Quelles alternatives urbaines et locales pour s’adapter au changement climatique ?

Dans le cadre de l’Université européenne des mouvements sociaux et de la solidarité internationale (UEMSSI 2016) qui s’est tenue à Besançon en juillet, s’est déroulé un atelier « eau et climat » à l’initiative de la Fondation France Libertés, de la Coalition eau, de la Coordination Eau Île-de-France et du programme  Une seule planète. En voici le compte-rendu.

I – Décryptage et compréhension du lien existant entre eau et climat

Lors des négociations officielles entre Etats, le changement climatique est toujours abordé sous le prisme des émissions de gaz à effet de serre (GES). Il est pourtant clairement reconnu par le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) que le grand cycle de l’eau est affecté par les activités humaines et qu’il est un facteur prépondérant du changement climatique.

Les cycles de l’eau

Le cycle global de l’eau (ou grand cycle de l’eau) consiste en des échanges d’eau perpétuels entre l’atmosphère, l’hydrosphère et la biosphère. Il existe des versions à plus petite échelle du cycle global de l’eau, que l’on appelle les cycles locaux de l’eau : les mécanismes d’évaporation et de précipitation y dépendent directement des conditions environnementales de la région ou du bassin où ils se situent.

L’eau contenue dans l’atmosphère et dans les sols joue un rôle clé dans la thermorégulation locale de notre planète. Dans le circuit fermé d’un cycle local, l’eau qui s’évapore depuis un territoire retombe localement sous forme de pluie, s’infiltre dans le sol puis s’évapore à nouveau, et ce après avoir contribué à la croissance de végétaux. Deux tiers des précipitations sur les sols sont ainsi issues du cycle local de l’eau. Plus il y a d’eau dans l’atmosphère, plus ses effets modérateurs sur les températures et les microclimats sont importants, et moins les événements climatiques extrêmes sont violents.

L’équilibre du cycle de l’eau est fragile. En modifiant le cycle de l’eau, c’est le microclimat qu’on perturbe, ce qui contribue par extension au renforcement du changement climatique.

 

Les activités humaines ont un impact négatif sur le cycle de l’eau, et cela dans divers secteurs d’activités.

  • Le modèle agricole industriel est dévastateur car il appauvrit la terre et lui enlève son rôle essentiel d’évapotranspiration.

L’agriculture intensive est responsable d’importants dérèglements du cycle de l’eau, affectant gravement le climat et la population. Les graves sécheresses qui touchent actuellement la Californie en sont un exemple. L’agriculture intensive a favorisé la disparition des haies, l’imperméabilisation et l’asséchement des sols, ainsi que le ruissellement de l’eau issue des précipitations. Ces conséquences s’ajoutent aux énormes quantités d’eau pompées pour l’irrigation, ce qui provoque sécheresses et restrictions d’eau dans un des Etats les plus riches des USA et du monde.

D’autres modèles agricoles existent, plus raisonnés, respectueux des saisons et limitant au maximum les intrants chimiques : l’agroécologie, l’agriculture familiale, la permaculture… on y favorise la réintroduction des haies et des arbres, des cultures en bandes alternées, l’amélioration des techniques d’irrigation en fonction du contexte (ex: goutte à goutte) ou encore la rétention des eaux de pluie.

 

  • L’exploitation forestière est aussi responsable de dommages au cycle de l’eau et au climat.

La végétation joue un rôle fondamental dans le cycle de l’eau car elle favorise l’infiltration et la recharge des nappes tout en atténuant le ruissellement et l’érosion. Elle joue aussi un rôle-clé dans la formation des nuages en permettant l’évaporation de milliards de litres d’eau grâce au phénomène d’évapotranspiration du sol et des feuilles. Pourtant chaque année, plus de 13 millions d’hectares de forêts disparaissent dans le monde.

La déforestation a des impacts locaux mais aussi régionaux. Ainsi au Brésil, les crises hydriques sont dues à la déforestation. Le manque de pluie affecte directement l’approvisionnement en eau de São Paulo, qui se retrouve dans une situation de pénurie sans précédents, au point que les coupures d’eau durent plusieurs heures par jour.

  • Enfin, dans le domaine industriel, les atteintes au cycle de l’eau sont lourdes.

L’industrie pompe en très grandes quantités les ressources en eau pour ses besoins, et rejette de nombreux produits chimiques et toxiques au cycle de l’eau sans que l’eau ne soit correctement traitée.

