Le droit à l’eau: quelle quantité minimum?

Henri Smets, membre de l’Académie de l’eau,  évoque la quantité minimale d’eau qui devrait être fournie aux personnes  démunies. L’auteur propose que dans le cas des personnes titulaires du RSA Socle,  chaque membre  d’un couple bénéficie de 75  litres d‘eau potable par jour.

henri smets

« Selon la définition du « droit à l’eau » adoptée en première lecture par l‘Assemblée nationale en juin dernier[1], chaque personne doit disposer « dans des conditions compatibles avec ses  ressources » d’une « quantité suffisante d’eau potable pour répondre à ses besoins élémentaires ». S’il  existe un consensus pour fixer à 3 % des ressources de l’usager, le plafond  au delà duquel l’eau potable est jugée d’un prix inabordable,  la quantité minimale d’eau à laquelle chacun aura droit devrait être fixée.

Il va de soi que chacun doit disposer de la quantité d‘eau nécessaire pour survivre,  comme, par exemple, celle fournie dans un camp de migrants (de l’ordre de 20 litres/jour et  par personne). Cette quantité dépassera probablement aussi  la  « norme »  de l’OMS souvent citée de 50 l /jour par personne (18 m3/an par personne).

Dans un pays comme la France, la quantité d’eau nécessaire pour qu’une personne puisse mener une vie digne dans un logement normalement équipé est probablement supérieure à 75 litres d’eau par jour si l’on souhaite respecter les normes françaises en matière d’hygiène et d’habitat décent.[2] En effet, si les besoins élémentaires d’une personne en matière de boisson et d’alimentation peuvent être satisfaits avec 50 l/jour d’eau potable, il faut disposer de plus d’eau  pour satisfaire en outre les besoins élémentaires en matière d’hygiène et de dignité vu que les toilettes, les bains et les douches consomment beaucoup d’eau potable.

La quantité minimale d’eau à fournir au titre du droit à l’eau est inférieure à la quantité  moyenne d’eau potable consommée en France par les ménages (137 l/j/p ou 50 m3/an/p). En effet, l’eau potable distribuée par des réseaux est consommée à la fois pour des besoins élémentaires et pour des usages non-essentiels. Compte tenu de la consommation moyenne observée dans le Nord de la France (109 l/j/p) et en Wallonie (91.6 l/j/p)[3], il semblerait raisonnable de penser que la quantité minimale d’eau à fournir en moyenne en France pour répondre aux  besoins élémentaires d’un ménage soit d’environ 75 l d’eau potable  par  jour et par personne (27 m3/an).

Les statistiques de consommation des ménages montrent que la consommation moyenne d’eau par personne diminue lorsque la taille du ménage augmente du fait des économies d’échelle. Dans ces conditions, la quantité minimale d’eau potable à fournir à un ménage ne varie pas  proportionnellement au nombre des personnes du ménage mais plutôt en fonction du nombre d’unités de consommation. [4]

Si l’on retient 75 litres par jour comme étant la quantité minimale d’eau à fournir à une personne dans un ménage moyen de deux personnes (27 m3/an), on pourrait  fixer la quantité  minimale pour les besoins élémentaires d’un ménage d’une personne à 100 l/j,  pour un ménage de deux personnes à 150 l /j, pour un ménage  de trois personnes à 180 l/j et pour un ménage de quatre  personnes à 210 l/j. On constate que dans le cas des ménages de quatre personnes, ce choix aboutit à une quantité minimale d’eau de réseau proche de 50 l/j/p ou 18 m3/an/p, c-à-d. à la « norme » de l’OMS. Dans le cas d’un ménage de 4 personnes, la quantité minimale serait de 77 m3/an,  soit bien moins que la consommation normée utilisée en France (120 m3/an).

