Une large coalition s’est formée au Maroc pour soutenir le Hirak (mouvement) de l’oasis de Figuig contre la privatisation de l’eau potable. Voici son appel. Lire aussi le reportage « femmes en lutte pour le droit à l’eau », publié par enass.ma
Figuig: Femmes en lutte pour le droit à l’eau
À Figuig, les femmes mènent depuis un an une lutte pour protéger l’eau, à travers une mobilisation collective qui a marqué le hirak dès ses premiers rassemblements. Récit. Par Imane Bellamine
Lors de la caravane organisée par la coalition de soutien au Hirak de Figuig à Figuig du 15 au 17 novembre dernier, une rencontre a été dédiée aux femmes pour recueillir leurs témoignages sur ce combat.
Dans le salon d’une habitante de la ville, près de 30 à 35 femmes se sont réunies pour partager leur vécu, leur relation intime avec l’eau, et l’importance de leur engagement dans cette bataille.
« Ici, l’eau est tout »
Dans une région marquée par l’exode massif des hommes comme Figuig, les femmes représentent aujourd’hui près de 60 % de la population. Le quotidien des femmes est intimement lié à l’eau, qu’il s’agisse de leurs travaux dans les champs ou de leurs passages réguliers aux bahbouha, ces lieux communs où elles se retrouvent pour la lessive et le lavage. Ce lien privilégié les rend particulièrement sensibles à la menace que fait peser la privatisation de l’eau potable, envisagée au profit d’une entité orientée vers le profit, éloignée des besoins sociaux des habitant·es.
«Ici, chaque goutte a un poids, chaque source une âme, et chaque femme a un rôle essentiel à jouer»
«Figuig est une terre d’histoire, un bassin de traditions et un cœur battant de lutte pour l’eau. Ici, chaque goutte a un poids, chaque source une âme, et chaque femme a un rôle essentiel à jouer», nous lance Fatima une femme qui se porte volontaire pour inaugurer le témoignage.
Elle se souvient encore de sa grand-mère, partant chercher l’eau des sources. « C’était une coutume, une nécessité, on nous racontait cela, ensuite nous l’avons vécu à notre tour, l’eau est tout ce dont nous disposons ici », murmure-t-elle. Mais tout a changé. Ici, depuis longtemps, ces femmes s’impliquent dans les luttes locales, qu’il s’agisse de revendiquer des soins de santé ou de défendre l’accès aux terres. Cet engagement s’est manifesté dans ce combat de droit à l’eau avec force lors d’une marche féminine marquante, où elles ont défilé en haïks traditionnels, symboles de leur enracinement et de leur refus de toute exclusion. Ces femmes affirment depuis le début du Hirak, leur place dans la société, se définirait dans leur rôle de gardiennes de la terre, de la culture et de l’avenir de leur communauté.
« Quelle valeur ajoutée apporte cette société privée ?»
Aïcha une autre des femmes présente lors de cette rencontre féminine parle de l’eau avec une intensité spirituelle : « C’est une relation d’âme, pas simplement un besoin matériel. Même en expliquant, on ne parvient pas à transmettre ce que cela signifie. » Elle s’interroge : « Quelle valeur ajoutée apporte cette société privée ? Notre système de gestion est si original que même les ingénieurs n’en comprendraient pas les rouages. L’eau est à nous, et la décision doit rester entre nos mains. »
Pour elle, l’État n’a jamais pris en considération ces femmes fortes, ces gardiennes d’un équilibre fragile. « Nous sommes indépendantes; personnes nous nous a aidé depuis des années, nous avons tout fait seules jusqu’ici».
«Cette eau coule dans nos veines»
L’eau et sa gestion sont bien plus qu’un enjeu actuel : c’est une mémoire vive inscrite dans les veines des femmes des oasis.
Les témoignages se poursuivent. Fatiha, militante engagée dans la région, encourage ces femmes à s’exprimer, à raconter leurs préoccupations, à partager leurs luttes et à faire entendre leurs voix. Elle déclare : « Ici, nous sommes habituées à affronter la violence de la nature. Dès notre naissance, nous avons appris à gérer l’eau avec équité, selon un système hérité de nos ancêtres. » Pourtant, et selon elle, une autre menace plane aujourd’hui : celle des hommes et des politiques. « L’eau et sa gestion sont bien plus qu’un enjeu actuel : c’est une mémoire vive inscrite dans les veines des femmes des oasis. »
Elle insiste : « Ce sont les femmes qui travaillent qui utilisent le plus l’eau, qui ont une relation solide avec. C’est à elles de décider. », « Nous voulons préserver la vie oasienne. Nous ne quitterons pas ce territoire. »
Pour Zahra une femme âgée de Figuig, l’eau est bien plus qu’un bien commun : c’est la clé de leur survie. « Nous sommes pauvres. Nous n’avons pas de quoi faire la lessive à la maison, ni les moyens de payer l’eau. Ce que nos ancêtres nous ont laissé en héritage, nous voulons le protéger. »
« Les bahbouhas ne sont pas seulement un lieu où je vais faire ma lessive ou me baigner, c’est un endroit où je peux m’évader, rencontrer mes voisines et amies pour partager mes joies et mes peines. C’est le seul espace où je peux m’échapper du quotidien et la dureté du quotidien. C’est un peu comme une visite chez les parents, où les femmes se retrouvent pour partager un moment en famille et parler des soucis de la vie », souligne-t-elle.
« L’eau est au cœur de l’identité, de la vie et de la dignité des habitants de Figuig».
Les témoignages de Zahra, Fatiha, Aicha, et bien d’autres imposent une seule vérité: l’eau est au cœur de l’identité, de la vie et de la dignité des habitants de Figuig. Ce lien intime, presque sacré, traverse les générations et résiste aux tentatives de privatisation.
«Pour ces femmes, l’eau n’est pas seulement une ressource : elle est un héritage, une âme collective, une preuve de leur résilience face à des défis sans cesse renouvelés. Lorsque les autorités ou les sociétés privées menacent de briser cet équilibre, c’est tout un système d’existence qui vacille», souligne Fatiha
« À Figuig, on refuse de baisser les bras. On lutte pour préserver l’oasis et l’eau»
Avant de conclure : « À Figuig, on refuse de baisser les bras. On lutte pour préserver l’oasis et son eau, et cela coûte que coûte, car cette eau de source, coule dans nos veines, et sans elle nous ne pouvons pas vivre. »