de l’ordonnance sauf en ses dispositions ayant rejeté l’indemnisation du préjudice subi par Monsieur N. Ils  sollicitent la condamnation de la Société Avignonnaise des Eaux à leur verser 2500 € à titre de provision à valoir sur la réparation de leur préjudice et  5000 € au titre  de l’article 700 du Code de procédure civile ainsi qu’à supporter  les entiers dépens.

Les intimés  font valoir, notamment, que la réduction du débit d’eau les a privés d’un accès aux équipements leur permettant d’en faire un usage normal. Ainsi, la chaudière  était mise en sécurité à défaut de pression suffisante et il n’y avait donc plus de chauffage et d’eau chaude. De même la chasse d’eau ne fonctionnait plus  ainsi que la machine à laver !

Ils exposent,  également, qu’ils sont parents de deux enfants âgés de 2 et 3 ans et que lors de la réduction du débit, entre le 1er et le 10 mars 2016, la température  minimum des journées a oscillé entre 4,9° et -2,3°, que la mesure de réduction est assimilable  par son objet et ses effets à une coupure, qu’elle est attentatoire au droit à un logement décent et à la dignité humaine.

La Cour d’appel de Nîmes a  d’abord statué sur la question prioritaire de constitutionnalité (1)  puis a jugé sur le fond (2).

1) À propos de la question prioritaire de constitutionnalité, la Cour estime tout d’abord que la demande est recevable en la forme. S’agissant de la transmission de la question prioritaire de à la constitutionnalité à la Cour de cassation, la Cour rappelle que, en vertu de 1’article 23-2 de l’ordonnance du 7 novembre 1958, pour faire l’objet d’une transmission à la Cour de cassation trois conditions cumulatives doivent être réunies :

– la disposition législative contestée doit être applicable au litige ou à la procédure,

– elle ne doit pas déjà  avoir été déclarée conforme à la constitution dans les motifs  et 1e dispositif d’une décision du conseil constitutionnel,

– la demande de question prioritaire de constitutionnalité ne doit pas être dépourvue de caractère sérieux.

Puis, elle analyse la demande de  question prioritaire de constitutionnalité formulée par la Société Avignonnaise des Eaux en considérant qu’« En l’espèce c’est bien sur 1’article L 115-3 du Code de l’action sociale et des familles que Madame R. et Monsieur N. fondent leurs demandes, de sorte que ces dispositions sont bien applicables au litige ».

La Cour considère ensuite qu’ « il est constant » que par une décision du 29 mai 2015 le Conseil

constitutionnel a déclaré conformes à la Constitution les dispositions résultant de la dernière phase du 3ème alinéa de l’article L 115-3 du Code de l’action sociale et des familles dans sa rédaction issue de la loi n° 2013-312 du 15 avril 2013, selon lesquelles « Ces dispositions

s’appliquent aux distributeurs d’eau pour la distribution d’eau tout au long de l’année », en indiquant notamment que ces dispositions, en tant qu’e1les interdisent les interruptions de fourniture d’eau potable toute l’année ne portent pas une atteinte excessive à la liberté contractuelle et à la liberté d’entreprendre.

La Cour ajoute que l’article L 1l5-3 du code précité, dans sa version issue de la loi du 5 avril

2013, n’a été modifié par la loi du 17 août 2015 qu’en ce qui concerne la période d’interdiction d’interruption de fourniture d’électricité, de chaleur ou de gaz qui, initialement fixée du 1er  novembre au 15 mars a été étendue à la période du 1er novembre au 31 mars de l’année suivante.

Cette modification de la loi ne concerne pas les fournisseurs d’eau pour lesquels l’interdiction  s’applique toute l’année, de sorte que la portée de la décision précitée du Conseil constitutionnel reste inchangée.

La Cour relève cependant que la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par la Société Avignonnaise des Eaux porte sur la deuxième phrase du troisième alinéa de l’article L l15-3 du Code de l’action sociale et des familles selon lequel : « Les fournisseur d’électricité  peuvent néanmoins  procéder  à une réduction de puissance, sauf pour les consommateurs mentionnés à l’article L. 337-3 du Code de l’énergie », disposition qui n’a pas été soumise au Conseil constitutionnel [7].

Toutefois, selon la Cour, «  la question soulevée par la Société Avignonnaise des Eaux de la constitutionnalité de la 2ème  phrase de 1’alinéa 3 de l’article L 115-3 du Code de l’action sociale et des familles repose sur une interprétation de cet article à l’aune de débats parlementaires relatifs à la loi du 7 août 2015, dont l’appelante déduit une interdiction implicite et non conforme à la Constitution de la réduction du débit d’eau.

Dans ces conditions cette question prioritaire de constitutionnalité qui ne relève que  d’une interprétation de la loi par une partie à l’aune de débats parlementaires, et non du texte législatif en lui-même, ne présente pas un caractère sérieux et ne sera pas transmise à la Cour de cassation ».

Ainsi, la Cour évince la demande de question prioritaire de constitutionnalité pour absence de la  troisième condition prévue par 1’article 23-2 de l’ordonnance du 7 novembre 1958.

La question prioritaire de constitutionnalité qui porte sur l’interprétation d’une loi  par l’une des parties à l’occasion de discussions parlementaires sur une loi nouvelle  ne présente pas un caractère sérieux permettant sa transmission à la Cour de cassation.

