Indispensables aux sans-abri et aux personnes privées d’un accès à l’eau potable, les bains-douches se font rares dans les villes. Une absence « dramatique ». Par Emmanuel Clevenot.
« Veuillez m’excuser : quel jour sommes-nous ? Le 17, n’est-ce pas ? » L’homme édenté traîne dans un cabas son saint-frusquin, telle une tortue déplaçant sa carapace. Dans le creux de l’autre main, ce 23 août, cliquette une canette de 8.6 Original — la mousse de la rue. En plus de dix ans, Lahcene n’a presque jamais manqué l’ouverture des bains-douches municipaux de Paris. « Je suis là tous les jours, dit le sans-abri. Pour la dignité ! Voilà, je ne saurais mieux dire. » Puis il disparaît dans les ruelles du 20e arrondissement, avec l’allure un brin tanguante de Charlie Chaplin. Les souliers en V et le chapeau melon en moins.
En France métropolitaine, 824 000 personnes habitent un logement privé d’eau courante et de sanitaires. À celles-ci, s’ajoutent les plus de 220 000 sans domicile ou vivant dans des camps de fortune et des squats. Pourtant inscrit dans le marbre des Nations unies, le droit d’accès à l’eau potable et à l’assainissement est loin d’être garanti à tous. Au cœur des canicules, l’eau ne coule plus dans les fontaines. Au cœur de l’hiver, les sans-abri sont confrontés au gel des robinets de cimetière. Quant à la qualité des toilettes publiques, elle relève de la loterie.
Jusqu’aux années 1960, une constellation de bains-douches publics offrait remède à ces obstacles. Se laver hors de chez soi étant alors monnaie courante, s’y croisaient sans-abris, ouvriers, enfants et vieillards. Ce n’est qu’avec l’arrivée du confort dans les maisons que ces établissements, dont le prototype fut inventé en 1873 par un médecin pénitentiaire, ont commencé à perdre du galon. Petit à petit, ces joyaux d’art déco furent détruits ou transformés en bâtiments administratifs. Un seul subsiste à Marseille et Lyon. Aucun à Montpellier et Bordeaux.