Le monde de l’industrie et notamment de l’industrie minière est celui qui doit le plus progresser. L’exemple du gaz de schiste, et des sables bitumineux en Alberta au Canada est également édifiant de par l’ampleur des zones affectées et par les quantités d’eau prélevées et polluées.

II – Les freins au cycle de l’eau en ville

Les milieux urbanisés sont marqués par des caractéristiques aggravant les conséquences des dérèglements du climat et des cycles de l’eau.

  • L’imperméabilisation des sols:

En ville, les sols sont majoritairement imperméables et ne permettent pas à l’eau de s’infiltrer jusqu’aux nappes phréatiques. Le ruissellement rapide des eaux pluviales, et la faible efficacité des processus d’évaporation et d’infiltration, ont des conséquences sur la recharge des nappes phréatiques et sur la présence de l’eau dans l’atmosphère en ville.

En cas de forte pluie, les eaux de ruissellement saturent les réseaux et se transforment en de véritables torrents provoquant des inondations et de violents dégâts. Ce sont les populations qui subissent de plein fouet les conséquences des sols imperméables : les inondations sont parmi les catastrophes les plus meurtrières à l’échelle planétaire, et provoquent des dégâts matériels très conséquents.

  • Omniprésence du bâti minéral / Absence de végétal:

La ville est construite sur une base de bâti minéral (béton, pierre, brique…), qui a pour particularité d’absorber la chaleur en journée, et de la relâcher la nuit. Le bâti minéral et l’absence de l’eau en ville amènent des conditions thermiques particulières favorisant le phénomène d’îlot de chaleur urbain : lors d’épisodes de forte chaleur, on constate alors des différentiels de température entre les zones les plus fortement urbanisées, et les zones plus périphériques et rurales, où l’eau et la végétation ont encore une place raisonnable.

C’est aussi la rareté de la végétation et de l’eau en ville qui favorise ce phénomène. Les végétaux sont en effet des climatiseurs très efficaces : à travers l’évapotranspiration, ils permettent de rafraîchir l’air ambiant.

Lors d’épisodes de canicule et de sécheresses, les populations les plus vulnérables résidant en ville (les personnes âgées ou les enfants) sont particulièrement en danger. Dans les régions du monde où les épisodes de sécheresse sont déjà réguliers, les difficultés d’approvisionnement en eau vont se durcir : cela concerne aussi bien des pays du Sud que des pays comme les USA (Californie, Nouveau Mexique…).

  • « Domestication », canalisation des cours d’eau:

Historiquement on a cherché à cacher l’eau en ville et à canaliser les cours d’eau en amont, pour des raisons d’hygiène, de sécurité, de prévention des risques… Or, cette volonté de domestiquer l’eau a des conséquences en matière d’intensité des crues, de saturation des réseaux, et a des impacts sur le débit des cours d’eau en ville. Là encore, les populations urbaines sont en première ligne, puisqu’elles sont les premières victimes des catastrophes liées à l’eau : inondations, torrents de boue qui provoquent des dégâts humains et matériels considérables.

III – Quelles alternatives possibles ?

Face au changement climatique, il faut replacer la lutte pour le droit à l’eau dans un contexte plus large. Il faut rappeler que l’eau est un bien commun, qu’elle a un rôle fondamental dans la biosphère et que nous devons apprendre à mieux la gérer collectivement.Le changement climatique est une menace supplémentaire au droit à l’eau des populations. Ce droit doit donc être consolidé et garanti au plus vite en exigeant une mise en place d’un droit international à l’eau juridiquement contraignant. Pour rendre les populations résilientes, il faut aller systématiquement vers un diagnostic avec les communautés locales pour qu’elles promeuvent elles-mêmes les mesures les plus pertinentes et adaptées à leur territoire. Redonner confiance aux populations, faire appel à leur capacité d’imagination et à leurs pratiques est essentiel à la gestion intégrée des écosystèmes. Pour cela, il est indispensable de tenir compte de l’avis des populations locales, y compris des peuples autochtones qui historiquement ont géré l’eau de façon durable.

Vidéo de Martin Guespereau, ancien directeur de l’Agence de l’eau Rhône Méditerranée Corse.

Les conséquences à venir du changement climatique dans le Sud-Est de la France y sont présentées, ainsi que des pistes d’adaptation pour y faire face.