De  façon plus concrète, le rejet d’un amendement  et les motifs de ce rejet ne peuvent faire l’objet d’une QPC[8].

Après avoir examiné et statué sur la question prioritaire de constitutionnalité soulevée  par la Société Avignonnaise des Eaux, la Cour d’appel a jugé sur le fond du droit la cause qui lui était soumise.

2) Sur le fond du droit, la Cour constate ab initio qu’en application de l’article 809 alinéa 1er  du Code de procédure civile, le président peut toujours, même en présence d’une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.

En l’espèce, la Cour d’appel relève qu’il n’est pas contesté qu’une facture d’un montant de 283,19 €  correspondant à la consommation d’eau du 2ème semestre 2015 a été émise par la Société Avignonnaise des Eaux le 8 décembre 2015 et n’a pas été honorée par Madame R. dans le délai qui lui était imparti. Après une lettre de mise en demeure du 26 janvier 2016, la Société

Avignonnaise des Eaux a informé Madame R. qu’à défaut de règlement intégral  de sa facture sous le délai  de 20 jours elle procéderait au recouvrement de la créance par toute voie de droit et a imposé une réduction du débit d’eau à compter du 8 mars 2016 par la pose d’une pastille sur le compteur.

Mme R. et Monsieur N. concluent à l’illégalité de la réduction du débit d’eau sur le fondement de l’article L 115-3 du Code de l’action sociale et des familles alors que la Société Avignonnaise des Eaux objecte que, contrairement aux coupures d’eau, la réduction du débit d’eau est autorisée par ces dispositions légales.

Après ce rappel des faits de la cause, la Cour souligne que l’article 1er du décret du 13 août 2008 relatif à la procédure applicable en cas d’impayés des factures d’électricité, de gaz, de chaleur et d’eau dispose à l’alinéa 1 de l’article 1 :

« Lorsqu’un consommateur d’électricité, de gaz, de chaleur ou d’eau n’a pas acquitté sa facture dans un délai de l4 jours après sa date d’émission ou à la date limite de paiement, lorsque cette date est postérieure, son fournisseur l’informe par un premier courrier qu’à défaut de règlement dans un délai supplémentaire de 15 jours sa fourniture pourra être réduite ou interrompue pour l’électricité, ou interrompue pour le gaz, la chaleur ou l’eau, sous réserve des dispositions du troisième alinéa de l’article L 115-3 du code de l’action sociale et des familles ». La Cour rappelle ensuite, en citant in extenso ce texte,  qu’en  application de l’alinéa 3 de l’article L 115-3 du code de l’action sociale et des familles : « Du 1er  novembre de chaque année au 3l mars de l’année suivante, les fournisseurs d’électricité, de chaleur, de gaz ne

peuvent procéder, dans une résidence principale, à l’interruption, y compris par résiliation de contrat, pour non-paiement des factures, de la fourniture d’électricité, de chaleur ou de gaz aux personnes ou familles. Les fournisseurs d’électricité peuvent néanmoins procéder à une réduction de puissance, sauf pour les consommateurs mentionnés à l’article L. 337-3 du Code de l’énergie. Un décret définit les modalités d’application du présent alinéa. Ces dispositions s’appliquent aux distributeurs d’eau pour la distribution d’eau tout au long de l’année[9] ».

La Cour conclut avec force qu’ « En vertu de ces dispositions les distributeurs d’eau ne peuvent interrompre la fourniture d’eau dans une résidence principale pendant toute l’année » en notant également que « S’il est expressément prévu par le texte la possibilité d’une réduction de puissance pour les fournisseurs d’électricité, une telle dérogation au principe de prohibition d’interruption  de fourniture n’est aucunement prévu pour la distribution d’eau dont la réduction n’est pas autorisée ». En conséquence, selon la Cour, « Ces dispositions qui, de façon explicite, ne prévoient la possibilité de réduction de fourniture que pour l’électricité, confortent l’analyse [selon laquelle la loi n’autorise pas la réduction de fourniture d’eau] ».

La Cour ajoute que « Sans rentrer dans le détail des débats parlementaires qui ont conduit au

rejet d’un amendement n° 109 relatif à l’article 60 bis A du projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte visant à compléter le troisième alinéa de l’article L 115-3 du CASF par une disposition prévoyant la possibilité de réduire le débit de la fourniture d’eau, sauf pour les personnes ou familles mentionnées au premier alinéa, les débats militent en faveur de l’analyse retenue par le premier juge selon laquelle il est en tout état de cause nécessaire de modifier la loi pour que la réduction de la distribution d’eau des résidences principales puisse être autorisée ».

Enfin, d’après la Cour, « En tout état de cause, plusieurs dispositions légales attestent d’un

renforcement d’un droit protecteur relatif à l’accès à l’eau potable. Les magistrats vont alors viser, en les citant expressément, plusieurs textes.