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LES DÉPENSES D’EAU D’UN COUPLE BÉNÉFICIAIRE DU RSA

 

Un couple bénéficiaire du RSA Socle (786 E/ mois) consacre 3% de ses revenus pour l’eau, soit 23.6 E/mois. Si l’abonnement est de 6 E/mois, si l’eau coûte 4 €/m3 et si la consommation  du couple est de 150 litres par jour (quantité minimale pour les besoins élémentaires,  4.5 m3 par mois), la dépense totale d’eau du couple est de 24 €  par mois, soit un peu plus que le plafond de 3% des revenus.

 

Si le prix de l’eau est de 5 €/m3 et l’abonnement de 2 €/mois, la dépense pour l’eau est de 24.5 € /mois. Si l’abonnement est plus coûteux (8 €/mois), la dépense mensuelle est de 30.5 € et dépasse nettement le plafond. Une aide de 7 € par mois est alors nécessaire. 

 

Ces exemples montrent que des aides préventives seront nécessaires dans une minorité de cas de personnes bénéficiaires du RSA Socle (prix unitaires élevés, abonnements coûteux). Une attention particulière devra être consacrée aux collectivités pour lesquelles le prix de l‘eau dépasse 5 €/m3.

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Connaissant la taille d’un ménage et ses ressources ainsi que le tarif de l’eau au  domicile, on peut calculer s’il doit ou non recevoir une aide dans le cadre du droit à l’eau (Encadré) et quel devrait être le montant de cette aide. [5]  A cette fin, on fera appel au plafond des dépenses des ménages pour l’eau et l’assainissement de 3% des ressources de ces ménages afin de assurer que l’eau est abordable. En pratique, il ne sera pas nécessaire de connaître les ressources chaque ménage et l’on se contentera d’aider les bénéficiaires du RSA Socle domiciliés  dans des zones d’eau chère.

Lorsqu’il apparaît que la facture d’eau est inabordable, la collectivité peut prendre diverses mesures tarifaires pour réduire la facture d’eau établie en cas de fourniture de la quantité minimale. Ainsi, elle peut  faire  appel à un tarif progressif et à une réduction de  la part fixe (abonnement) compensé par une augmentation du prix unitaire. Elle  peut introduire un tarif « social » ou distribuer des « chèques-eau » aux plus démunis. Elle peut aussi introduire un tarif plus favorable pour les ménages que pour les autres usagers (tarif différencié). A Lille, le choix s’est porté à la fois sur une forte réduction de l’abonnement, sur un tarif réduit pour les ménages démunis relevant de la CMUC et sur une augmentation des chèques-eau  pour les  personnes bénéficiaires du  RSA Socle.

 

CONCLUSION

Pour que le droit à l’eau devienne un droit effectif, il fait préciser  la quantité minimale d’eau potable pour répondre aux besoins élémentaires. Cette  quantité minimale pourrait être de 100 l/j pour une personne seule et de 210 l/j pour un ménage de 4 personnes.

 Les personnes les plus démunies devront souvent recevoir une aide pour payer en partie leur consommation d’eau tandis que les autres personnes continueront à payer leur eau selon la facture. Dans le cas des ménages de plus de 4 personnes, il serait justifié de fixer la quantité minimale à 50 l/j/p. Des quantités minimales plus élevées pourraient être envisagées pour refléter les différences de consommation entre les  régions françaises.

Vu le niveau assez limité des quantités minimales d’eau pour répondre aux besoins élémentaires, les aides pour l’eau à prévoir pour les personnes démunies pourront être  financées par solidarité entre les usagers. Les bénéficiaires dans des zones d’eau chère seraient 140 000 ménages, une petite partie des  bénéficiaires du RSA socle.  Dans ce cas, le coût global des aides préventives pour l’eau au titre du droit à l’eau pourrait n’atteindre que 14 M€ /an,  soit 21 centimes € par habitant. »

                                                                                                                              Henri Smets

Commentaires

L’article d’Henri Smets définit un droit minimum à l’eau,  en retrait par rapport au droit humain fondamental à l’eau tel que défini au niveau international; cela traduit sans doute l’écart entre la proposition de loi adoptée en juin dernier en France et la résolution de l’ONU: lire ICI.

