Ce 8 mai, 98% des 218 002 votants du référendum ont dit NON à la privatisation de l’eau en Thessalonique. La participation a été de 34% dans les 11 municipalités où était organisé le vote. Une victoire pour la démocratie, aussitôt remise en question par le gouvernement conservateur et …le fonds grec des privatisations. Lire ci-dessous l’analyse de Theodoros Karyotis, parue le 10 mai 2014 sur autonomias.net et traduite par Julie Morineau.
« Thessalonique est une métropole tentaculaire située dans le nord de la Grèce. Comme le reste du pays, la ville est touchée par un taux croissant de chômage et de pauvreté, résultat des politiques menées par le gouvernement sous les dicktats de la Troïka, qui ont mené l’économie du pays dans une grave récession.
En Grèce, comme dans beaucoup d’autres pays auparavant, le capitalisme du désastre a su utiliser la crise de la dette souveraine – elle-même génératrice de profit – comme prétexte pour lancer une campagne agressive de pillage néolibéral : les attaques ciblées du droit du travail, des droits sociaux et politiques de la population, le démantèlement des systèmes de santé et d’éducation, les spoliations massives sous couvert de mégaprojets d’extraction, et, dans l’ensemble, la privatisation de tout ce qui constitue les richesses du pays… Là comme ailleurs, le gouvernement et les médias répètent inlassablement, sans états d’âme, ce mantra si cher au néolibéralisme : « Il n’y a pas d’alternatives ».
Dans cette logique, et pour satisfaire aux conditions posées par l’infâme « mémorandum » imposé par le FMI, le gouvernement avait annoncé en 2011 son intention de privatiser EYATH, le service public de la distribution d’eau et de l’assainissement pour les 1,5 millions d’habitants que compte la métropole. Suez, ce géant du secteur de l’eau, fut prompte à exprimer son intérêt pour la bénéficiaire EYATH. Le processus de privatisation a suivi son cours, et aujourd’hui deux candidats – la française Suez et l’israélienne Mekorot – sont en liste pour la seconde phase de l’appel d’offres.
Malgré le chantage et la propagande, les citoyens de Thessalonique et leurs organisations se sont ouvertement opposés au projet du gouvernement de liquider cette compagnie d’ici trois ans. Ils ont réussi à mettre cette question à l’ordre du jour dans les agendas publics, ont montré, preuve à l’appui, que les privatisations des services de l’eau, un peu partout dans le monde, menaient à des hausses des tarifs, à la détérioration des infrastructures, à la baisse de la qualité de l’eau et à la privation de l’accès à ce bien commun vital pour une part importante de la population.
En participant au Mouvement européen pour l’eau, les organisations de la société civile grecque ont pu observer comment le modèle de privatisation que le gouvernement essaie maintenant d’imposer par la force a échoué dans des douzaines de villes, un peu partout dans le monde, poussant bon nombre d’autorités municipales à reprendre en main la gestion de leur eau, un virage à 180° vers la remunicipalisation.
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Dans ce vaste mouvement de rejet de la privatisation, le gouvernement grec reste isolé et peine à faire accepter aux citoyens qu’« il n’y a pas d’autre alternative ». Il y a, en fait, de nombreuses alternatives proposées pour la gestion de l’eau à Thessalonique, qui visent à préserver ce bien vital dans un souci de justice sociale et d’accès pour tous.
De nombreux citoyens et organisations veulent le maintien du service public de l’eau, qui a permis jusqu’ici de garder des tarifs raisonnables ; certains pensent que la gestion de l’eau relève de la responsabilité municipale ; l’Union régionale des Municipalités a d’ores et déjà annoncé son souhait de créer une autorité inter municipale de gestion de l’eau ; une troisième proposition, innovante, vient de l’Initiative 136, un mouvement populaire pour l’organisation, par des citoyens de Thessalonique, de coopératives de l’eau, relais locaux d’un service public de l’eau basé sur la démocratie directe et la justice sociale, dans une logique participative et responsable.
Mais pour que soit ouvert le débat démocratique qui permettra de choisir le modèle de gestion de l’eau qui serait le plus socialement et environnementalement responsable, les citoyens de Thessalonique doivent d’abord faire face à la menace de la privatisation. On observe une montée des tensions sociales, politiques et juridiques qui s’accumulent contre la liquidation de ce service public ; les sondages, à l’échelle locale ou nationale, montrent que près de 75 % de la population est opposée à cette mesure. À cela s’ajoute la décision en attente du Conseil d’État (la cour suprême de justice administrative de Grèce), qui doit statuer sur la constitutionnalité de cette privatisation. Tout ceci a fait caler le processus, malgré les meilleurs efforts du gouvernement néolibéral.
Dans ce contexte politique, les collectifs et institutions qui défendent l’idée que l’eau est un bien commun et un droit humain (SOSte To Nero, Initiative 136, les syndicats des travailleurs d’EYATH, Water Warriors, L’Assemblée ouverte des citoyens pour l’eau et l’Union régionale des Municipalités, pour ne citer qu’eux) ont décidé de prendre le contre-pied de la position du gouvernement en organisant un référendum étendu à l’ensemble de la métropole au sujet de la privatisation d’EYATH. Le référendum est non contraignant, comme le stipule le cadre légal grec, qui ne prévoit pas de consulter la population au sujet des politiques du gouvernement, à moins que cela ait été ratifié par décret présidentiel ou par une large majorité au Parlement. Cependant, les organisateurs sont confiants en l’issue de ce scrutin, qui montrera de façon évidente qu’une écrasante majorité de la population s’oppose à la privatisation de l’eau, faisant ainsi office de tribune d’expression de la volonté populaire.
Le référendum s’est déroulé le 18 mai 2014, en même temps que le premier tour des élections municipales et une semaine avant les élections européennes. Des milliers de bénévoles se sont mobilisés pour organiser l’installation des urnes à l’extérieur des bureaux de vote sur l’ensemble du territoire de la métropole de Thessalonique. En dépit du manque de financements pour cette initiative, de l’hostilité des principaux médias, les porteurs de cette campagne ont réussi à passer outre le désespoir, la résignation et l’apathie consécutives à quatre ans de remise en cause du droit de chacun à vivre dignement. Soutenus par les mouvements internationaux qui ont exprimé leur solidarité avec leur cause, les organisateurs ont mené une campagne d’information pour sensibiliser la population de Thessalonique ; ils consacrent à présent toute leur énergie à assurer l’organisation nécessaire à un déroulement efficace et transparent du scrutin.
Tant que la gouvernance économique s’éloignera de l’intérêt général des populations qu’elle prétend représenter, il reviendra aux citoyens de rappeler qu’ils ont des droits, de réinventer la démocratie et de protéger les biens communs, notamment par des initiatives populaires. La Grèce, dernière expérimentation en date du capitalisme en matière de spoliation, ne présage rien de bon pour le futur que les élites économiques ont en réserve pour les peuples européens. Mais les mouvements et organisations de la société civile grecque n’ont pas l’intention de rester les bras croisés, à observer le pillage économique qui se déroule sous leurs yeux. À la sentence éculée « Il n’y a pas d’alternative », il répondent qu’il y a plein d’alternatives, au contraire, et qu’il y en aura tant que la société civile laissera sa créativité s’exprimer et se dressera pour défendre ses droits et ses biens communs. »