Ainsi, l’article 3 du décret du 30 janvier 2002 pris en application de l’article 6 de la loi du 6 juillet 1989, dispose qu’un logement décent doit être pourvu notamment d’une installation d’alimentation en eau potable assurant à l’intérieur du logement la distribution avec une pression et un débit suffisants pour l’utilisation normale de ses locataires. La Cour observe, à ce propos, que la décision du Conseil constitutionnel du 28 mai 2015 qui a déclaré conforme à la constitution l’interdiction d’interrompre la fourniture d’eau potable, bien qu’elle porte atteinte à la liberté contractuelle et à la liberté d’entreprendre (atteinte au principe de l’exception d’inexécution), était justifiée au motif qu’elle participe à la mise en œuvre  du droit à un logement décent, autre principe dont la valeur constitutionnelle a été rappelée.

De même, elle note l’extension  progressive et continue du domaine de l’article L 115 du CASF. La loi du 5 mars 2007 (dite « loi DALO ») a étendu l’interdiction de coupure d’eau à toute l’année. La loi du 15 avril 2013 (dite « loi Brottes ») l’a étendue à toute personne (et non plus seulement aux familles en difficultés bénéficiant du F.S.L.)[10].

La Cour va déduire de tout ce qu’elle vient d’évoquer qu’ « En considération des dispositions législatives en vigueur qui ne prévoient pas la possibilité d’une réduction de fourniture d’eau, au contraire de l’électricité, et en l’absence de norme réglementaire encadrant la technique du ‘‘ pastillage’’ et fixant un seuil de débit et de pression de nature à garantir la préservation du droit à caractère constitutionnel à un logement décent, le premier  juge doit être approuvé en ce qu’il a dit que la réduction du débit d’eau effectuée par la société Avignonnaise des Eaux au domicile de Madame R. constituait un trouble manifestement illicite dont il a ordonné à juste titre la cessation par le rétablissement sous astreinte du débit antérieur ».

Par ailleurs, la Cour refuse de prendre en compte[11] l’argumentation  de la Société Avignonnaise des Eaux  qui faisait état d’une consommation d’eau de 4000 litres par l’abonnée et sa famille (composée de quatre personnes) durant la période de réduction du 8 au 16 mars 2016, ce qui représente une consommation quotidienne de 444 litres par jour, consommation qu’elle estime supérieure au besoin d’une personne qu’elle évalue à 50 litres par jour, soit 200  litres par jour pour 4 personnes avec une consommation totale de 1800 litres si ces personnes consomment 200 litres sur 9 jours.

Elle considère, en effet,  que les intimés démontrent par la production d’un procès-verbal de constat d’huissier dressé le 16 mars 2016 que le débit d’eau était de 36 secondes 58 centièmes. Il s’en déduit qu’une douche nécessitant environ 60 litres d’eau pouvait être prise en 36 minutes, soit 2h40 pour les quatre personnes présentes au foyer. Les magistrats notent également que la réduction du débit a compromis le fonctionnement normal de la chaudière à gaz dans la  mesure où la puissance insuffisante  avait provoqué une mise en sécurité automatique de ce1le-ci, ayant pour conséquence que les personnes présentes dans le logement ne pouvaient bénéficier du chauffage et de l’eau chaude.

Ainsi, la Cour considère qu’ « Il résulte de l’ensemble de ces constatations que la réduction du débit d’eau en l’espèce ne peut être considérée comme ayant permis une utilisation normale de l’eau courante dans le logement pouvant satisfaire la condition relative au caractère décent de celui-ci »

Par ailleurs la Cour estime que « La restriction d’eau illicite a été dommageable pour Madame R. dont la bonne foi n’est pas mise en doute au regard du paiement partiel qu’elle avait effectué le 11 janvier 2016  à concurrence de 113,19 €, et dont la vie familiale a été perturbée tant sur un plan moral que matériel par la mesure imposée ». Elle approuve également le premier juge pour avoir « justement apprécié » le préjudice subi par Madame R. à la somme provisionnelle de 2 500 €. Elle relève, de même, que « Le contrat de fourniture d’eau du 22 janvier 2014 ayant été conclu par Madame R. avec la Société Avignonnaise des Eaux, c’est à bon droit que le premier juge a rejeté les demandes de Monsieur N. ».

Enfin, s’agissant de la facture d’un montant de 283,19 € émise par la Société Avignonnaise des  Eaux le 8  décembre 2015, Madame R. ayant réglé le 11 janvier 2016 un acompte de 111,10  €, c’est donc de façon justifiée que le juge des référés a condamné celle-ci à payer à la société appelante une provision de 170 € à valoir sur le règlement de cette facture. Ainsi, selon la Cour « Aucune des pièces produites par la société appelante ne permet d’établir le bien-fondé de sa demande portant sur la somme de 310,80 € ».

En conséquence, la Cour confirme l’ordonnance du juge des référés en toutes ses dispositions.

Elle « Rejette toute demande plus ample ou contraire des parties » et condamne la Société Avignonnaise des Eaux à payer à Maître Blanc, avocat de Madame R. bénéficiaire de l’aide juridictionnelle partielle, une somme  complémentaire  de 2 000 € au titre des frais irrépétibles d’appel.

La Cour condamne, enfin, la Société Avignonnaise des Eaux aux entiers dépens d’appel.

Ainsi, la Cour d’appel de Nîmes a rendu avec cette décision un arrêt important dans la construction d’un droit à l’eau[12].

