Suite à l’article de Jean-Claude Oliva, de la crise des tarifs à la gratuité de l’eau, le Président du Comité national de l’eau, Jean Launay apporte des précisions utiles sur la situation dans son département, le Lot; s’il conteste le terme de « cagnotte » employé par son collègue Gilles Liebus, il confirme l’existence et l’importance de fonds soustraits temporairement à la gestion de l’eau pour réaliser des investissements dans d’autres domaines. Enfin il estime que l’eau est portée en haut de l’agenda politique, ce que nous ne percevons pas pour le moment. Le débat est lancé!
« 1/ Je préside le comité national de l’eau depuis 2012. Comme parlementaire jusqu’en 2017 et par décret du Premier Ministre du 01/08/2017 pour la législature en cours. Le mandat parlementaire n’est pas un mandat exécutif et il n’y a pas de hiérarchie entre les mandats; « l’autorité « liée à la fonction de Président du CNE ne peut donc pas s’imposer aux maîtres d’ouvrages locaux ; en l’occurrence ils sont encore près d’une centaine dans le département du Lot ! Et comme nul n’est prophète en son pays, je suis aussi désolé que vous de ne pas le voir plus exemplaire !
2/Si Gilles Liebus, président de Cauvaldor ( communauté de communes du nord du Lot ;77 communes pour 47337 habitants) peut avancer le chiffre de 30 millions d’€ de réserves financières relevant de la gestion de l’eau, je conteste le terme de « cagnotte « , et le lien fait avec la tarification de l’eau qui serait pompée pour l’alimenter.
Pourtant, au 31/12/2015, ce chiffre était une réalité puisque c’est celui que j’ai moi même communiqué lors d’assises de l’eau départementales organisées par la Préfète du Lot en 2016! Ancien comptable du Trésor, j’ai calculé ( par une simple addition) que c’est la somme du compte au Trésor des collectivités gestionnaires de l’eau . Et Bercy connaît au mois le mois l’état de ces finances !
Autre précision, et toujours pour 2015 ( dernière enquête exhaustive réalisée par le département sur le prix de l’eau)le prix moyen hors taxe du mètre cube d’eau était de 1,89€. Contenu dans une fourchette comprise entre 0,84€ et 2,95€/ mètre cube, le prix de l’eau reste maîtrisé. Enfin, les réserves financières sont aussi constituées des sommes que la collectivité départementale a versé par le passé aux gestionnaires locaux sous forme de subventions en annuités pour accompagner leurs programmes d’investissements.
Les fonds ainsi concentrés, certes importants, ne sont pas aux mains des multinationales !
3/ Pour autant , la situation est elle satisfaisante ? Je vous rejoins en disant :non. L’argent de l’eau doit rester à l’eau, au sens de son cycle complet ; et la maîtrise d’ouvrage devrait se réorganiser, dans le Lot comme ailleurs. Son émiettement nuit à la prise de décision, empêche les décisions en matière d’investissements et/ou nuit à leur cohérence.
La première phase des assises de l’eau( premier semestre 2018 et j’en étais le coordinateur général auprès du secrétaire d’état Sébastien Lecornu,), relative au petit cycle de l’eau a révélé ou confirmé :
– le sous investissement des collectivités
– les fuites et les gaspillages d’eau
– le nécessité des interconnexions pour sécuriser l’accès à l’eau pour tous quelque soit l’aléa climatique.
Et je continue de plaider pour une réorganisation de la maîtrise d’ouvrage sur les territoires, en régie ou en DSP, pour que l’argent de l’eau soit bien investi pour un bon usage de l’eau, une biodiversité protégée et des milieux aquatiques en bon état.
4/ Vous ouvrez enfin le débat de la tarification et celui, encore plus large, de la gratuité de l’eau.
Je retiens pour ma part quelques principes simples maintenant établis :
– l’eau est un bien commun
– le droit à l’eau (et à l’assainissement ) est reconnu en France ; même s’il reste beaucoup à faire, particulièrement dans nos outre mer, pour satisfaire à l’objectif de développement durable 6 de l’ONU consacré à l’eau.
-l’eau n’est pas un bien marchand; elle doit être l’objet de solidarités ( y compris entre collectivités); c’est son traitement et sa mise à disposition au robinet du consommateur qui a un coût.
-la tarification sociale de l’eau a été expérimentée ( loi Brottes); elle est maintenant encouragée ( loi engagement et proximité promulguée le 27/12/2019) les modalités de mise en œuvre ( chèque eau , modulation tarifaire..) et les critères d’attribution étant laissés à l’appréciation des gestionnaires locaux.
Le fait que le sujet de l’eau ait été porté en haut de l’agenda politique doit nous réjouir. L’eau nous oblige à sortir des réflexions en silos, uniquement verticales; par sa transversalité, elle nous oblige à lier environnement, social et économie. Une vrai cause pour le développement durable que nous partageons ! »