Deux tribunes d’associations et de personnalités, publiées les 9 et 13 octobre, alertent sur la crise de l’eau sans précédent à Mayotte. Les populations les plus vulnérables sont les plus sévèrement touchées, au point que l’apparition d’épidémies est à craindre. A la pénurie généralisée s’ajoutent les expulsions et la démolition de quartiers de bidonvilles. L’irrespect du droit humain à l’eau et à l’assainissement est flagrant.
13 OCTOBRE 2023 – TRIBUNE COLLECTIVE “A MAYOTTE, L’URGENCE C’EST L’EAU, PAS LES « DÉCASAGES » : STOP AUX EXPULSIONS ” PUBLIÉE DANS L’HUMANITÉ
Alors que Mayotte fait aujourd’hui face à une crise de l’eau sans précédent, qui devrait mobiliser toute l’énergie des pouvoirs publics, plusieurs organisations demandent la suspension de l’opération Wuambushu, lancée au mois d’avril pour intensifier le programme de démolition des habitations en tôles pour raison d’insalubrité, au prétexte de régler, en même temps, les problèmes d’insécurité et de lutte contre l’immigration dite irrégulière.
La crise de l’eau à Mayotte est une crise progressive dont les premiers signes remontent au moins à février 2016, date des premiers rationnements et des premières coupures d’eau. Circonscrite au départ dans les villages de brousse du sud et du nord de l’île, la pénurie s’est généralisée depuis deux ans y compris dans les zones urbaines (communes de Mamoudzou et de Koungou).
En plus de la sécheresse, l’état de délabrement du réseau de distribution interroge sur la qualité de l’eau fournie. La population se plaint en effet qu’une eau trouble, à la limite boueuse, coule des robinets lors de la remise en eau, les habitants des quartiers pauvres se plaignent de maux de ventre et les cas de gastro-entérites semblent se multiplier faisant craindre à la population des maladies plus graves telles que des fièvres typhoïdes voire des cas de choléra.
L’insuffisance, pour ne pas dire l’absence, de mesures d’anticipation de la crise par les pouvoirs publics risque de peser lourd sur la situation durant les semaines qui séparent encore de la saison des pluies qui ne débutera qu’en novembre.
Il est d’ailleurs incompréhensible que, dans un tel contexte, certain.e.s élu.e.s de Mayotte continuent à prendre pour cible la population des quartiers les plus pauvres et aillent même jusqu’à s’insurger de l’installation de rampes d’eau à proximité des bidonvilles.
Et on peut s’indigner, de la même manière, de voir les pouvoirs publics continuer à mener l’opération dite Wuambushu. Rappelons que cette opération, débutée le 22 avril 2023, a marqué la volonté du gouvernement d’intensifier le programme de démolition des habitations en tôles pour raison d’insalubrité, prétendant en même temps régler les problèmes d’insécurité et de lutte contre l’immigration dite irrégulière. Depuis cette date, cinq quartiers ont été détruits pour un total de 400 logements selon les chiffres communiqués par le ministre de l’Intérieur et la préfecture de Mayotte. L’objectif annoncé par le gouvernement étant d’aboutir à détruire 1 25O logements d’ici la fin de l’année, il reste donc 850 logements à démolir (soit les deux tiers d’une opération qui devait être terminée fin juin).
Le contexte anxiogène qui touche tout particulièrement les populations vulnérables qui vivent dans les bidonvilles, du fait des restrictions d’eau, n’a pas empêché la préfecture de publier un nouvel arrêté (2) d’expulsion le 23 août 2023 pour un quartier de Mutsamudu, village au sud de la commune de Bandrele. Le contour des démolitions semble pour le moins mal apprécié : « 20 bangas environ vides de leurs occupants » seraient concernés selon la gendarmerie alors que l’ARS parle « des locaux à usage d’habitation numérotés de 1 à 91 » et que les propositions de relogements (annexées à l’arrêté) se limitent à 11 familles sans la moindre précision sur leur composition. La démolition pourrait néanmoins intervenir au tout début du mois d’octobre.
