Saisir l’eau dans la ville

Après le succès de ses trois expositions photographiques – la première sur le cycle hydrosocial en 2014, la deuxième sur les techniques de pompage et les pratiques sociales liées à l’eau en 2017, la troisième consacrée à la diversité des pratiques de pêche en 2020 – l’association RésEAUx a le plaisir de lancer une nouvelle édition sous l’intitulé « Saisir l’eau dans la ville ».

ARGUMENTAIRE

La ville peut être envisagée comme un environnement hybride, ni naturel ni artificiel mais produit par l’imbrication de processus biophysiques et sociaux (Gandy, 2004). Dans la majorité des cas, c’est en s’établissant à proximité de sources d’approvisionnement en eau que les communautés humaines ont constitué ces lieux particuliers où s’agglomèrent et circulent les personnes, la matière, le capital, les savoirs et le pouvoir. En effet, le processus d’urbanisation est intimement lié à la maîtrise, voire la « conquête » de l’eau (Goubert, 1986), « une composante nécessaire de l’extension et de la croissance urbaine » (Swyngedouw, 1997, p. 312).

La ville offre des activités, des services, des équipements qui ont pour une large part à voir avec l’eau. Elle se donne également à voir et à vivre comme paysage et lieu récréatif. Selon les périodes et les contextes géographiques, cette dimension visible de l’eau est plus ou moins affirmée. Dans les sociétés marquées par les courants hygiénistes du XIXe siècle, les flux d’eau ont été largement canalisés et/ou enfouis pour des raisons de santé publique, modifiant radicalement le paysage urbain (Guillerme, 1983 ; Barles, 1999 ; Carré, 2011). La relation des habitant·es à l’eau dans l’espace extérieur et public s’est affaiblie à mesure que l’eau propre et domestiquée se diffusait dans l’espace privé (Bouleau et al., 2024, p. 10). Désormais, les chemins de l’eau en ville sont avant tout souterrains et contrôlés par une infrastructure technique complexe, dont la maintenance est devenue cruciale pour limiter le risque d’inondation par ruissellement. Dans les villes des Suds, la configuration infrastructurelle liée à l’eau est beaucoup plus contrastée. Dans les zones sous-dotées en équipements d’approvisionnement ou d’évacuation, l’eau est une préoccupation constante et bien visible, entraînant la mise en place de pratiques individuelles ou collectives pour l’accès à une ressource salubre et la prévention du risque lié aux fortes pluies. Ces pratiques impriment également leur marque sur l’espace urbain (Maazaz, 2021).

Tour à tour mise en scène ou cachée, parfois brusquement révélée, indésirable, vénérée, crainte ou espérée, l’eau est omniprésente en ville. Tout comme Goethe (1810) qui voyait en elle « un universel non encore fixé », nous vous invitons à mettre vos regards en quête des lieux, des êtres et des objets qui nous relient à l’eau et à saisir sa présence dans le corps vivant et agissant de la ville.

CONTRIBUTIONS ATTENDUES

Cet appel s’adresse aux chercheur·es et aux étudiant·es qui travaillent en sciences sociales sur les thématiques en lien avec l’eau dans la ville, toutes disciplines confondues ; aux acteurs·trices associatifs, aux gestionnaires, ou encore aux habitant·es. Toutes et tous sont invité·es à partager leur expérience et leur regard scientifique, artistique, documentaire ou sensible, aux quatre coins du globe.

