Il faudra plus que des bonnes intentions et des objectifs généraux pour répondre à la crise climatique qui se manifeste avec une acuité particulière dans le domaine de l’eau. Les déclarations des ministres de l’agriculture et de l’écologie font irrésistiblement penser à un remake de la COP21 : des objectifs formidables, mais pas d’engagements concrets à la hauteur des défis et une mise en œuvre floue. Infos, commentaires et réactions du mouvement associatif.
L’eau dans mon quartier, action de sensibilisation à Paris
Nicolas Hulot, ministre d’Etat, ministre de la Transition écologique et solidaire, et Stéphane Travert, ministre de l’Agriculture et de l’Alimentation, ont présenté mercredi 9 août 2017 en conseil des ministres leurs axes d’actions sur la gestion quantitative de l’eau. Alors qu’un important épisode de sécheresse touche de nombreux départements, le gouvernement prétend apporter des solutions pour résorber durablement les situations de tension hydrique et associer pleinement les territoires à la politique de gestion de l’eau (Lire ici le communiqué officiel des deux ministres)
Engagement des citoyens …
Les deux ministres énumèrent des actions pour encourager la sobriété des usages. Tout d’abord, « il s’agit d’engager les citoyens, les entreprises ainsi que les administrations et les services publics dans des démarches d’économies d’eau, grâce notamment à des campagnes de proximité de sensibilisation et de communication, tout au long de l’année« . C’est ce que fait sur le terrain depuis plusieurs années la Coordination Eau Île-de-France, avec le soutien d’Eau de Paris: voir ici l’atelier d’écologie populaire Écolo, c’est économe! et là, l’exposition Écolo, c’est économe! Pourrons-nous désormais compter sur le soutien du ministère pour développer ce genre d’actions?
…Et dégagement des entreprises et des pouvoirs publics
Il s’agit ensuite selon les deux ministres de « poursuivre les investissements avec les collectivités pour accentuer la maintenance des réseaux afin de réduire au maximum les fuites dans les canalisations ». Il est vrai que le taux de fuite dans les réseaux dépasse au niveau national les 20%, un constat qui avait déjà conduit la loi Grenelle II de 2010, à fixer un objectif national de limiter le taux de fuites à 15% de l’eau produite. Et à introduire en 2014 des possibilités de sanctions des autorités organisatrices (lire ici). Nicolas Hulot qui a été l’inspirateur du Grenelle de l’environnement devrait tirer les leçons de cet échec puisque grosso modo rien n’a bougé depuis lors. C’est que les entreprises délégataires pratiquent une guerre d’usure pour s’exonérer de leurs responsabilités : leurs tergiversations, leur retard pour fournir les informations prévues, découragent les exigences de transparence des usagers. Les multinationales gagnent ainsi du temps, repoussent toujours à plus tard l’impératif de réparation coûteuse de leurs tuyaux percés. Pourtant les usagers ont payé depuis longtemps dans leur facture la maintenance et le renouvellement des réseaux : où est passé cet argent? La réutilisation des eaux usées traitées est aussi évoquée par les ministres: il s’agit du nouveau business des entreprises de l’eau et de l’assainissement, les lobbies sont passés par là!
Agriculture: les retenues ne passent pas
Production d’eau potable, industrie ou agriculture, chacun des secteurs de la société a besoin d’eau pour fonctionner. Le tout est de parvenir à une gestion équilibrée de cette ressource entre ces usages, afin d’éviter des situations comme celle d’aujourd’hui. A ce titre, la loi sur l’eau est claire : la priorité est donnée à l’eau potable, puis vient la part d’eau nécessaire à la survie des milieux naturels, objectif pour lequel France Nature Environnement se bat quotidiennement. Les usages économiques liés à l’eau ne viennent qu’en 3ème position. Alors il est bien difficile de comprendre et d’accepter le fait que dans une situation de sécheresse comme celle que connait actuellement la France, des dérogations sont accordées tout azimut, notamment pour les agriculteurs ! (Lire le communiqué « cessons les dérogations » de FNE).
Dans le domaine de l’agriculture, si des intentions générales comme « développer une agriculture plus économe en eau » font consensus, une mesure en revanche apparaît inacceptable : « réaliser (là où c’est utile et durable) des projets de stockage hivernal de l’eau afin d’éviter les prélèvements en période sèche, lorsque l’eau est rare« . Par définition, la multiplication des retenues d’eau n’est pas une solution durable, argumente France Nature Environnement (Lire ici le communiqué du 9 août 2017). Si l’on s’intéresse réellement au long terme, il faut réfléchir très sérieusement au changement de pratiques agricoles, poursuit FNE.
A ce sujet, on lira avec intérêt « Les enjeux du stockage de l’eau » par Benoit Biteau, agronome, paysan bio et… conseiller régional (PRG) de nouvelle Aquitaine.
Incompréhension des liens entre cycle de l’eau et climat
Dans un communiqué (lire ici), France Libertés salue les objectifs de Nicolas Hulot et l’appelle à agir concrètement. La fondation Danielle Mitterrand montre que les prélèvements en eau ne sont pas les seuls responsables de la sécheresse actuelle. La perturbation du cycle de l’eau local a également une incidence directe sur le régime des précipitations et donc sur le niveau des nappes phréatiques. France Libertés considère que des « solutions » d’urgence ne permettent pas de restaurer le cycle de l’eau local. « Seule une gestion durable de l’eau peut atténuer les effets du changement climatique. Eau et climat sont intrinsèquement liés et des alternatives existent pour rééquilibrer la situation climatique locale », explique Justine Richer, chargée du programme Eau- bien commun à France Libertés (…)
Oublié, le nucléaire joue pourtant un rôle majeur
Le refroidissement des centrales électriques (essentiellement nucléaires) constitue de loin le plus important prélèvement d’eau douce: cela représentait 17 milliards de m3 en 2013, soit trois plus que le prélèvement nécessaire à la production d’eau potable. Ce prélèvement s’effectue exclusivement sur des eaux de surfaces (contrairement à la production d’eau potable qui utilise 2/3 d’eaux souterraines et 1/3 d’eaux de surface). Ce prélèvement est particulièrement néfaste sur les cours d’eau en été, au moment de l’étiage, d’autant qu’il s’accompagne de rejets d’eau chauffée.
Consulter les données sur les prélèvements d’eau par usage et par ressource.
Une solution semble pourtant à portée de main, il est étonnant que nos ministres n’y aient pas pensé! En effet, 70% des prélèvements d’eau douce pour la production d’électricité sont concentrés sur quatre sites à circuit ouvert (les autres sont à circuit fermé et consomment beaucoup moins d’eau). Il s’agit de Fessenheim et de trois autres sites qui se trouvent sur le Rhône. Il suffirait donc de fermer prioritairement ces centrales!
Quelles solutions locales au désordre global?
Les objectifs établis par les ministres comprennent le choix de « faire émerger des solutions locales adaptées dans l’ensemble des territoires« . Sous cet objectif louable se trouvent essentiellement des mesures d’organisation administrative, de « gouvernance » institutionnelle… Mais surtout cela semble contradictoire avec les nouvelles ponctions prévues sur le budget des agences de l’eau qui sont sensées animer l’action des pouvoirs publics dans ce domaine: 180 millions d’euros en 2017, 300 millions d’euros en 2018. « Un double discours inquiétant » selon la gazette des communes.
En conclusion, rien de bien nouveau et de tangible dans les annonces gouvernementales, ce qui n’a pas échappé pas à ce consultant juridique, lire ici.