Une alternative institutionnelle en faveur du cycle de l’eau et du climat : La communauté d’agglomération de Douai et la gestion alternative des eaux pluviales.

La ville de Douai est une collectivité française pionnière concernant la prise en compte de l’adaptation au changement climatique dans les politiques locales, à travers son engagement dans la gestion alternative des eaux pluviales. Durant les années 90, l’agglomération était régulièrement confrontée à des épisodes de saturation de ses réseaux d’assainissement unitaire débouchant sur des inondations. La récurrence de ces catastrophes a poussé la ville à se lancer dans la mise en place d’une politique novatrice de gestion alternative des eaux pluviales.

Quelques exemples de techniques : les noues, des fossés végétalisés en pente douce, recueillant provisoirement l’eau pour l’évacuer via un trop-plein, pour l’évaporer (évapotranspiration) ou pour l’infiltrer sur place. Mais aussi les parkings enherbés, les enrobés poreux… ou encore les espaces verts inondables.

Ces techniques dites « alternatives » mettent l’accent sur la rétention temporaire et l’infiltration des eaux de ruissellement  et combinent plusieurs atouts utiles à la lutte contre les effets du changement climatique.

  • Un coût moins important que les techniques classiques de gestion des eaux de ruissellement.

Les techniques alternatives sont moins coûteuses que des opérations de redimensionnement des infrastructures existantes de tout-à-l’égout (canalisations de plus en plus volumineuses, redimensionnement des stations d’épuration). Elles permettent d’éviter la construction de nouvelles infrastructures qui se révèlent rapidement obsolètes. Des fonctions de rétention et d’infiltration peuvent être installées en donnant une double fonction à des parcs, des chaussées, des fossés…

  • Une prévention efficace de la saturation des réseaux d’assainissement, et donc des épisodes d’inondation.

Les techniques alternatives permettent de soulager les canalisations d’assainissement recueillant d’habitude les eaux de ruissellement en aval lors d’épisodes pluvieux.

L’infiltration sur place des eaux pluviales est privilégiée, ce qui permet de limiter l’intensité et le volume des flots d’eaux de ruissellement. Les saturations des réseaux sont donc moins fréquentes, ainsi que les débordements et les rejets polluants au milieu naturel.

  • Une contribution essentielle au fonctionnement du cycle de l’eau et à l’atténuation des températures en ville.

Les aménagements paysagers permis par les techniques alternatives ont un rôle d’atténuation des températures. En effet, permettre aux eaux pluviales de séjourner plus longtemps en ville, de s’évaporer ou de s’infiltrer, est une clé permettant de rétablir l’équilibre des cycles locaux de l’eau. L’atténuation des températures en ville est favorisée par les phénomènes d’évaporation des eaux pluviales, et par la transpiration des végétaux.

  • Aménagement d’une ville de demain plus agréable et favorisant le bien-être des habitants.

Enfin, les techniques privilégiant la rétention temporaire et l’infiltration des eaux pluviales ont comme avantage de pouvoir s’insérer dans des cadres comme des parcs, des pelouses, des toitures ou façades végétalisées… Alors que la ville de demain a besoin de l’eau et de la végétation pour s’adapter aux conséquences du changement climatique, la gestion alternative des eaux pluviales répond aussi à un besoin de verdure et de nature de la part des citadins.

 

A Douai, tous ces bénéfices se sont vérifiés : en plus des économies financières, les techniques alternatives ont permis une diminution des rejets polluants au milieu naturel et une diminution de la récurrence des inondations. Mais d’autres bénéfices ont été constatés : l’eau rejoint plus facilement les nappes phréatiques, les îlots de chaleur urbains sont maîtrisés et on assiste à un retour de la nature en ville, les techniques alternatives permettant d’aménager des espaces de verdure et des corridors végétaux propices à la biodiversité et à l’épanouissement des habitants.

Des alternatives citoyennes en faveur du cycle de l’eau et du climat : Bruxelles et Portland.

Le projet des « nouvelles rivières urbaines », porté par le groupement de citoyens des Etats généraux de l’eau de Bruxelles, a consisté à créer un réseau de jardins d’orage prenant la forme d’espaces verts, de bassins et de places légèrement encaissés et pouvant collecter les eaux de pluie de façon à permettre leur infiltration ou leur évaporation. Les nouvelles rivières urbaines permettent ainsi de lutter contre le phénomène d’îlot de chaleur urbain.