Il montre cependant que le coût global pour la collectivité est marginal: 14 millions d’euros par an. Aucune raison donc de ne pas le mettre en œuvre, l’obstacle est plus politique que financier; c’est la volonté politique qui manque le plus!

Henri Smets évoque le financement par la solidarité entre usagers. Lesquels? Nous pensons pour notre part qu’il y a suffisamment de flux financiers dans le secteur de l’eau pour ne pas rajouter une charge supplémentaire aux usagers domestiques.

Le dernier paragraphe évoque « les zones d’eau chère ». En fait, l’allocation reviendrait à subventionner les services les plus chers. Est-ce vraiment ce que nous voulons? Dans le contexte actuel, ne faudrait-il pas plutôt définir un plafond limitant les tarifs?

 

[1] Rapport de l’Ass. Nat. N°758. Rapport soumis N°685 au Sénat en juin 2016.

[2]  Selon l’Enquête C.I.EAU de 2006 publiée dans L’eau du robinet dans notre quotidien, la consommation moyenne d’eau en France (en l/pers./jour) est répartie comme suit :

– 49 litres pour les bains et les douches ;

– 25 litres pour les W.C. ;

– 25 litres pour le linge ;

– 12 litres pour la vaisselle ;

–  8 litres pour le ménage ;

–  8 litres pour l’arrosage des plantes ;

–  9 litres pour la préparation de la nourriture ;

                –  1 litre pour la boisson.

Sur ces 137 litres/j, une part prépondérante de l’eau est utilisée  pour l’hygiène et la dignité. La  partie qui ne correspond pas à des besoins élémentaires est mal définie (eau pour piscine, arrosage, nettoyage de voiture)

[3] Selon l’Etude sur les consommations résidentielles d’eau et d’énergie en Wallonie  publiée par Aquawal en  2015, la consommation  moyenne d’eau en  Wallonie s’élève en 2014 à 69 m3 par an par ménage ou à 91.6 litres par jour et par personne. La consommation en litres par jour et par personne varie avec la taille des ménages (1 p. : 113.4, 2 p. : 92.7, 3 p. : 77.5, 4 p : 69, 5 p : 61.6 litres /j/p). En Flandre, la consommation moyenne d’eau est plus élevée qu’en Wallonie : 88 m3 par an  par ménage (241 l/j ).  La consommation moyenne en fonction de la taille des ménages est de 137, 105, 99, 90, 88  l/j/p pour des ménages de 1 à 5 personnes (Watermeter 2012, VMM, 2013).

[4] Une personne : 1 uc ; deux personnes ; 1.5 uc ; 3 personnes, 1.8 uc ; 4 personnes, 2.1 uc.

[5] Lorsque le prix de l’eau est faible (par exemple,  à Paris,  3 m3  à 3.33 €/m3 coûtent 12.6 €/mois, abonnement mensuel compris), il ne sera pas nécessaire d’aider les personnes dont les ressources dépassent le RSA Socle. A Lille, la dépense mensuelle est de 16.8 €,  soit 1.1 € au  dessus du plafond de 15.7 €/m3. Un tarif social a été  introduit pour les bénéficiaires de la CMUC, ce qui réduit la facture de 2.5 €/mois. Si l’eau coûtait 5 €/m3 au lieu de 3.33 €, il faudra aider les titulaires du RSA. Ainsi,  dans 3 collectivités de la Seine-Saint-Denis  sur 37 (Le Raincy, Pavillon, Gournay), le prix de l’eau pour 120 m3 a dépassé 5 €/m3 en 2015.

3 réflexions sur « Le droit à l’eau: quelle quantité minimum? »

  1. arrét de piscine de prévut dans les nouvelles constructions et logiquement interdiction de lavage de voitures chez soit avec les nouvelles normes de protection nature!

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