On observera que si la Cour a fondé sa solution  en ayant notamment recours à l’article L 115-3  du CASF et « En considération des dispositions législatives en vigueur qui ne prévoient pas la possibilité d’une réduction de fourniture d’eau au contraire de l’électricité » –  comme l’avait déjà fait les juridictions  limougeaudes[13] –, elle a également invoqué de nouveaux arguments.

Ainsi, les magistrats considèrent  également que la réduction du débit d’eau effectuée par la société Avignonnaise des Eaux au domicile de Madame R. constituait un trouble manifestement illicite « en l’absence de norme réglementaire encadrant la technique du ‘‘pastillage’’ et fixant un seuil de débit et de pression de nature à garantir la préservation du droit à caractère constitutionnel à un logement décent ». L’absence de réglementation administrative en la matière est donc directement invoquée pour dire que le droit constitutionnel à un logement décent ne serait alors pas garanti. Ce  nouveau fondement, dans l’esprit de la Cour, est destiné à renforcer le fondement plus classique de l’article L 115-3 du CASF. Il ne signifie en aucun cas que la seule présence d’une  norme réglementaire encadrant la technique du « pastillage » et fixant un seuil de débit et de pression  serait de nature à garantir la préservation du droit à caractère constitutionnel à un logement décent. En réalité, dans ce motif, les magistrats dénoncent directement et en tant que telle la pratique non encadrée de la technique du « pastillage ».

On aurait aussi pu évoquer d’autres justifications pour interdire la réduction du débit d’eau.

Ainsi, la Cour d’appel de Limoges,  dans son arrêt du 15 septembre 2016,   avait  observé qu’une réponse ministérielle allait en ce sens[14].

Enfin, la même juridiction avait noté que « D’une manière plus générale, [l’interdiction de la réduction de la distribution d’eau] correspond à la tendance vers l’évolution d’un droit à l’eau potable ». La  Cour, à cet égard, n’avait pas hésité à affirmer que cette évolution vers « un droit à l’eau potable » s’est traduite  par la résolution de l’Assemblée  générale des Nations unies du 28 juillet 2010 qui reconnaît l’accès à l’eau comme étant un droit fondamental[15].

Comme nous l’avons déjà écrit en commentant l’arrêt limougeaud, on aurait aimé, à propos de ce principe du droit fondamental à l’accès à l’eau, trouver dans l’arrêt nîmois une motivation encore plus forte fondée notamment sur d’autres textes  européens voire internationaux.

Ainsi, devant la Cour d’appel de Limoges, l’avocate  des personnes victimes de la réduction de débit d’eau avait invoqué dans ses conclusions une résolution du Conseil des droits de l’homme adoptée le 30 septembre 2010[16]. De même, elle avait  rappelé que le Comité des Nations unies  pour les droits économiques, sociaux et culturels avait précisé, en 2002, le contenu du droit à l’eau à propos de la mise en œuvre du Pacte international relatifs aux droits économiques, sociaux et culturels du 19 décembre 1966. On peut, à cet égard, noter que le Pacte qualifiait l’eau d’« indispensable à la vie et à la santé » et affirmait que « le droit de l’être humain à l’eau est donc fondamental pour qu’il puisse vivre une vie saine et digne », avant de conclure « que c’est la condition préalable à la réalisation de tous les autres droits ».

Le Comité des Nation unies avait précisé que « les éléments constitutifs du droit à l’eau doivent être adéquats au regard de de la dignité humaine, de la vie et de la santé, conformément aux articles 11, § 1 et 12 du Pacte. La notion d’approvisionnement en eau adéquat doit être interprétée d’une manière compatible avec la dignité humaine, et non au sens étroit, en faisant simplement référence à des critères de volume et à des aspects techniques »[17].

On pourrait  également se souvenir que  l’Assemblée générale des Nations unies a adopté  le 18 décembre 2013 une  résolution intitulée «  Le droit de l’homme à l’eau potable et à l’assainissement »[18]. De même, lors du Sommet sur le développement durable de 2015, l’Assemblée générale des Nations unies a adopté le 25 septembre le  texte « Transformer notre monde : le Programme de développement durable à l’horizon 2030 » dont l’Objectif n° 6  est de « Garantir l’accès de tous à l’eau et l’assainissement et assurer une gestion durable des ressources en eau »  et notamment « 6.1. D’ici à 2030, assurer l’accès universel et équitable à l’eau potable, à un coût abordable »[19]. Dans le même sens que l’Assemblée Générale des Nations unies  ou le Comité, l’OMS, en partenariat avec l’UNICEF, s’est beaucoup investi dans le domaine de l’accès à l’eau dans le monde. Ces organisations  ont ainsi publié le 30 juin 2015 un rapport sur l’accès à l’eau et à l’assainissement[20].

On signalera également qu’au niveau du Conseil de l’Europe, la Charte européenne des ressources en eau adoptée le  17 octobre  2001[21] mentionne, quant à elle, dans son article 5, que  « toute personne a le droit de disposer d’une quantité d’eau suffisante pour satisfaire à ses besoins essentiels ». Enfin, on ajoutera que l’Union européenne a abordé la question de l’eau, mais d’abord du point de vue de l’écologie et du développement durable et non comme un droit fondamental de l’Homme[22].  Plus récemment, cependant, une initiative citoyenne européenne « Right2Water » portant sur le thème de « L’eau, un droit humain » a été adoptée par le Parlement européen[23].  Il faut toutefois  relever que le Parlement européen, très favorable à la reconnaissance d’un droit à l’eau, s’est heurté aux réticences de la Commission européenne[24].

