La préfète a refusé le moratoire sur les mégabassines, demandé par le Convoi de l’eau. Un refus symbolique d’une gestion de l’eau non démocratique. Cet article de Nicolas Celnik et
Le territoire métropolitain a été découpé administrativement en six grands bassins hydrographiques. Sur chacun de ses bassins a été créé une Agence de l’eau. Ce sont elles qui collectent des redevances, payées en grande majorité par les ménages, et sont chargées de financer des projets pour aider les acteurs du territoire (collectivités, agriculteurs, associations, etc.) à « gérer et préserver les ressources en eau et les milieux aquatiques ».
Sur chacun de ces grands bassins versants existe également un Comité de bassin. Surnommé le « Parlement de l’eau », il est supposé représenter les acteurs du territoire et mettre au point tous les six ans un schéma directeur d’aménagement et de gestion des eaux (Sdage) — c’est-à-dire déterminer la politique de l’eau locale.
Les deux instances gèrent donc de concert la politique de l’eau : le Comité de bassin en détermine les orientations, puis l’Agence de l’eau finance sur le terrain sa traduction en projets concrets. Dans les faits cependant, la main de l’État impose ses décisions à chaque étape du processus.
Une reprise en main par l’État des Agences de l’eau
D’abord, ce sont les préfets coordinateurs de bassin, serviteurs de l’État central, qui président le Conseil d’administration (CA) de l’Agence de l’eau : là où se décide quels projets seront financés, et notamment les mégabassines qui sont subventionnées jusqu’à 70 % par cet argent public. « Cela constitue une réelle dynamique de recentralisation. Depuis la création des Agences de l’eau en 1964, l’État nommait des personnalités très variées à la tête de leur CA, mais ce sont maintenant uniquement des préfets qui les président », déplore Bernard Barraqué, chercheur émérite au CNRS, auteur de nombreux travaux sur la gestion publique de l’eau.
Ce préfet coordinateur a un rôle prépondérant car c’est également lui qui approuve le Sdage élaboré par le Comité de bassin, et publie l’arrêté préfectoral actant de son entrée en vigueur. Omniprésents, les préfets sont aussi incontournables à l’échelon inférieur, à l’instar de ce qui se joue dans le sous-bassin du Clain : le préfet de la Vienne, proche d’Emmanuel Macron, y est accusé de nier les dernières études scientifiques qu’il était supposé prendre en compte pour sauver les projets de mégabassines locales.
La reprise en main des Agences de l’eau par l’État, « à l’œuvre dès l’époque de Nicolas Sarkozy mais bien pire avec Emmanuel Macron », estime Bernard Barraqué, serait poussée par l’hostilité viscérale qu’entretient le ministère des Finances vis-à-vis de ces Agences. « Les redevances des agences représentent 2 milliards d’euros par an, c’est la plus grosse parafiscalité de France. Bercy ne supporte pas que tous les impôts ne passent pas par lui », souligne le chercheur. Depuis la loi sur l’eau et les milieux aquatiques de 2006, la logique décentralisée qui prévalait dans les années 1960 lors de la création des Agences de l’eau, financées par leur redevance, a pris selon lui un sérieux coup : « La redevance est revenue dans une logique d’imposition, ce qui permet à l’État d’asseoir encore la légitimité de son autorité sur les agences. »
Pour Bernard Barraqué, le contexte politique ne préfigure pas d’un changement de cap, bien au contraire : « Il ne faut pas oublier le passé d’inspecteur des finances d’Emmanuel Macron. Dans sa tête, les Agences de l’eau sont probablement un truc bizarre qui ne devrait pas exister, ou qui est voué à être réintégré dans l’État. »
Une alliance solide entre État et FNSEA
Au-delà de l’influence des préfets, la composition des CA des Agences de l’eau traduit également ce déséquilibre de représentation que dénoncent les opposants aux mégabassines : 1/3 des sièges du Conseil est réservé représentants de l’État, 1/3 revient aux élus locaux et 1/3 aux différents acteurs de la société civile. Or, « la FNSEA est bien représentée, non seulement parmi les sièges réservés à la société civile mais aussi parmi les élus locaux, dont certains sont proches des irrigants voire sont eux-mêmes d’anciens irrigants », déplore Julien Le Guet.
« La FNSEA s’estime propriétaire de l’agriculture »
Le poids cumulé de l’État et de la FNSEA leur assurerait ainsi une confortable majorité. D’autant que l’alliance entre les deux semble solidement ancrée. Reporterre documentait, lors de la décision de dissolution des Soulèvements de la Terre en juin, comment le lobby pro-bassines travaillait main dans la main avec le ministère de l’Agriculture. « La FNSEA s’estime propriétaire de l’agriculture. Il a toujours existé un pacte de cogestion entre elle et le ministère de l’Agriculture. Pour devenir ministre, il faut être adoubé par la FNSEA », nous disait alors le journaliste Gilles Luneau, spécialiste des questions agroalimentaires. Jeudi 24 août, le ministre de l’Agriculture Marc Fesneau défendait encore bec et ongle les projets de mégabassines dans les colonnes de Ouest France.
En face, le « Parlement de l’eau » semble relégué à un rôle bien secondaire, presque consultatif. Thierry Burlot, le président du Comité de bassin Loire Bretagne, tente de jouer les médiateurs dans la crise des mégabassines, tout en avouant son impuissance. « J’ai demandé une pause à la Coop de l’eau 79. Mais je ne sais pas si je serai entendu », confiait-il à Reporterre avant les négociations. « Mais c’est la présidente du comité d’administration de l’agence, c’est-à-dire la préfète, qui décide ; nous, Comité de bassin, ne pouvons faire que de la médiation. »
Quand bien même le Comité de bassin aurait davantage voix au chapitre, encore faudrait-il qu’il soit perçu comme légitime, c’est-à-dire réellement représentatif. Aujourd’hui, sa composition est organisée d’une manière approchante de celle du CA de l’Agence de l’eau.