L’université populaire de l’eau bien commun a accueilli une conférence de Pascal Arnac, consultant, suivie d’un débat avec Benjamin Gestin, directeur général d’Eau de Paris, et Michel Jallamion, président de la Convergence nationale des services publics, le lundi 17 juin, à la Résidence de l’eau, à la mairie du 10e arrondissement de Paris. Compte-rendu du débat et deux articles de Pascal Arnac à télécharger.
Pascal Arnac est ingénieur, ancien cadre de Véolia. Durant ses années dans la firme, il a attentivement observé les évolutions d’organisation. Les majors du secteur ont pris le virage de la mutualisation dans les années 1980-90. Mutualisation des achats, des techniques et des connaissances, de la recherche et développement, des centres d’appel. La gestion de l’eau par les multinationales mutualise un grand nombre de fonctions, ce qui est selon lui, vecteur non seulement d’économies, mais aussi d’efficacité du service et de satisfaction des employés.
Prenant son inspiration dans l’économie collaborative théorisée par Jeremy Rifkin, Pascal Arnac souhaite s’inspirer de ces mutualisations pour les adapter au secteur public. Il promeut à l’échelle des services publics locaux une économie des communs fondée sur le partage total de l’information (sur le modèle de l’open source) et sur la mutualisation de certaines fonctions supports. Cette mutualisation ne nécessite pas la proximité des collectivités entre elles. Elle est appelée « ouverte » au sens où elle se fonde sur le partage sans exclusive. Pour le consultant, si la décentralisation de la décision est un atout pour concevoir un service géré avec les habitants, le morcellement et la petite taille des services publics locaux empêchent des économies d’échelle et le partage d’expériences. C’est pourquoi, il appelle à des coopérations entre opérateurs publics pour partager des innovations, mutualiser des achats, voire des centres d’appels si cela est jugé nécessaire.
Lire deux articles de Pascal Arnac sur la mutualisation ouverte
Après cet exposé préliminaire, Benjamin Gestin rappelle en quelques mots l’histoire d’Eau de Paris, « entreprise publique » de 800 agents, née de la volonté politique de sortir de la gestion déléguée au privé et d’organiser une gestion publique. Eau de Paris, qui vient de souffler ses dix bougies, se situe à une nouvelle étape : faire la démonstration de la bonne gestion. Le directeur général souligne qu’Eau de Paris participe à des réseaux d’acteurs publics, comme France Eau Publique, qui assurent le partage d’expériences. La régie accueille et conseille régulièrement des délégations d’élus et d’agents qui souhaitent mettre en place de régies publiques de l’eau. Les grands services publics européens de l’eau se rencontrent et échangent au sein de l’association Aqua publica Europa. Cependant, la « mutualisation ouverte » au sens de Pascal Arnac semble difficile à organiser. Les centrales d’achat entre opérateurs publics européens sont un « serpent de mer », toujours évoquées, jamais appliquées, du fait de la complexité de mise en œuvre. Certes, les cahiers des charges des marchés publics publiés par Eau de Paris inspirent la rédaction des marchés d’autres services publics de l’eau en France et en Europe. La régie parisienne dispose en effet d’une technicité juridique qui fait défaut à d’autres régies de moindre dimension. Elle organise même un Erasmus des agents entre les différentes régies européennes, preuve du souci de créer un réseau. Mais cela relève-t-il de la « mutualisation ouverte », telle qu’exposée par Pascal Arnac ? Rien n’est moins sûr car on y voit plutôt des modalités de coopération entre institutions publiques. Le secteur public souffre également d’un déficit chronique en matière de recherche et développement. La recherche expérimentale est principalement le fait des entreprises privées. Les quelques brevets déposés par Eau de Paris n’ont pas d’utilité industrielle et n’offrent pas d’avantage comparatif significatif. Pour autant, la R et D est selon le directeur général d’Eau de Paris un aspect que le secteur public se doit d’investir.
Dur chantier que la « mutualisation ouverte ». Par certains de ses aspects, la proposition de Pascal Arnac ressemble plus à un approfondissement de la coopération entre services publics qu’à une véritable mutualisation. Par d’autres, cette proposition risque d’orienter le service public vers des modes de faire qui font des économies l’objectif numéro un. Le chemin est escarpé pour promouvoir la « mutualisation ouverte » comme une variante de l’économie collaborative et de l’open source appliquée aux services publics locaux. Tout d’abord, il est indispensable d’objectiver les bénéfices attendus au regard du service rendu à l’usager. Ensuite, par où commencer ? Peut-être que le partage de la connaissance au sens large – connaissances, expériences, techniques, brevets et outils – est la bonne voie. Quel est le bon moyen ? Par quel canal communiquer ? Quelles sont les institutions à créer ? Combien de temps y consacrer et pour quels avantages ? Autant de questions qui appellent de nouveaux dialogues pour approfondir l’idée de la « mutualisation ouverte ».
Enfin, Michel Jallamion, président de la Convergence nationale des services publics, rappelle que la mutualisation, si elle est nécessaire quand elle garantit une amélioration du service, ne doit pas rimer avec la recherche d’économies à tout prix. L’exemple des centres d’appels est parlant. Nombre d’entre eux sont aujourd’hui délocalisés au Maghreb pour que les compagnies bénéficient d’un coût du travail plus faible. Les conditions de travail n’y sont pas avantageuses. Il pointe ensuite l’absence criante d’un acteur : l’État. Pour des raisons historiques, la politique de l’eau est fortement décentralisée et est de la compétence des communes et des intercommunalités. Pendant longtemps, sa gestion a reposé entre les mains des entreprises du secteur privé, jamais nationalisées, jusqu’à un mouvement progressif de retour en gestion publique depuis les années 1990. L’État est donc absent. Avec la décentralisation, les préfectures qui s’étaient dotées de services d’ingénierie permettant d’aider les communes à porter des infrastructures, ont abandonné ces compétences. Parfois les départements les ont reprises, mais beaucoup les ont abandonnées depuis. Par conséquent, la mutualisation des connaissances à un niveau départemental n’est plus possible.