L’article L 115-3 du Code de l’action sociale et des familles (CASF) concernant les coupures pour impayés a été modifié par la loi Brottes N° 2013-312 du 15 avril 2013. Ce texte législatif est parfaitement clair et les décrets d’application sont parus. Plusieurs jugements l’ont confirmé depuis. Il ne reste plus qu’à appliquer la loi. Sauf que les distributeurs d’eau ne mettent pas beaucoup d’ardeur à le faire.
L’excuse qui revient fréquemment dans le discours des entreprises, c’est qu’il faudrait faire la différence entre les usagers de « bonne foi » et les usagers de « mauvaise foi ». Pour les premiers, de « bonne foi », ces entreprises seraient prêtes à mettre en œuvre des dispositifs adaptés. Pour les seconds, les usagers de « mauvaise foi », l’interdiction des coupures serait le mauvais exemple que l’on donnerait à de méchants usagers qui n’attendraient que cela pour frauder ! La FP2E (Fédération professionnelle des entreprises de l’eau) dans un courrier d’octobre 2014 écrivait : « La lecture de cette loi (NDLR La loi Brottes) ne ferait qu’induire l’extension de la légitime protection préexistante des plus démunis (NDLR Ceux de bonne foi) à d’autres consommateurs pour lesquels les défauts de paiement ne répondent pas aux mêmes motivations (NDLR Ceux de mauvaise foi). »
La multitude de témoignages (plusieurs centaines) que la Fondation Danielle Mitterrand France Libertés et la Coordination Eau Île-de-France ont collectés, montrent que les choses sont plus complexes qu’il n’y parait.
D’une part, les usagers de « bonne foi », souvent en grande difficulté financière, surendettés, incapables de payer, sont traités avec une rare violence. Tous les cas portés devant les tribunaux par les associations sont là pour l’attester. D’autre part, pour les usagers que les entreprises de l’eau jugent de « mauvaise foi », l’exemple qui va suivre illustre bien l’importance qu’il y a à ne pas faire de distinction : les gens considérés de « mauvaise foi » ne le sont peut-être pas toujours !
Monsieur B. qui habite le Gard est usager d’un service de l’eau géré par l’entreprise Veolia. Rappelons qu’il est un usager « captif », puisqu’il n’a pas la possibilité de changer de fournisseur. Cette personne, se déplaçant beaucoup, fait en 2011 l’expérience de la mensualisation et du prélèvement. En fin d’exercice, au moment de la régularisation, il constate qu’il a trop versé. Il demande le remboursement, mais n’obtient pas satisfaction. On lui accorde simplement un avoir sur l’exercice suivant ! Ayant ainsi confirmé son impression que l’entreprise Veolia « fait de la trésorerie » avec son argent, il met fin à cette expérience.
En septembre 2014, il ne paie pas dans les délais (une dizaine de jours) sa facture semestrielle (il était en déplacement) et Veolia lui demande une pénalité de 12 €. En colère, il s’exécute le 1er octobre et paie sa facture d’eau (466,14 €), mais refuse, car il l’a contestée, de s’acquitter de la pénalité. Le 7 octobre 2014, un courrier de Veolia rappelle à Monsieur B. sa dette, dit que les pénalités sont justifiées, renvoie un duplicata de la facture, l’invite à régulariser sa situation et, à l’avenir, d’être en prélèvement automatique ! Le 28 octobre, Monsieur B. confirme sa position, s’excuse encore pour le retard de 10 jours dans son règlement, mais reste ferme dans sa décision : il ne paiera pas la pénalité. Une réponse, sans réel objet, sinon d’accuser réception du courrier de Monsieur B est envoyée par Veolia le 10 novembre 2014.