C’est pourquoi les signataires du présent texte demandent au gouvernement de mobiliser, avec les moyens nécessaires, toute son énergie sur la résolution de la crise de l’eau qui menace à très court terme des besoins vitaux de la population et, en conséquence, de suspendre urgemment le programme de démolition des quartiers de cases en tôles, de cesser le contrôle administratif des habitants sur la voie publique qui entrave leur mobilité et, au contraire, de tout mettre en œuvre pour favoriser les déplacements vers les centres de soins afin d’enrayer tout risque d’épidémie.
Signataires : Association pour le droit des étrangers (ADDE), Secours Catholique-Caritas France, Groupe d’information et de soutien des immigrés (Gisti), LDH (Ligue des droits de l’Homme), Syndicat des avocats de France (Saf).
9 OCTOBRE 2023 – TRIBUNE COLLECTIVE A MAYOTTE, L’URGENCE DE SANCTUARISER UN ACCÈS À L’EAU POTABLE POUR TOUS LES HABITANTS. PUBLIÉE SUR LIBÉRATION
Les écoles et les hôpitaux sont au bord de la fermeture, des cas de déshydratation sévère et des signes de gastro-entérite sont signalés. Face à cette crise sans précédent, les mesures du gouvernement restent insuffisantes, dénonce un collectif d’associations et d’organisations humanitaires.
Ces dernières années, l’accès à l’eau potable à Mayotte suscite des inquiétudes quotidiennes pour une partie de la population : 12% des habitants doivent se rendre aux bornes-fontaines et 6 % ne disposent d’aucun accès à l’eau. La pénurie d’eau actuelle touche désormais l’ensemble de la population, aggravant davantage la situation des personnes les plus précarisées.
La Société mahoraise des eaux (SMAE) a récemment ouvert 96 rampes de distribution d’eau dans les zones les plus touchées par les coupures. Cependant, ces efforts ne suffisent pas pour répondre aux besoins criants de la population. En période de pénurie, la gestion de cette ressource vitale doit assurer un accès équitable à tous les habitants. Il est impératif d’au moins doubler le nombre de rampes de distribution d’eau et de les maintenir en service 24 heures sur 24 pour couvrir les besoins essentiels de la population. De plus, il est préoccupant de constater que de nombreuses habitations se trouvent à plus de 500 mètres de ces rampes, au-delà des normes maximales humanitaires en situation d’urgence*.
Avant cette crise, la consommation des habitants des bidonvilles sur les 93 bornes fontaines fonctionnelles ne représentait que 1 % de la consommation globale de l’île, avec une moyenne journalière de 15 litres d’eau par personne, bien en dessous du standard français** de 50 litres, et du minimal international de 20 litres recommandé par l’Organisation mondiale de la santé (OMS).
2 LITRES D’EAU PAR PERSONNE
Le gouvernement a annoncé vouloir distribuer quotidiennement deux litres d’eau maximum par personne aux plus vulnérables, notamment les femmes enceintes et les enfants de moins de 2 ans. 51 000 personnes seraient identifiées. Toutefois, il est essentiel de clarifier les critères d’éligibilité pour garantir que toute personne isolée ne soit pas exclue de cette aide. Par exemple, de nombreuses personnes éligibles n’ont pas de certificat de domiciliation et/ou accès au système de santé qui permet d’établir les attestations demandées. Nous nous interrogeons également sur le manque de transparence et de communication auprès des populations concernées.
Parallèlement, bien que le gouvernement ait gelé les prix de vente des bouteilles d’eau commercialisées sur le territoire, nous constatons que ces mesures ne sont souvent pas respectées en pratique ainsi que des ruptures de stocks régulières dans les plus grands magasins de l’île.