Ainsi, tant au niveau international qu’européen, il  est régulièrement souligné que l’accès à l’eau est un droit fondamental, mais, comme  en France, il n’est pas précisé de façon concrète  quels sont les besoins vitaux de chaque individu ni comment  on peut concilier cet impératif avec les considérations d’ordre économique[25]. En définitive, et malgré leurs lacunes, les sources autres que nationales étaient nombreuses et la Cour d’appel nîmoise aurait pu, sur ce point, fortifier encore davantage l’autorité de sa décision.

Il n’en demeure pas moins qu’il est désormais possible de se demander s’il n’y a pas – avec ce nouvel arrêt qui n’a pas fait l’objet d’un pourvoi en cassation de la part de la Société Avignonnaise des Eaux – l’émergence d’un mouvement jurisprudentiel opposé aux réductions de débit d’eau ?

Outre cette interrogation, il est par ailleurs intéressant de remarquer que  les juges de Limoges continuent la construction d’un droit de l’eau en considérant que celle-ci doit être de qualité.

Le droit à une eau de qualité

Plusieurs particuliers, abonnés auprès de la Société VEOLIA EAU CGE, avaient saisi la justice, dans des procédures distinctes –  mais avec le même avocat –, pour dénoncer la mauvaise qualité de l’eau distribuée sur leur commune d’Azat-le-Ris et de Magnac-Laval en Haute-Vienne (87).

Les requérants demandaient le remboursement de sommes correspondant au coût de  l’eau en bouteille achetée pendant plusieurs années, pour pallier la mauvaise qualité de l’eau distribuée par VEOLIA. Le demandeur d’Azat-le-Ris, Monsieur G.,  sollicitait également des dommages et intérêts en réparation du trouble de jouissance et au titre du préjudice moral. Il demandait, par ailleurs, pour une SCI dont il était le gérant une réparation au titre du préjudice causé par la mauvaise exécution du contrat ainsi qu’une indemnisation sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile. Enfin, Monsieur G voulait voir la défenderesse condamner à supporter les dépens. Les demandeurs  de Magnac-Laval, Madame et Monsieur  E. R., sollicitaient une indemnisation au titre de la  réparation du trouble de jouissance et sur le fondement  de l’article 700 du Code de procédure civile. Ils demandaient également que VEOLIA soit condamnée à supporter les dépens de la procédure.

Pour les demandeurs, l’eau distribuée par  la Société VEOLIA « ne respecte pas  les prescriptions de l’article R. 1321-1 du Code de la santé publique (CSP) relatives aux limites de qualité, pas plus que celles de l’article R. 1321-3 du même Code imposant des références de qualité, comme l’ont montré les nombreuses analyses réalisées par l’Agence régionale de santé (ARS) […] ». Monsieur G. ajoutant, en ce qui le concerne,  que la défenderesse avait déjà été condamnée, par jugement  du 10 février 2014, à lui payer diverses sommes en raison des mêmes manquements relevés de 2005 à 2012.

Pour résister à ces demandes, la Société VEOLIA  soutenait que l’eau distribuée sur les communes d’Azat-le-Ris et de Magnac-Laval ne présentait aucun danger pour la santé et que « dès l’instant  que les limites de qualité étaient respectées, ce qui avait toujours été le cas, l’eau distribuée restait potable même si elle ne correspondait pas aux références de qualité, qui n’ont aucun caractère impératif, et visent seulement un objectif à atteindre ».  Elle soulignait, également, « qu’une eau peut être trouble, avoir une odeur et être parfaitement consommable d’un point de vue sanitaire ».

La Société VEOLIA estimait, d’autre part, que les analyses de l’ARS produites par les demandeurs et faisant apparaître un dépassement des références de qualité ne concernaient que très partiellement leurs communes respectives et qu’en conséquence la preuve des dépassements allégués n’étaient pas rapportée.

La Société VEOLIA considérait, enfin,  à titre subsidiaire, que les demandeurs ne rapportaient pas la preuve de l’achat de bouteilles d’eau et qu’en tout cas la consommation alléguée (3 litres par jour et par adulte était largement exagérée ainsi que le prix au litre de cette eau.

Pour ces différentes raisons, la Société VEOLIA  avait sollicité le rejet des demandes de Monsieur G. et Madame et Monsieur  E. R. et leur condamnation à lui payer une somme des 500 euros sur le fondement  de l’article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu’à supporter les dépens.

Le Tribunal,  dans  deux jugements rendus le 25 janvier 2017[26],  a considéré qu’ « en application des dispositions combinées du Code civil (article 1603) et du CSP (article R. 1321-3), l’eau fournie par la Société VEOLIA doit à la fois  être conforme aux limites de qualité, et  satisfaire  aux références de qualité[27]  telles que fixées par arrêté ministériel ».

Le juge  a, pour cela, fortement  pris en compte les analyses de l’ARS en utilisant une  formulation identique dans les deux affaires.