Le 10 décembre 2014, il constate une brutale et importante réduction de son débit d’eau. Il appelle la société Veolia (une plateforme téléphonique !) afin de savoir ce qui se passe. Son interlocutrice confirme que la réduction de la fourniture d’eau dont il est victime fait suite à un impayé. Après contrôle de son dossier, elle lui avoue avoir bien reçu le paiement de 466,14 €, mais constate que le chèque a été égaré et reconnaît une erreur de l’entreprise. Toutefois, elle lui dit que la remise en eau ne se fera que contre le paiement de sa dette qu’il lui faut payer immédiatement par carte bancaire. Il refuse, son interlocutrice lui fait part de sa « mauvaise foi » et lui confirme que sans ce 2ème paiement, il ne recouvrera pas un débit normal. Il réclame alors un document précisant la perte de ce chèque afin de faire opposition auprès de sa banque. Elle dit ne pas pouvoir le faire, se trouvant dans un centre d’appel, mais précise que dès le nouveau règlement de la somme de 466,14 €, Veolia fera un geste commercial et ne lui fera pas payer les frais de remise en eau ! Sympathique non ?
Monsieur B. confirme à Veolia, dès le lendemain (11 décembre 2014), ses propos par courrier en recommandé. Il en profite pour rappeler l’existence de la Loi Brottes qui interdit ces pratiques et somme Veolia de rétablir un débit normal. Il menace enfin de porter l’affaire devant les tribunaux.
Le 12 décembre, dès le début de matinée, Monsieur B. reçoit un appel téléphonique d’un agent de l’entreprise Veolia l’informant qu’il a reçu pour mission de traiter son dossier en urgence. Dès le début, il met en cause la « mauvaise foi » de l’usager. Très rapidement, Monsieur B s’aperçoit que son interlocuteur n’a pas les derniers échanges de courrier dans son dossier et ne reconnaît pas les « erreurs administratives » de son entreprise. Finalement, Veolia met fin à la restriction du débit le 22 décembre en fin de matinée.
Croyez-vous que cette affaire est réglée ? Bien sûr que non ! Veolia adresse à Monsieur B., le vendredi 9 janvier 2015, une lettre de désistement pour qu’il puisse faire opposition au chèque perdu par Veolia.
Quatre jours après, le mardi 13 janvier 2015, à 9 h 30, un agent de Veolia vient à nouveau au domicile de Monsieur B. pour réduire son débit et restreindre de nouveau le service. Monsieur B. étant présent, explique à l’agent la situation qui appelle son supérieur. Après échange sur la complexité de cette affaire, l’agent de Veolia repart sans avoir fait la restriction de service ordonnée par le service client.
Le mercredi 14 janvier 2015, l’opposition au chèque perdu étant faite, Monsieur B. envoie de nouveau son règlement de 466,14 € par courrier recommandé avec AR. Ce courrier avec le chèque arrive à l’entreprise Veolia le lendemain, le jeudi 15 janvier. Le même jour, ce 15 janvier, le même agent de Veolia vient à nouveau au domicile de Monsieur B. pour réduire son débit et restreindre de nouveau le service. Il explique à Monsieur B. ne pas pouvoir déroger à cet ordre, que son emploi est en jeu, conseille à Monsieur B. de téléphoner et réduit le débit de l’installation et restreint de nouveau le service.
Monsieur B. très en colère (et on le comprend) téléphone à son interlocuteur chez Veolia. Finalement, le technicien reviendra en fin de matinée mettre fin à la restriction du débit d’eau.
Nous en sommes là.
Au vu de cette histoire kafkaïenne, Monsieur B. est-il de « mauvaise foi » comme Veolia le prétend ? N’a-t-il pas, dans cette affaire, toujours payé son eau ? Il a simplement fait deux erreurs aux yeux de Veolia : d’une part, refuser de poursuivre la mensualisation et le prélèvement automatique et d’autre part refuser de payer une pénalité de 12 € pour un retard de 10 jours ! De son côté, Veolia a perdu le chèque de Monsieur B., n’est manifestement pas très au point au niveau de son organisation et ordonne 5 déplacements d’un agent au domicile de Monsieur B. pour restreindre ou remettre en état normal le service de l’eau. Est-ce cela, mettre en œuvre une bonne gestion d’un service de l’eau ?