Les contributions sont invitées à explorer un ou plusieurs des axes suivants, sans nécessairement s’y restreindre :

Axe 1. Capturer et révéler l’omniprésence discrète de l’eau en ville
Nous vous invitons à dévoiler les multiples facettes de la présence de l’eau en ville, souvent ténue ou discrète, temporaire voire éphémère (condensation sur les fenêtres, flaques après la pluie, vapeur émanant des bouches d’égout, etc.). Cette présence peut être rendue encore plus intermittente par les épisodes de sécheresse, ou au contraire plus vive à l’occasion de fortes pluies et d’inondations. Elle réapparaît également à la faveur de projets d’aménagement, artistiques ou patrimoniaux. Dans d’autres situations, elle est ordinaire et stabilisée, intégrée au paysage urbain par le biais d’objets comme les fontaines ou des plans d’eau. La présence de l’eau et d’un patrimoine souvent disparu (moulins, lavoirs, etc.) n’est parfois rappelée que par des signes discrets dans l’espace urbain, que nous vous proposons de saisir.

Axe 2. Le métabolisme urbain : flux et métiers
Il s’agit ici de rendre visibles les flux du métabolisme urbain assurant le fonctionnement de la ville : approvisionnement en eau potable, assainissement et gestion des eaux usées, gestion des eaux pluviales, etc. Ces derniers traversent la ville mais dépassent également son périmètre pour la connecter à ses périphéries. Ce défi technique, pris en charge par des infrastructures souvent anciennes, est réactualisé quotidiennement par des efforts de surveillance et de maintenance pour éviter le jaillissement involontaire ou le tarissement de l’eau. Nous vous invitons à aller à la rencontre des hommes et des femmes qui assurent ce travail de veille et de soin (Denis et Pontille, 2022) souvent invisible, parfois difficile. Des objets et des équipements caractéristiques de ce labeur, révélateurs des liens organiques entre la ville et ses ressources hydriques, pourraient également être mis en valeur.

Axe 3. Les pratiques liées à l’eau en ville : quelles connexions entre humains et non humains ?
L’eau en ville est l’objet de multiples usages, culturels, religieux,  récréatifs et ludiques. Parmi ceux-ci, les pratiques de rafraîchissement, informelles ou encadrées, se trouvent favorisées par le contexte de changement climatique. Ces pratiques, qui reposent parfois sur le détournement de l’usage conventionnel d’infrastructures, font (re)surgir l’eau d’une manière ou dans des lieux où on ne l’attendait pas. La connexion à l’eau dans l’espace urbain passe également par le maintien ou la réinvention de pratiques très anciennes ou plus souvent associées aux espaces ruraux dans l’imaginaire collectif, comme la pêche. Enfin, le lien à l’eau en ville peut aussi être servi par des aménagements s’appuyant sur l’eau pour développer les usages récréatifs ou écologiques de l’espace urbain. Ce sont toutes les formes favorisant la connectivité hydrosociale que nous invitons ici à capturer (Kondolf et Pinto, 2016 ; Germaine et Temple-Boyer, 2022).

INFORMATIONS SUR L’EXPOSITION

Les photographies sélectionnées seront imprimées sur support métallique. Elles seront accompagnées d’un cartel indiquant le titre, l’auteur·ice et la date de prise de vue, ainsi que le texte rédigé par le/la photographe pour présenter son œuvre (voir Modalités de soumission). Comme les éditions précédentes, cette exposition photographique sera itinérante et présentée à l’occasion d’événements scientifiques comme les Doctoriales en sciences sociales de l’eau. Elle pourra également être accueillie par des institutions scientifiques, des lieux d’enseignement de tout niveau, des associations et des collectivités, à leur demande. Un vernissage sera organisé à l’Université Paris Nanterre courant 2025.
À l’issue du cycle d’expositions, les auteur·ices seront recontacté·es et il leur sera proposé de récupérer le tirage de la ou des photographies soumises, sur lesquelles leurs droits sont réservés.

REGLES DE PARTICIPATION ET DE SELECTION

La participation à cette exposition est gratuite. Le tirage des photographies sélectionnées est à l’entière charge des organisateur·rices. Aucun frais ne sera remboursé aux participant·es.