Selon le juge, « il résulte des pièces versées que de nombreuses analyses de l’ARS […]   ont mis en évidence, pour les communes  alimentées par la station de Beyssat, parmi lesquelles [figurent] Azat-le-Ris [et Magnac-Laval], un non-respect des références de qualité de l’eau distribuée sur divers paramètres […] ; que chacune de ces analyses mentionne à la rubrique  ‘‘ conclusion sanitaire’’ : ‘‘ eau ne respectant pas les exigences de qualité des eaux destinées à la consommation  humaine pour le paramètre X…’’ ». Le juge précise, à ce propos, que « le terme ‘‘ exigences ’’   appliqué aux   références de qualité souligne, s’il en était besoin, l’impérieuse nécessité  de respecter ces références ».  

Ce motif est particulièrement ferme et cinglant pour la  Société VEOLIA  à qui  le juge rappelle qu’elle a l’impérieuse  nécessité de respecter ces références de qualité dans la mesure où ces eaux sont destinées à la consommation humaine.

Ainsi, le juge limougeaud ne va pas hésiter à créer le droit, à partir des analyses mais surtout de  la  « conclusion sanitaire » faite par l’ARS, en considérant qu’il y a  un véritable impératif sanitaire à respecter les références de qualité.  Les références de qualité ne correspondent  donc pas seulement à un «  objectif à atteindre », comme le prétendait la Société VEOLIA, mais à des « exigences de qualité » que ce distributeur doit satisfaire impérativement.

Par ailleurs, le juge relève, que dans les deux affaires, les rapports annuels de VEOLIA reconnaissaient des dépassements de limites de qualité et des dépassements de références de qualité.

Enfin, il est indifférent que les analyses faisant apparaître un non-respect  des exigences de qualité  correspondent non à des prélèvements réalisés sur Azat-le-Ris et  Magnac-Laval, mais sur d’autres communes du réseau, dès lors que les 22 communes concernées sont toutes alimentées par la station de Beyssat.

Ainsi, selon le Tribunal, dans ses deux jugements, «  […] il est donc établi que sur la période considérée […], le fournisseur d’eau n’a pas respecté [ses obligations], et que les utilisateurs ont pu légitimement renoncer à consommer l’eau du robinet et se tourner vers l’eau en bouteilles ».

Madame et Monsieur  E. R. ainsi que Monsieur G. sont donc bien fondés, selon le Tribunal, à demander réparation de leur préjudice.

Le Tribunal  considère toutefois que la SCI du Limousin – dont le gérant était Monsieur G. – « qui n’affectait l’eau qu’à des usages autres que l’alimentation humaine, et pour lesquels cette eau restait adaptée, ne peut se plaindre d’un quelconque préjudice lié au non-respect des normes ». Le juge rejette en conséquence sa demande de dommages-intérêts.

Puis, appliquant les dispositions de l’article 696 du Code de procédure civile, le Tribunal condamne la Société VEOLIA aux dépens.

Enfin, estimant qu’il serait inéquitable de laisser aux demandeurs la charge des frais non compris dans les dépens, le Tribunal condamne la Société VEOLIA à payer à  la SCI du Limousin et à Madame et Monsieur  E. R. une somme de 1000 euros sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile.

Ainsi, on le constate bien, le fil d’Ariane du raisonnement du juge d’instance limougeaud est que  l’eau fournie par la Société VEOLIA ou tout distributeur  doit à la fois être conforme aux limites de qualité, et  satisfaire  aux références de qualité. Il s’agit d’un cumul de conditions  que le juge fonde sur le fait que l’eau est destinée à l’alimentation humaine. Ainsi, à défaut de respecter  « les exigences de qualité des eaux destinées à la consommation  humaine », les fournisseurs d’eau pourront engager leurs responsabilités  et  être condamnés en justice.

En définitive, le juge n’a fait que rappeler,  à l’occasion de cette affaire, la classique obligation de délivrance, de l’article 1603 du Code civil, selon laquelle le contractant doit délivrer un produit conforme  à son usage, en l’espèce la consommation humaine.

« Victoire du pot de terre contre le pot de fer » selon la presse locale[28], l’action  courageuse des demandeurs met en exergue un problème sanitaire particulièrement important et peut, nous l’espérons, pousser d’autres particuliers à agir de la même façon.

Comme nous l’avons déjà souligné[29], au-delà de ce souhait et des solutions issues du droit positif, peut-être faudrait-il – et le débat actuel sur les biens communs nous y invite – reconsidérer la question de l’eau et du droit à celle-ci en prenant  en compte dans l’aspect économique de la fourniture d’eau que l’eau – de qualité – est un besoin essentiel de l’individu. Dans cet esprit, le droit à une eau  propre à la consommation humaine pourrait alors être garanti pour toute personne, à la fois  par la précision des besoins vitaux de chaque individu, mais aussi par l’adoption d’une tarification progressive qui offrirait la gratuité des premiers mètres-cubes d’eaux dits « vitaux »[30].


[1] TI de Limoges, 6 janvier 2016 (voir à propos de ce jugement notre  article « La  petite affaire et les grands principes ou la réduction d’eau jugée illégale, commentaire sur le jugement du Tribunal d’instance  de Limoges du 6 janvier 2016 », site lagbd),  confirmé par CA de Limoges,  15 septembre 2016 (voir à ce sujet notre article, «  La  petite affaire et les grands principes ou la réduction du débit d’eau une nouvelle fois jugée illégale, commentaire sur l’arrêt de la Cour d’appel de Limoges du 15 septembre 2016 », site lagbd).

