Par Henri Smets, membre de l’Académie de l’Eau.
A Calais, près de 5 000 migrants vivent dans des conditions inacceptables d’hébergement, d’alimentation, d’accès à l’eau, d’assainissement et de sécurité. Vu l’insuffisance des efforts pour corriger cette situation, Médecins du monde, le Secours catholique – Caritas France et quatre association de migrants ont déposé un référé liberté devant le Tribunal administratif de Lille pour obliger l’État à agir de façon plus efficace en vue d’améliorer les conditions de survie dans ce campement. Le Tribunal saisi a mis tout particulièrement en avant les insuffisances graves en matière d’accès à l’eau et le manque de toilettes.
Dans son ordonnance du 2 novembre 2015, le Tribunal administratif de Lille a déclaré qu’« il appartient aux autorités publiques de veiller à ce que les droits les plus élémentaires de ces personnes, constitutifs de libertés fondamentales, soient garantis ».
Concrètement, le Tribunal a condamné l’État à développer des points d’eau et des toilettes, à assurer le nettoyage des lieux et la collecte des ordures, à aménager un accès pour les véhicules d’urgence et a recenser les mineurs isolés. Le Tribunal a en particulier exigé la création sous astreinte de 100 € par jour de dix points d’eau supplémentaires comportant chacun cinq robinets et la mise en place de cinquante latrines. L’amélioration en matière d’hygiène sera sensible puisque qu’il n’y avait sur la Lande (la « jungle ») que quatre points d’eau, dont trois comportant cinq robinets et 66 latrines.
Le Ministre de l’Intérieur et la Ville de Calais ont fait appel de ce jugement. En novembre 2015, le juge des référés du Conseil d’État a rendu une ordonnance dans laquelle il a exposé qu’ « il appartient en tout état de cause aux autorités titulaires du pouvoir de police générale, garantes du respect du principe constitutionnel de sauvegarde de la dignité humaine, de veiller, notamment, à ce que le droit de toute personne à ne pas être soumise à des traitements inhumains ou dégradants soit garanti. ».
Le juge des référés du Conseil d’État a rejeté lundi 23 novembre l’appel formé par le ministre de l’Intérieur et la Ville de Calais contre la condamnation prononcée par le Tribunal administratif de Lille. Dans ce jugement, le Conseil d’État s’est référé à la Convention européenne sur les droits de l’homme qui interdit les traitements inhumains ou dégradants.
Conclusions : Lorsque l’État ne met pas en œuvre le droit à l’eau et à l’assainissement, il s’expose à une condamnation par les tribunaux si la privation d’eau ou d’assainissement est suffisamment grave. En effet, le droit à l’eau et à l’assainissement est un droit pour tous, même pour les migrants en situation irrégulière. Il n’est pas permis en France d’offrir des conditions de vie indignes, ni de porter atteinte à la dignité. L’État a des obligations positives en matière d’accès à l’eau et de protection de la santé auxquelles il ne peut se soustraire.
NB : Les textes des ordonnances du Tribunal administratif de Lille, N° 1508747 et du Conseil d’État sont disponibles sur internet (site Secours catholique). Voir l’Ordonnance 23 novembre 2015, ministre de l’intérieur, commune de Calais, Nos 394540, 394568.