Les personnes intéressées sont invitées à envoyer au maximum 5 (cinq) photos en couleur ou en noir et blanc, au format portrait ou paysage. Le ou la participant·e garantit être l’auteur·e du contenu proposé et de posséder tous les droits sur celui-ci.
Les photographies sont attendues aux formats jpeg, png ou tif. Leur dimension devra être d’au moins 1600 x 1200 pixels et leur résolution de 200 à 300 ppp minimum. Elles ne devront pas être issues d’une numérisation depuis un format papier, ni d’un photomontage, ni excessivement retouchées.

Chaque photographie devra être accompagnée d’un texte court (1500 à 1800 signes) présentant le contexte, l’élément ou la personne représentés et explicitant les enjeux techniques, sociaux et/ou environnementaux associés. Le fichier texte devra aussi indiquer les nom et prénom, statut et appartenance institutionnelle (le cas échéant) de l’auteur.e. Ce texte est à destination du jury et accompagnera ensuite la photographie si elle est sélectionnée pour l’exposition. De légères corrections pourront y être apportées si besoin.

La sélection du jury, composé de scientifiques, membres d’associations et photographes, se fera aussi bien sur la qualité de la photographie que sur la pertinence du texte par rapport à la thématique annoncée.

Les photographies sont à adresser au plus tard le 20 décembre 2024 par mail à l’équipe du RésEAUx : reseaup10@gmail.com. Merci d’indiquer dans l’objet du mail : Proposition de photos pour l’exposition « Saisir l’eau en ville ». Les auteur.e.s seront informé.e.s de la décision du jury à partir du mois de mars 2025.

LE RES-EAUX

Le Réseau d’Études et d’Échanges en Sciences Sociales de l’Eau (Rés-EAUx), constitué en association depuis janvier 2015, est un espace de discussion en sciences sociales sur les thématiques liées à l’eau. Il regroupe des étudiant·es de master, des doctorant·es et des chercheur·es travaillant sur l’eau dans différentes régions du monde. L’objectif est de croiser les regards scientifiques dans une perspective multidisciplinaire afin de nourrir des débats autour des enjeux de l’eau dans les sociétés contemporaines. Le Rés-EAUx organise des séminaires, ateliers, expositions à partir des recherches et des expériences de terrain de ses membres.

REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES

Barles S., 1999. La ville délétère. Médecins et ingénieurs dans l’espace urbain, XVIIIe -XIXe siècles, Champ Vallon.

Bouleau G., Lucas F., Mouchel J.-M. (dir.), 2024. La baignade en Seine et en Marne. Fascicule PIREN-Seine.

Carré C., 2011. Les petites rivières urbaines d’Île-de-France. Découvrir leur fonctionnement pour comprendre les enjeux autour de leur gestion et de la reconquête de la qualité de l’eau, Fascicule du PIREN SEINE, 88 p.

Denis J., Pontille D., 2022. Le soin des choses. Politiques de la maintenance, La Découverte.

Gandy M., 2004. Rethinking urban metabolism: water, space and the modern city. City 8 :3, 363–379.

Germaine M.-A., Temple-Boyer E., 2022. Un diagnostic de connectivité hydrosociale pour appréhender les potentialités d’usage des petites rivières urbaines : exemple du Croult et du Petit Rosne (Île-de-France). L’Espace géographique 3 :51, 212–237.

Goethe, 1810, Traité des couleurs (Farbenlehre).

Goubert J.-P., 1986, La conquête de l’eau. L’avènement de la santé à l’âge industriel, Robert Laffont

Guillerme A., 1983, Les temps de l’eau. La cité, l’eau et les techniques. Champ Vallon.

Kondolf G.M., Pinto P.J., The social connectivity of urban rivers. Geomorphology 277, 182– 196.

Maazaz I., 2021, Hydraulic bricolages: coexisting water supply and access regimes in N’Djamena, Chad. EchoGéo 57.

Swyngedouw E., 1997. Power, nature, and the city. The conquest of water and the political ecology of urbanization in Guayaquil, Ecuador: 1880-1990. Environment and Planning A 29, 311–332.

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