ENFANTS EN DÉSHYDRATATION SÉVÈRE
En complément, des informations alarmantes sont parvenues de professionnels de santé qui signalent que plus d’une cinquantaine d’enfants ont été pris en charge avec des symptômes de déshydratation sévère, ainsi que des signes de gastro-entérite. D’autres, signalent la présence d’eau marron au robinet des services hospitaliers, un approvisionnement insuffisant en eau pour stériliser le matériel médical, ainsi que l’absence de bouteilles d’eau pour les patients.
En plus de cela, d’après de multiples témoignages d’instituteurs, les élèves sont contraints de remplir leurs gourdes avec de l’eau non-potable issue des robinets des établissements car aucune bouteille d’eau n’est disponible. Dans certains cas, les chasses des toilettes scolaires n’étant également plus alimentées, la consigne est donnée d’utiliser les environs.
Ces témoignages soulèvent de graves préoccupations quant au risque d’apparition ou d’aggravation de maladies hydriques ainsi qu’à la capacité des centres de santé à fournir des soins médicaux de qualité et à garantir la sécurité des patients. La santé des élèves est en danger. Ces situations soulignent l’urgence de mettre en place des actions immédiates afin de garantir l’accès à une eau potable dans chaque établissement scolaire.
L’ACCÈS AUX RESSOURCES ET AUX SOINS
En temps de pénurie d’eau, il serait inconcevable que, comme nous le constatons, encore récemment, aux niveaux des centres de santé, des contrôles d’identité et des interpellations par les forces de l’ordre aient lieu aux abords des points d’eau, ce qui dissuade de nombreuses personnes de s’approvisionner à ces endroits et d’avoir recours aux soins. Nous appelons à la sanctuarisation des centres de soins et des points collectifs de distribution, incluant leurs abords, afin d’assurer un accès ininterrompu et sans crainte à l’eau potable pour tous les habitants de l’île.
Aujourd’hui, même les écoles et les services hospitaliers sont touchés par la pénurie au point d’être menacés de fermeture. Les mesures actuelles mises en œuvre par les institutions sont insuffisantes. Nous demandons aux autorités de prendre des mesures immédiates pour remédier à cette situation alarmante : il faut anticiper les risques épidémiques qui pèsent sur la population et prendre des mesures urgentes pour garantir l’accès à l’eau à tous les habitants de Mayotte.
Signataires :
Florence Rigal, présidente de Médecins du Monde ; Adeline Hazan, présidente de l’Unicef France ; Antoine Peigney, président de Solidarités International ; Cécile Duflot, directrice générale d’Oxfam France ; Henry Masson, président de La Cimade ; Benjamin Soudier, directeur général de Santé Sud ; Jean-Marc Borello, président du groupe SOS ; Sandra Métayer, coordinatrice de la Coalition Eau ; Marie-Christine Vergiat, vice-présidente de la LDH (Ligue des droits de l’Homme) ; Véronique Devise, présidente nationale du Secours Catholique Caritas France ; Christophe Robert, délégué général de la Fondation Abbé Pierre
*LES NORMES HUMANITAIRES EN SITUATION D’URGENCE (STANDARDS SPHÈRE) SONT UN ENSEMBLE DE PRINCIPES ET DE STANDARDS HUMANITAIRES MINIMAUX QUI S’APPLIQUENT DANS QUATRE DOMAINES TECHNIQUES DE L’INTERVENTION HUMANITAIRE, À SAVOIR : L’APPROVISIONNEMENT EN EAU, L’ASSAINISSEMENT ET LA PROMOTION DE L’HYGIÈNE (WASH) LA SÉCURITÉ ALIMENTAIRE ET LA NUTRITION.
** DIRECTIVE RELATIVE À LA QUALITÉ DES EAUX DESTINÉES À LA CONSOMMATION HUMAINE, RÉVISÉE ET VOTÉE AU NIVEAU EUROPÉEN EN DÉCEMBRE 20201, A DONNÉ LIEU À L’ADOPTION DE L’ORDONNANCE N° 2022-1611 DU 22 DÉCEMBRE 2022 RELATIVE À L’ACCÈS ET À LA QUALITÉ DES EAUX DESTINÉES À LA CONSOMMATION HUMAINE.