Lire ICI l’enquête titrée: « La politique de l’eau dans la tempête», publiée par le quotidien français Le Monde dans son édition du samedi 2 février 2013 (datée dimanche-lundi 3 et 4 février), confirme que les dévoiements mis à jour menacent toute la politique de l’eau en France.
ARTICLE DU JOURNAL DE L’ENVIRONNEMENT
Onema: la cour des comptes jette un pavé dans la mare
4 février 2013
Pratiques frauduleuses et manque de moyens… Le gendarme de la bonne qualité des eaux a du plomb dans l’aile.
L’Office national de l’eau et des milieux aquatiques (Onema) se voit torpillé par un rapport, à paraître, de la Cour des comptes. Les dysfonctionnements internes remettraient en question les missions de l’établissement public et l’actuelle politique de l’eau, dans la perspective d’un bon état écologique des masses d’eau en 2015. «Absence de fiabilité des comptes, budget mal maîtrisé sans procédure formalisée d’engagement de la dépense, sous-traitances non déclarées…». C’est une farandole de dysfonctionnements internes que s’apprêtent à pointer les sages de la rue Cambon, selon les informations de nos confrères du Monde, qui se basent sur un relevé d’observations provisoires daté de juillet 2012. Et ce n’est pas tout. Avec ses 874 agents et son budget annuel de 110 millions d’euros, l’Onema fait aussi l’objet d’une plainte contre X, déposée le 4 juillet dernier au parquet de Créteil par le Syndicat national de l’environnement (SNE-FSU) pour des fraudes commises lors de la passation et l’exécution de marchés publics, notamment «des fausses facturations, conflits d’intérêts, délits de favoritisme, faux et usages de faux…», précise le quotidien du soir. Une enquête préliminaire est en cours. Les conséquences s’avèrent d’autant plus graves que l’établissement public, créé par la loi sur l’eau et les milieux aquatiques du 30 décembre 2006, a pour mission d’encadrer la reconquête de la bonne qualité des masses d’eau d’ici 2015 et d’évaluer leur état via le Système d’information sur l’eau (SIEau). Plusieurs éléments expliquent pareil désastre. A commencer par les règles de fonctionnement internes. La présidence du conseil d’administration échoit à la direction de l’eau du ministère de l’écologie: l’organisme même de tutelle (1). Ce qui peut bloquer le suivi des messages d’alerte sur les infractions pénales. Cette collusion pourrait disparaître dans les semaines à venir, un décret étant en cours de rédaction au ministère de l’écologie. «Le président du conseil d’administration sera désormais nommé, tandis que le directeur de l’eau du ministère pourrait remplir le rôle de commissaire du gouvernement, comme c’est le cas dans les agences de l’eau», précise Bernard Rousseau, administrateur à l’Onema et pilote du réseau Eau à France Nature Environnement. Les conditions de création de l’organisme ne lui ont pas non plus été très favorables. «Le rapprochement entre le Conseil supérieur de la pêche et l’Onema, en 2007, s’est fait dans la précipitation. Par ailleurs, nous constatons sur le terrain le manque de moyens criant de l’Office national. L’été dernier, alors que nous leur avons signalé une pollution accidentelle des eaux, les agents ont mis 48 heures pour se déplacer et nous ont annoncé qu’ils n’auraient pas les moyens de procéder à des analyses», raconte Jean-François Piquot, porte-parole d’Eau et rivières de Bretagne. Permanent, le manque de moyens nuit à l’efficacité de l’Onema sur terrain. En 2011, environ 3.000 délits ont été constatés, dont 39% pour non-respect des règles d’épandage des pesticides à proximité des cours d’eau et 32% à cause des pollutions occasionnées, selon l’Onema. «Ce nombre d’actes très peu élevé montre la faillite du système de surveillance», déplore Bernard Rousseau. Un système peu fiable, du fait du turn over qui prévaut à l’Onema. Ses agents contractuels (très souvent en CDD) bénéficient en effet d’un statut au rabais par rapport à ceux des agences de l’eau qui relèvent d’un CDI, comprenant grades et parcours professionnel. D’une façon générale, ce n’est pas la première fois que la politique de l’eau est épinglée par la Cour des comptes. Déjà, en février 2010, les magistrats de la rue Cambon soulignaient l’insuffisance des leviers réglementaires et financiers mis en place dans l’Hexagone pour respecter la directive-cadre sur l’eau (voir JDLE). Alors que dans les mois à venir, la France n’échappera sans doute pas à une condamnation de Bruxelles pour non-respect de la directive Nitrates (voir JDLE), l’absence de réforme de la politique de l’eau pourrait coûter cher à l’Etat et aux masses d’eau. Mais il semble qu’il soit urgent de ne pas se hâter. Au ministère de l’écologie, on assure que ce dossier sera à l’ordre du jour de la prochaine conférence environnementale, prévue en… septembre 2013. «C’est plus largement un problème de responsabilité des pollueurs qui se pose», rappelle Jean-François Piquot. «Il est urgent de stopper la déréglementation actuelle, qui relève par-ci les seuils et supprime par là les zones jugées sensibles, pour favoriser le lobby de l’agro-business.» «Il y a des conflits d’intérêts partout, y compris au sein des hauts fonctionnaires présents dans les ministères», ajoute Jean-Luc Touly, membre du Comité national de l’eau et auteur d’ouvrages sur la corruption et la gestion de l’eau (2). Même son de cloche à France Nature Environnement, qui estime que le problème de fond relève de la gouvernance des institutions. La majorité des membres des principales instances, comme les comités de bassin, possèdent en effet des intérêts économiques peu favorables au respect d’une bonne qualité des eaux (chambres d’agriculture ou syndicats d’hydroélectricité). En plus d’être urgente, la réforme de la politique de l’eau s’annonce chargée.
A l’Onema, le rapport de la Cour des comptes est un non-problème. Dans un courrier adressé ce 4 février aux salariés de l’Onema et que le JDLE a pu consulter, sa directrice générale, Elisabeth Dupont-Kerlan, traite par le mépris ce rapport, «ancien», et toujours «pas public». (1) selon un décret du 25 mars 2007 (2) L’eau des multinationales, les vérités inavouables, Fayard, 2006; L’eau de Vivendi, les vérités inavouables, Fayard, 2003