Marrakech, la ville qui héberge la COP 22 en 2016, fut établie dans la plaine désertique du Haouz en 1062. L’eau souterraine nécessaire à sa fondation fut initialement “minée” grâce à des aqueducs souterrains… Mais des 567 khettaras creusées pendant presque un millénaire, il n’en reste qu’une seule en eau.
Appelé qanat en Iran (de l’arabe « qanah » pour roseau ou canal), kariz en Afghanistan (du perse « laché de paille » qui servait à mesurer le débit), ce système vieux de 3 000 ans a irrigué ces espaces arides d’une eau claire à l’aide d’une technique durable et réversible…
Afin de capter, drainer, canaliser et utiliser de façon intelligente cette eau venue des couches supérieures de l’aquifère du désert, les ingénieurs et ouvriers perses, arabes et turcs ont creusé des puits atteignant 275 mètres de profondeur, ils ont percé des galeries pouvant courir sur 70 km, ils ont libéré des débits allant jusqu’à 200 litres par secondes, ils ont inventé des systèmes de partage de l’eau, ils ont enterré des moulins à eau, ils ont développé des systèmes d’air conditionné pour des cités entières…
La valeur culturelle de ces exploits a motivé la décision de l’UNESCO en juillet 2017 d’ajouter 11 remarquables qanat iraniens à la liste du Patrimoine Mondial. Mais cette reconnaissance symbolique de 0,00015% des galeries de drainage à travers le monde ne doit pas nous faire oublier les prouesses inégalées des 75 000 autres, à savoir : l’équivalent de 200 pyramides de Khéops en terme de matériaux excavés, un réseau si long qu’il pourrait littéralement atteindre la lune et, par-dessus tout, la production d’assez d’eau pour verdir de façon durable quelques-uns des lieux les plus désertiques de la planète. En Iran, en 1942, 40 000 qanats récoltaient 600 000 litres par secondes… un rendement de 18 milliards de mètre cube d’« or bleu »… le volume de la mer d’Aral tous les 150 ans !
Cependant, l’exploitation du pétrole dans les profondeurs du Golf Persique et partout dans le monde ont apporté cet « or noir », la source d’énergie la moins chère dans l’histoire de l’humanité. Les pompes individuelles motorisées et verticales ont vite remplacé les systèmes collectifs creusés à la main et utilisant la gravité. La conséquence directe d’un accès à l’eau facilité par l’utilisation de cette énergie fossile fut le manque d’entretien des galeries et des puits, l’abandon des traditions de partage de l’eau et, plus grave encore, la surexploitation des aquifères : en 2002, le nombre de qanats iraniens avait diminué de 6 000 et le débit de 60%… une érosion annuelle de 1% depuis 1942! Depuis trois générations, la surconsommation urbaine et rurale épuise les réserves hydriques qui nécessitent des décennies si ce n’est des siècles pour se recharger.
De plus, l’étalement urbain et le réchauffement climatique ont détérioré la situation en seulement une génération. Les niveaux piézométriques diminuent dramatiquement et les galeries s’assèchent, les populations rurales fuient les campagnes, touchées par la sècheresse, pour les villes qui s’étendent sur les territoires où l’eau était collectée : puits et tunnels sont remplis de détritus et de débris, les eaux usées s’infiltrent dans la terre, les routes s’effondrent, les arbres meurent. Édouard Sors, architecte français a attiré l’attention dès 2005 sur la pollution de la terre des khettaras asséchées à Marrakech puis, en 2012, sur la pollution de l’eau des qanats par les égouts de Téhéran. Ses propositions ont encouragé les experts et les chercheurs en Iran et au Maroc à réfléchir au moyens de filtrer les eaux usées par des filtres de sable et la phyto-remédiation, à réutiliser l’eau épurée pour remettre partiellement en eau les galeries asséchées, pour recharger les aquifères et revégétaliser les villes.
La Coordination eau bien commun France, l’ACME Maroc et les rencontres Eau, planète et peuples appellent à l’utilisation de méthodes alternatives de gestion de l’eau, favorisant des cycles de l’eau plus courts et plus efficaces, et des comportements écologiques et économiques responsables.
L’enjeu de la restauration et de l’amélioration des cycles de l’eau « locaux et globaux » doivent encourager la recherche dans un nouvel institut similaire au GIEC (qui serait dédié au cycle de l’eau) et doit unir experts, citoyens et représentants politiques pour initier le changement, MAINTENANT !