[2] Voir nos  articles précités.

[3] Loi n° 2013-312 du 15 avril 2013 visant à préparer la transition vers un système énergétique sobre et portant diverses dispositions sur la tarification de l’eau et sur les éoliennes. Cette loi, dans son article 19, interdit à tout distributeur de couper l’alimentation en eau dans une résidence principale même en cas d’impayé et cela tout au long de l’année. C’est le même texte qui a institué aussi  le principe de trêve hivernale pour l’électricité et le gaz,  au bénéfice de tous les consommateurs sans distinction de revenus. Le décret n° 2014-274 du 27 février 2014 modifiant le décret n° 2008-780 du 13 août 2008 relatif à la procédure applicable en cas d’impayés des factures d’électricité, de gaz, de chaleur et d’eau, pris pour l’application de l’article 19  de la loi précitée, de l’aveu de plusieurs commentateurs, n’a donné aucune explication concernant la portée de la disposition législative sur les coupures d’eau, voir en ce sens https:// eau-iledefrance/les-coupures-deau-pour-impayes-sont-illegales/ pour qui  « Le décret a d’ailleurs été rédigé de manière à ne pas dire que les coupures d’eau sont désormais interdites ou qu’elles sont autorisées dans certains cas. Ceci résulte du fait que la disposition législative est parfaitement claire : la loi exclut toutes les coupures sans prévoir d’exception ».

L’article 19 a lui-même été intégré dans l’article L. 115-3 du Code de l’action sociale et des familles.

[4] La Coordination Eau Île-de-France estime, à ce propos, que « Le décret du 27 février 2014 n’autorise pas les réductions de débit pour l’eau et doit être interprété comme excluant cette possibilité. De toute façon, depuis 2008, ces réductions étaient devenues totalement illégales », https:// eau-iledefrance.

[5] C. Zarb, « Le débit d’eau réduit de nouveau jugé illicite », Le Populaire du Centre, 29 septembre 2016, p. 4. L’arrêt peut être consulté et téléchargé sur le site de la Coordination Eau Île-de-France, https:// eau-iledefrance. Nous remercions par ailleurs Nathalie Guyomarch, Avocate au Barreau de Paris, SCP Faro & Gozlan, pour l’envoi de ses conclusions. La Cour a adhéré à celles-ci, aussi bien  en qui concerne  le  raisonnement juridique tenu à propos de l’articulation des textes pertinents sur la question, que pour  les calculs effectués afin de démontrer, à partir du constat d’huissier produit par la SAUR, l’indigence à confondre volume et débit dans  cette affaire.

[6] Arrêt du 9 février 2017, R.G. : 16/011334, Société Avignonnaise des Eaux c/ Roméo Nefzaoui. Nous remercions le Collectif de l’Eau-Usagers d’Avignon (collectif.eau@gmail.com) de nous avoir communiqué l’arrêt de la Cour ainsi que divers autres documents sur cette affaire.

[7] « Ce dont il résulte que la seconde condition énoncée par 1’ article 23-2 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 est réunie ».

[8] Rappelons que selon la Société, s’il résultait  des débats parlementaires qui ont précédé l’adoption de la loi n° 2015-992 du 7 août 2015 relative à la transition énergétique pour une croissance verte que le législateur a rejeté un amendement visant à autoriser les fournisseurs d’eau à réduire les débits d’eau potable en cas d’impayés, c’était essentiellement au motif d’un doute sur la faisabilité technique d’une telle mesure et non au motif qu’elle porterait atteinte par principe au droit à un logement décent.

[9] Souligné par nous.

[10] La Cour sur cette question du domaine de l’article L 115 du CASF reprend, à la lettre près, le motif de la Cour d’appel de Limoges selon lequel « la loi du 5 mars 2007 (loi DALO)  a étendu l’interdiction à toute l’année, la loi du 15 avril 2013 (dite loi Brottes) l’a étendue à toute personne (et non plus seulement aux familles en difficultés bénéficiant du F.S.I.) ».

[11] « Il sera relevé surabondamment » dit la Cour à propos de l’argumentation de la Société Avignonnaise des Eaux qu’elle va réfuter.

[12] Signe de l’extrême tension sur les questions relatives à la distribution de l’eau, à la suite d’un communiqué du  Collectif de l’Eau-Usagers d’Avignon du 11 février 2017 se félicitant de l’arrêt et mettant en cause l’attitude des « politiques [qui], au mépris des jugements rendus, ont ouvertement soutenu la société au détriment des usagers alors même qu’elle avait été condamnée pour s’être enrichie sans cause sur leur dos », la communauté d’agglomération du Grand Avignon répliqua au Collectif  le 22 février 2017. Le Collectif fit lui-même, le 22 février 2017, une réponse au communiqué de  la communauté d’agglomération du Grand Avignon. Nous tenons à la disposition de tout lecteur intéressé ce dossier que l’on peut demander également au Collectif  (Collectif.eau@gmail.com).

Selon le Collectif, la communauté d’agglomération du Grand Avignon refuse également  de modifier le règlement  de service contenant les possibilités de coupures d’eau.

