Pour la société civile, tenter de construire la loi au profit des plus démunis tient de la gageure. Faut-il changer de République pour renverser la table? Une tribune d’Emmanuel Poilane, directeur de la Fondation France Libertés, de Jean-Claude Oliva et de Joël Josso, dirigeants de la Coordination Eau Île-de-France, publiée par le Huffington Post.
Depuis 2012, une quarantaine d’associations dont la Fondation Danielle Mitterrand, la Coalition Eau et la Coordination Eau Île-de-France portent une proposition de loi pour la mise en œuvre effective du droit à l’eau en France. Ce texte non partisan, construit par la société civile et repris par le député Jean Glavany, a su réunir 5 groupes parlementaires autour de lui. Il ne s’agit certes pas d’ une révolution, mais d’une avancée réelle.
Les sénateurs de droite n’acceptent pas qu’un texte consensuel puisse venir de la société civile.
Peut-être que le temps n’est plus à être constructif et à la recherche de consensus. Les plus radicaux d’entre nous diront que nous n’aurions pas dû passer 5 ans à porter ce texte et à tenter de convaincre que notre pays a le devoir d’accorder sa législation à ses engagements internationaux. C’était pourtant le gouvernement de Nicolas Sarkozy qui avait apposé sa signature sur la résolution visant le droit à l’eau pour tous en juillet 2010 devant les Nations Unies. Seuls les soutiens de Bertrand Pancher à l’Assemblée (UDI) et de Jérôme Bignon au Sénat (les républicains) nous ont fait croire que la droite pouvait encore être humaniste.
Mais la perfidie de notre système démocratique fait qu’il n’en a rien été. Si nous n’avons rien lâché pour tenter de réussir le pari, la droite sénatoriale a fait le nécessaire lors du passage de la Proposition de loi au Sénat le 22 février 2017 pour saper notre initiative associative, quitte à se renier et à voter contre le droit à l’eau. Parmi eux, le Sénateur Cambon qui ne pourra plus nous dire face à face qu’il défend le droit à l’eau, il a voté contre.
Malheureusement, il faut aussi noter que l’obstruction gouvernementale depuis 5 ans n’a jamais cessé. Le gouvernement a tout d’abord ignoré la proposition de loi. Rien de plus confortable que de ne pas prendre position pour être sûr qu’un texte législatif n’avance pas.
Puis, il a amputé le texte de son article 5 pour le vider de son financement lors de son passage à l’Assemblée Nationale en juin 2016. Mais, alors que nous étions sur le point de réussir à convaincre une majorité de sénateurs de voter le texte conforme pour que la loi soit effective, le gouvernement a posé au dernier moment deux amendements de blocage au Sénat (les amendements 17 et 18 retirés en début de séance).
Comment ne pas désespérer de la démocratie quand un gouvernement tient un discours enchanteur sur les biens communs, comme lors de la présentation de la proposition de loi à l’Assemblée Nationale, et fait ensuite l’inverse de ce qu’il dit en bloquant le texte législatif, sans que nous ne sachions jamais qui prend la décision de sanctionner une démarche hautement démocratique et sociale.
Le gouvernement de Francois Hollande progressiste?
Lorsque nous avons présenté la proposition de loi à François Hollande en mai 2016, il nous a demandé de ne pas faire encore une loi pour les pauvres. Notre démocratie n’est plus capable de voir l’intérêt de l’avancée du droit à l’eau en France pour permettre à tous de pouvoir vivre dignement.
Nous avions pourtant pris le soin de produire un texte qui mette la France dans le sens de l’histoire, sans faire peser de contraintes sur les acteurs locaux. Nous avons été soutenus par nombre de députés de tous les groupes et notamment Jean Glavany, les signataires du texte et notamment Marie Georges Buffet, Michel Lesage et enfin Ronan Dantec et Jean Desessard au Sénat. En refusant de soutenir notre démarche et en nous jetant en pâture à la droite sénatoriale à deux mois des élections présidentielles, ce gouvernement s’est montré tel qu’il est : ni progressiste, ni socialiste.
La morale de cette aventure? Il est temps de renverser la table.
Progressistes ayant l’ambition de la solidarité ici et ailleurs, nous devons convaincre les Français de porter au pouvoir un candidat qui croit réellement à la vertu d’une politique des biens communs et notamment du droit à l’eau pour tous.
Changeons un système qui n’a que l’apparence de la démocratie et qui ne permet ni à la société civile, mais pire encore, ni aux députés de représenter le peuple de France pour construire la société de demain.
Une partie des Français ambitionne un vrai projet de société qui invente demain, qui nous fasse sortir de la seule compétition économique pour entrer enfin dans une vraie coopération sociale.
Un changement de système pour basculer dans le monde de la coopération.
Alors que la droite nie l’existence des pauvres en France comme cela a été répété au Sénat et comme vous pouvez le lire dans le compte rendu exhaustif des débats, et qu’elle nous promet une société toujours plus violente en laissant sur le bord de la route ceux qui ont besoin d’aide, nous ne pouvons qu’espérer qu’enfin la société civile puisse contribuer à faire émerger en France des lois qui aident les enfants, les femmes et les hommes les plus démunis. Alors nous serons fiers de notre pays et de sa solidarité.