Essonne : des élus saisissent la justice pour récupérer la propriété de l’usine Suez d’eau potable

Depuis plusieurs années, des échanges ont lieu entre la multinationale et les élus du département autour de la propriété de l’usine d’eau potable de Morsang-sur-Seine et ses canalisations. Ils accusent l’entreprise d’un trop perçu de 400 millions d’euros. 

La question fait débat depuis des années : à qui appartient l’usine d’eau potable de Morsang-sur-Seine (Essonne) et son réseau de canalisations qui alimentent près de 1,4 million d’habitants du territoire ? À la multinationale française Suez (anciennement Lyonnaise des eaux), qui a construit cet équipement inauguré en 1970 ? Ou aux villes qui sont aujourd’hui alimentées par ces installations ? Pour trancher, la ville de Grigny vient de saisir le tribunal administratif au titre des « biens de retour ».

« La puissance publique a confié à la Lyonnaise des eaux la construction d’une usine et des ouvrages de transport et de distribution. Tout cela n’a pas été gratuit pour les habitants. Ces investissements ont été facturés dans le prix de l’eau. Aujourd’hui, nous estimons donc que tous les tuyaux qui passent dans Grigny sont propriétés de la ville », argue Philippe Rio, le maire (communiste) et vice-président en charge du cycle de l’eau à l’agglomération Grand Paris Sud (GPS).
 
Afin de comprendre ce dossier complexe, il faut remonter aux années 1960. « À l’époque, la Lyonnaise des eaux est détentrice de contrats d’affermage (le contractant s’engage à gérer un service public contre une rémunération versée par les usagers) avec les communes desservies par les usines de Vigneux et de Viry-Châtillon, déjà amorties, quand l’État décide de créer les villes nouvelles, dont celle d’Évry », raconte Jacky Bortoli, conseiller délégué au cycle de l’eau de GPS et membre du conseil de surveillance de la régie de l’eau. « Tout naturellement, l’État s’adresse à la Lyonnaise et, en contrepartie de la construction de l’usine de Morsang, lui octroie une concession de trente ans qui s’est terminée en 2002 », poursuit-il.
 

Une facture trop élevée ?

 
En cherchant dans les archives départementales, des membres de l’association altermondialiste Attac ont découvert un arrêté préfectoral datant de 1967. On peut y lire que le prix « sera égal aux prix de revient » et « sera soumis à l’approbation du préfet de l’Essonne ». « Cela n’a jamais été respecté, dénonce Jean-Pierre Gaillet, d’Attac Essonne. Y a-t-il eu des carences de l’État ? On estime aujourd’hui qu’il y a eu plus de 400 millions d’euros perçus en trop par Suez. » Dans ce dossier-là, l’autorité de la concurrence a été saisie fin 2024 par les villes d’Évry et de Grigny pour abus de position dominante sur le prix de l’eau.
 
En attendant, le syndicat Eau du Sud francilien, crée en 2021 et qui réunit quatre intercommunalités, a décidé de ne payer à Suez qu’environ 55 centimes du mètre cube contre 0,93 € à 1,12 € facturés pour la fourniture d’eau potable. « Pour le moment, cela n’a pas d’incidence sur les factures des habitants, mais la somme prélevée qu’on juge en trop est mise de côté et non pas versée à Suez », explique Philippe Rio.
 
Un autre document, retraçant les négociations entre l’État et Suez, a également été retrouvé. « Il y est indiqué que la multinationale investissait et qu’elle serait rémunérée grâce aux factures, ce qui sous-entend qu’il y aurait eu un contrat de concession de service public, même si on n’en trouve pas trace, indique Pierre Prot, élu (MoDem) à Évry-Courcouronnes et vice-président de la régie de GPS. Au vu des prix fixés actuellement, on estime que Suez fait 30 % à 50 % de marge. Au final, les habitants ont déjà payé deux fois cette usine. Il n’est pas question qu’on la paie une troisième fois. »
 

Le groupe dit s’adapter « aux besoins de la population »

 
Contacté, le groupe Suez rappelle que les discussions lancées en 2022 et engagées depuis janvier 2023 avec le syndicat mixte Eau du Sud francilien se font dans « une posture d’ouverture et de dialogue avec les collectivités ». « En tant que propriétaire, Suez n’a cessé d’adapter et d’entretenir les infrastructures aux besoins de la population, aux évolutions réglementaires et aux exigences environnementales, tout en garantissant une gestion durable de la ressource », se défend-il.
 
En dix ans, le groupe affirme avoir investi près de 100 millions d’euros dans sa modernisation, notamment « pour limiter les fuites sur le réseau et assurer une gestion optimale de la ressource, dans un contexte de raréfaction dû au changement climatique ».
 
Mais pour Michel Bisson, président socialiste de GPS et du syndicat mixte Eau du sud francilien, « les réponses apportées par Suez ne sont pas satisfaisantes » : « Un important travail sera réalisé jusqu’à l’été prochain sur les documents retrouvés afin de déterminer exactement qui est propriétaire de ces équipements. Quant au prix de l’eau, Suez nous attaque en justice (le groupe ne nous a pas répondu à ce sujet). Tant mieux, le tribunal sera à même de nous dire quel est le prix juste. »

 

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