C’est aussi Bruxelles qu’agit « Super-Désasphaltico », un super-héros engagé pour un paysage urbain plus perméable. Avec les habitants, des actions de désasphaltage ont été lancées, s’attaquant aux espaces imperméables recouverts d’asphalte, de goudron ou de pavés en béton et permettant aux surfaces dégagées de remplir à nouveau leur rôle de substrat organique, aux végétaux de réapparaître en ville et au fonctionnement du cycle local de l’eau être amélioré.

Dans la même veine, depuis 2005 le collectif « Depave » à Portland dans l’Oregon entreprend des actions de désimperméabilisation des sols. Le slogan du collectif est « Sous le bitume, le paradis ». L’action de Depave consiste à retirer les couches de béton et d’asphalte pour les remplacer par des espaces permettant l’infiltration des eaux de pluie et la croissance des végétaux. Une de leurs premières actions a été de transformer un parking sous-utilisé en un jardin communautaire.

Constitué d’une centaine de bénévoles, le collectif fournit une assistance technique à des particuliers (ou cours d’écoles, ruelles, parkings, centres sociaux, copropriétés) souhaitant désimperméabiliser leur terrain, et organise des chantiers participatifs pour les mener à bien. L’aide technique consiste à déterminer et définir les zones les plus propices à ouvrir pour permettre l’infiltration des eaux pluviales et l’implantation des végétaux

 L’objectif du collectif est de réduire les surfaces d’asphalte pour réduire la pollution des eaux de ruissellement, augmenter la quantité de terres disponibles pour la restauration des habitats, l’agriculture urbaine, les arbres, la végétation. Le projet est poétique, utile et a des impacts concrets sur la résilience de la ville face au changement climatique.

CONCLUSION

Extraits de Dobra Voda – Fleurs du futur, un film de Valérie Valette

La bande-annonce du film est disponible ici : https://vimeo.com/143387225

Nous avons choisi deux extraits : à Vitoria Gasteiz au Pays Basque espagnol, où la restauration d’une zone humide et d’un anneau vert autour de la ville permet de la défendre face aux inondations, et à Séoul en Corée du Sud, où les toits de l’Université nationale de Séoul permettent de cultiver une production potagère tout en favorisant l’infiltration et la rétention temporaire des eaux pluviales.

ANNEXES – Animations réalisées lors de l’atelier

Le Débat Mouvant

Méthodologie : Le débat mouvant a invité les participant-e-s à se positionner par rapport aux affirmations suivantes :

  • « C’est à la société civile de trouver et de proposer des solutions face au changement climatique. »
  • « En France, l’abondance de nos ressources en eau nous protège contre les conséquences du changement climatique. »
  • « Grâce aux nouvelles technologies, nous aurons des villes adaptées au changement climatique. »
  • « En ville, l’eau doit être canalisée pour ne pas être un danger. »

Chacun s’est ensuite placé dans l’espace afin de marquer son accord ou son désaccord avec les affirmations proposées par les animateur-e-s. La possibilité de se placer dans la « rivière du doute », lorsque son avis n’est pas complètement tranché, était offerte aux participant-e-s.

Les débats, très enrichissants et engagés, ont permis de soulever des éléments pertinents pour la suite de l’atelier : doit-on encore se fier aux institutions pour lutter contre le dérèglement climatique ? Le salut viendra-t-il plutôt de la société civile ? Quelle place pour l’eau en ville : doit-on la canaliser ou lui laisser des espaces d’expansion ?

Le Photo-langage

Méthodologie : Les participant-e-s à l’atelier ont été invité-e-s à choisir une image parmi une dizaine de propositions. Par petits groupes, ils ont ensuite pu discuter de leur illustration et motiver la raison de leur choix : thématique du visuel, ressenti, message du visuel, position par rapport à ce message… Après la discussion, les groupes ont restitué le résultat de leurs débats.

Ce premier temps de l’atelier a permis à tous de s’accorder un temps de réflexion sur la thématique de l’eau et du climat, et d’entrer directement dans le vif du sujet. Les restitutions des groupes ont été très pertinentes et ont soulevé la grande majorité des thématiques et des problématiques liées à l’eau et au climat : la raréfaction de la ressource en eau, la nature en ville, le rôle de la végétation dans l’atténuation des températures, l’imperméabilisation des sols… mais aussi l’existence d’alternatives positives !

 Télécharger le compte-rendu complet (avec photos)