[13] TI de Limoges, 6 janvier 2016, voir à propos de ce jugement notre commentaire, « La  petite affaire et les grands principes ou la réduction d’eau jugée illégale, commentaire sur le jugement du Tribunal d’instance  de Limoges du 6 janvier 2016 », site lagbd ; également CA de Limoges, 15 septembre 2016, qui confirme ce jugement,                      D. Kuri, « La petite affaire et les grands principes ou la réduction du débit d’eau une nouvelle fois jugée illégale, commentaire sur l’arrêt de la Cour d’appel de Limoges du 15 septembre 2016 », site lagbd).  L’arrêt peut être consulté et téléchargé sur le site de la Coordination Eau Île-de-France, https: // eau-iledefrance.

[14] Réponse du Ministre du Logement sur question 91628 du 8 décembre 2015, J.O.A.N, 10 mai 2016.

[15] Résolution n° 64/ 492 du 28 juillet 2010, « Le droit de l’homme à l’eau et à l’assainissement », de l’Assemblée générale des Nations unies qui reconnaît l’accès à l’eau comme étant « un droit fondamental, essentiel au plein exercice du droit à la vie et de tous les droits de l’homme ».

[16] Résolution n° 15/9 du 30 septembre 2010 du Conseil des Droits de l’homme.

[17] Observation générale n° 15 du Comité des Nations unies pour les droits économiques, sociaux et culturels  –relative au droit à l’eau (articles 11 et 12 du P.I.D.E.S.C.) –, Conseil économique et social des Nations unies du 20 janvier E/C.12/2002/11, 20 janvier 2003, p.1 §1. 

[18] Résolution n° 68/ 157 du 18 décembre 2013, « Le droit de l’homme à l’eau potable et à l’assainissement », de l’Assemblée générale des Nations unies.

[19] Résolution n° 70/1 du 25 septembre 2015, « Transformer notre monde : le Programme de développement durable à l’horizon 2030 ». 

[20]« Rapport 2015 sur les progrès en matière d’assainissement et d’alimentation en eau : les principaux faits », site O.M.S. Selon l’O.M.S, la généralisation de l’accès à l’eau et à l’assainissement a vocation à permettre l’éradication de certaines maladies (le choléra notamment) et s’inscrit « par ricochet »  dans l’aide au  développement des populations (accès à l’éducation, progrès dans l’agriculture). Les objectifs sont plus que sanitaires car en ayant accès à l’eau du robinet ou à des fontaines publiques situées à proximité des logements, en particulier en zones rurales, les femmes comme les enfants se voient ainsi dispensés de la « corvée d’eau ».

[21] Recommandation N° R (2001) 14 sur la Charte européenne des ressources en eau adoptée par le Comité des Ministres le 17 octobre 2001.

[22] A titre d’exemple, en 2012, lors de la 7ème  édition du Programme d’Action pour l’Environnement (PAE), la Commission européenne a ainsi proposé le rapport « Bien vivre, dans les limites de notre planète », adopté par le Parlement et le Conseil européen en novembre 2013,

https://ec.europa.eu/environment/pubs/pdf/factsheets/7eap/fr.pdf

[23] Résolution du Parlement européen du 8 septembre 2015 sur le suivi de l’initiative européenne citoyenne, « L’eau, un droit humain », www.europarl.europa.eu/sides/getDoc.do?type=TA&reference=P8-TA-2015-0294&language=FR&ring=A8-2015-0228

[24] La Commission européenne  est restée en partie sourde à la demande des parlementaires européens, alors que ceux-ci l’invitaient à revoir rapidement les dispositions de sa directive-cadre sur l’eau. La Commission a finalement accepté de retirer l’eau et l’assainissement des objets visés par son projet de directive sur les contrats de concessions. La version finale adoptée de la directive 2014/23/UE du Parlement européen et du Conseil, du 26 février 2014, sur l’attribution de contrats de concession, précise que « le secteur de l’eau [est exclu] du champ d’application de la présente directive ».

[25] En France, ces considérations d’ordre économique sont certainement présentes avec la crainte d’entraver l’initiative économique ou les marges de manœuvre des distributeurs d’eau en adoptant des règles plus dissuasives ou plus restrictives que la loi dite « Brottes » du 15 avril 2013.

[26] Jugement civil du 25 janvier 2017, n° 60, La SCI DU LIMOUSIN, Monsieur GOT Daniel c/ La Société VEOLIA EAU ; Jugement civil du 25 janvier 2017, n° 61,  Madame EDMONDS RILEY Christine née ZOELLNER, Monsieur EDMONDS RILEY Paul c/ La Société VEOLIA EAU.

[27] Souligné par le Tribunal.

[28] « Veolia Eau condamnée pour non-respect des exigences de qualité »,  Le Populaire du Centre, 27 janvier 2017, p. 6.

[29]Nous l’avons déjà souligné dans  nos articles précités.

[30] Nous faisons nôtre cette réflexion d’une jeune doctorante, E. Broussard, ancienne conseillère municipale en charge des questions de l’eau, qui, dans un courrier privé, ajoutait que « ce système déjà adopté par certaines villes (Dax) a l’avantage d’offrir aux plus précaires un accès sans condition à l’eau tout en responsabilisant les consommateurs les plus gourmands en eau ». Nous remercions, par ailleurs, E. Broussard pour son aide à notre recherche documentaire, notamment à propos des sources internationales et européennes.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *