L’Angleterre, souvent utilisée comme modèle en France, a interdit il y a 16 ans les coupures d’eau pour impayés avec pour conséquence que les usagers démunis ne doivent plus se priver de nourriture pour payer leur eau dans les délais. Après 10 ans sans coupure, le gouvernement anglais a évalué les effets réels de cette décision et a conclu qu’il ne fallait pas rétablir les coupures d’eau malgré les aspects négatifs associés à leur suppression.
L’abolition des coupures d’eau est parfois présentée comme devant mener à une explosion du nombre de ménages avec des dettes d’eau. En Angleterre, cette explosion n’a pas eu lieu et le nombre de ménages endettés a peu varié.
La suppression des coupures d’eau est une mesure à visée sociale introduite par un gouvernement soucieux de protéger les ménages des mesures trop expéditives des distributeurs d’eau. Elle a pour effet de réduire la pression sur les usagers ayant à payer leur facture d’eau, ce qui leur permet de retarder le paiement des sommes dues mais pas d’échapper au paiement. Il est faux de prétendre comme le fait le Sénateur Poniatowski que « Quiconque a les moyens de payer sa facture d’eau mais qui s’y refuse, ne pourra être inquiété. » . En réalité, les distributeurs anglais sont tellement efficaces pour inquiéter les usagers qu’ils n’ont pas subi d’augmentation sensible des créances irrécouvrables depuis qu’ ils ont perdu l’arme redoutable des coupures. En revanche, en 10 ans, ils n’ont pas hésiter à augmenter le prix réel de l’eau de 19% .
Les distributeurs anglais ont observé une croissance des délais de paiement des factures d’eau et ils ont identifié quatre causes à ce phénomène, dont une seule est liée aux coupures d’eau. Comme prévu, les retards de paiement sont dans une large mesure liés aux difficultés économiques des usagers qui doivent payer une eau de plus en plus chère alors qu’ils ont des revenus en baisse. Certains impayés sont dus au manque d’informations des distributeurs sur les usagers qui ont de l’eau sans avoir jamais signé un contrat. La loi anglaise a été finalement amendée en 2010 pour permettre les poursuites des mauvais payeurs par les voies classiques, pas par la voie des coupures.
Tout le monde souhaite lutter contre les usagers de mauvaise foi mais pas en coupant l’eau de tous les usagers qui ont un simple retard de paiement. La coupure d’eau doit rester une mesure de dernier recours à n’utiliser que sous le contrôle du juge. Cette solution qui respecte les droits de chacun, a été mise en œuvre avec succès depuis de nombreuses années en Belgique.
Puisse l’Assemblée nationale donner sa préférence au droit des usagers à l’eau plutôt qu’au droit des distributeurs à couper l’eau des ménages. La proposition du Sénat est une mesure de régression sociale tout à fait malvenue en cette période de crise.
Henri Smets
Président de l’Association pour le développement de l’économie et du droit de l’environnement (ADEDE).