Notre-Dame du 7 décembre

Bernard Tirtiaux, sculpteur de verre et écrivain, a créé la spoliation, une sculpture exposée à Bruxelles, devant l’hôtel de ville de Saint Gilles, samedi 7 décembre à l’occasion de l’anniversaire de l’entrée de l’eau en bourse à Chicago en 2020. Ce même jour, la réouverture de la cathédrale Notre-Dame était célébrée à Paris. Cette coïncidence lui a inspiré la vision à lire en lien ci-après…

« La restauration exemplaire de Notre-Dame est un pari réussi, salué par tous. Des voix multiples se font entendre. Elles sont enthousiastes, élogieuses, inconditionnelles. Nous sommes en présence d’une reconstitution historique hors normes qui mérite tous les « oscars ». Avec ses deux mille artisans, son maître d’œuvre exceptionnel, ce défi de reconstruction montre à la terre entière que nous pouvons opérer aussi bien que les artisans du moyen-âge qui, les pieds chaussés de godillots rudimentaires, grimpaient avec leurs outils sur des échafaudages de bois ligaturés de cordes. Ce chantier a ressuscité ce petit peuple de gens de métier qui sont les véritables auteurs de ces merveilles que sont les cathédrales et c’est justice. Il a rendu un hommage posthume au génial Viollet-Le-Duc qui a mis tous ses talents et ses imaginations au service de cette époque où les pierres gagnaient le ciel dans le vertige de la foi. Si la glorification du passé a pris le pas sur un geste architectural contemporain en rapport avec l’avenir que l’on redoute et l’espoir que l’on attise, cet extraordinaire déploiement d’énergies et d’efficacité technologique est la leçon que l’on retient de cette renaissance spectaculaire. Cinq ans contre deux siècles ! Une prouesse ! Bien sûr, les moyens n’ont pas manqué pour arriver à cette fin heureuse et c’est ce qui fait toute la différence. Le nerf de la guerre reste l’argent et cela m’amène à rebondir sur le chantier titanesque qu’il nous est donné d’entreprendre d’urgence aujourd’hui pour survivre et qui n’est autre que la rénovation d’une planète qui se portait bien quand Viollet-Le Duc était à l’ouvrage. Il faut sortir des coffres et des paradis les richesses séquestrées qui y sommeillent. Rien que pour la réouverture prestigieuse de Notre-Dame, la somme des fortunes rassemblées dans la nef se chiffrait en milliards. C’est tout dire!

Ironie du sort, la date du 7 décembre, choisie pour la réouverture de Notre-Dame, commémorait l’anniversaire tristement sinistre de la mise en bourse de l’eau à Chicago en 2020, un formidable coup bas de la Grande Finance s’appropriant ce bien commun en carence pour plus de la moitié de l’humanité pour en faire une denrée spéculative de plus en plus inaccessible aux démunis. Trente à quarante mille personnes meurent chaque jour par manque d’eau ou ingestion d’eau toxique. Parmi elles, de cinq à sept mille enfants. Il y avait dans la cathédrale, ce soir-là, de quoi changer tout cela, des ultrariches, un président qui saluait le courage de ce petit peuple solidaire autant que volontaire des artisans qui avait soulevé une montagne. Sous les voûtes refermées, tandis que la pluie dans son abondance et sa gratuité ruisselait sur la peau de plomb de l’édifice et par les gueules béantes des gargouilles, on a eu la vision fugace d’un monde de fraternité et de partage, un monde où des mains par milliers de millions travaillaient à la dépollution, la déplastification, le désempoisonnement des airs, des terres et des mers. Dans la haute nef où vrombissaient les orgues, m’est revenue en mémoire cette phrase évangélique autant qu’angélique. « J’avais soif et tu m’as donné à boire ! » Du vœu pieux dans ce parterre de nantis dont les aspirations sont plus guerrières qu’humanitaires ? J’ose espérer qu’une oreille cousue d’or ait entendu ce message et le propage. Ce serait la plus belle victoire de cette résurrection de pierres. »

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