Deux ans après sa pérennisation via la loi Engagement et proximité en 2019, la tarification sociale de l’eau reste confidentielle. Une mission flash conduite par deux députés propose des pistes pour faciliter la mise en œuvre de ce dispositif. Articles de La Gazette et d’Actu Environnement.
Où en est la tarification sociale de l’eau, lancée via une expérimentation en 2013 puis pérennisée (1) en 2019 ? C’est à cette question que se sont intéressés les députés Lionel Causse et Hubert Wulfranc, à travers une mission flash dont les conclusions ont été présentées le 23 février 2022 à la commission du développement durable de l’Assemblée nationale.
Pour rappel, les charges d’eau représentent en moyenne 1% du budget des ménages, mais plus de 3% pour environ 11 millions de personnes en situation de pauvreté. Or, à part les 41 collectivités ayant fait partie de l’expérimentation, peu d’autres ont adopté ce dispositif. Pour identifier les difficultés et les solutions à apporter, les députés ont auditionné, pendant trois semaines, des collectivités, des services d’eau et d’assainissement, des représentants de usagers, une chercheuse, la direction eau et biodiversité du ministère de la Transition écologique, l’OFB, la Cnil…
Des refus illégaux
La tarification sociale de l’eau peut prendre plusieurs formes : des aides forfaitaires (type chèque eau), une modulation du prix de l’eau, des aides personnalisées via les CCAS. « Les collectivités ne se sont pas emparées de l’outil notamment car il est difficile d’identifier les personnes qui pourraient en bénéficier », indique Lionel Causse. Identifier les bénéficiaires via leur accès à la CMU ou leur quotient social est légalement possible en contactant les antennes de la Sécurité sociale ou de la CAF, mais ces informations sont parfois refusées aux services d’eau et d’assainissement. « Selon la direction Eau et biodiversité du ministère, un projet de décret pour clarifier les conditions de transfert de données des CPAM et des CAF est en cours de consolidation au Conseil d’Etat. Mais nous n’avons pas pu en savoir plus sur les échéances ni son contenu », indique Lionel Causse.
Par ailleurs, les bénéficiaires eux-mêmes ne réclament par leur droit. Autre cas : le coût de gestion, estimé à 1 centime d’euro par mètre cube par un syndicat, est rédhibitoire pour la collectivité, au regard du montant des aides allouées.
Bientôt un décret pour clarifier le transfert de données
Les députés recommandent donc d’établir un plan d’action pour améliorer l’accès à l’eau dans chaque collectivité : connaître les usages et les consommations, établir un indice de précarité hydrique (personne seule, plutôt jeune, allocataire de la CAF et du RSA), et de développer un référentiel national à l’intention des collectivités, pour réunir des informations aujourd’hui disparates, permettant d’identifier les mesures les plus adaptées au contexte local. Autre piste : établir un guide administratif définissant trois tranches (0-80 m3/an pour les besoins essentiels, 80-200m3/an pour l’eau utile et au-delà de 200 m3/an pour l’eau de confort). Cette tarification « pourrait être complétée par des aides financières quand la facture est supérieure à 3% du budget ou pour les familles nombreuses. Et cette tarification n’a de sens que si la part fixe est raisonnable », complète Hubert Wulfranc. Et les modalités doivent être simples, à l’instar de Grenoble où les coûts de gestion sont de 25 000 euros/an pour 10 000 ménages. La distribution de kits techniques a également fait ses preuves, permettant de diminuer les consommations de 20% à Montpellier Méditerranée Métropole, et de 12 % dans d’autres collectivités.
Tarification sociale de l’eau : premier bilan sur le dispositif
Une « mission flash » consacrée au bilan de l’expérimentation d’une tarification sociale de l’eau, dite loi Brottes du 15 avril 2013, a été menée par la Commission du développement durable et de l’aménagement du territoire. Un bilan mitigé, alors que l’accès à l’eau pour tous est sanctuarisé par la loi du 30 décembre 2006.
Les charges d’eau sont supérieures à 3 % des revenus pour plus d’un million de foyers, un seuil utilisé pour identifier les populations confrontées à des difficultés d’accès à l’eau. Dans le cadre de la loi Brottes, 41 collectivités ont testé une série de mesures afin d’alléger la facture eau des ménages. Parmi les choix expérimentés pour les aides : des chèques eau, utilisés pour acquitter les factures d’eau ; une allocation, versée directement sur le compte en banque du bénéficiaire (ex. : métropoles de Nantes et de Grenoble pour les ménages dont la facture d’eau dépasse 3 % de leurs ressources) ; une modulation du prix de l’eau pour certaine catégorie d’usager ; des aides apportées au cas par cas en fonction des besoins. Une sensibilisation aux économies d’eau a par ailleurs été menée afin de diminuer le montant des factures.
Des blocages administratifs
Ces mesures ont été parfois difficiles à mettre en place en raison de blocages administratifs et techniques (données non transmises par les services sociaux, erreurs sur les abonnés). A ces freins s’ajoutent une méconnaissance des aides par les abonnés, qui n’y ont pas recours car ils ne les connaissant pas ou qu’ils les trouvent trop complexes à mettre en œuvre.
Une meilleure connaissance des usages
Parmi les préconisations figure l’établissement d’un état des lieux pour chaque collectivité, destinés à mieux identifier les besoins. Ainsi, une étude va être lancée dans la métropole de Nice-Côte d’Azur, en 2022, où il apparaît que 20 % des consommateurs représentent environ 80 % des consommations d’eau potable, avec une moyenne par habitant de 80 m3 par an, ce qui est très élevé par rapport à la moyenne nationale. Il est proposé une tarification progressive à établir selon les consommations, qui serait assortie d’un encadrement du prix de l’abonnement.
Une solidarité entre les territoires
Il est également envisagé une harmonisation des prix par bassin de vie, en mutualisant les services et en opérant une solidarité entre les territoires (le taux de pauvreté des territoires desservis par le Sedif est compris entre 5 et 45 %, les plus pauvres bénéficient d’aides plus conséquentes grâce à la mutualisation des moyens). Différentes pistes ont été abordées pour résoudre les problèmes rencontrés lors de l’expérimentation pour les échanges de données. Selon les dernières informations transmises par la direction de l’eau et de la biodiversité, un projet de décret en Conseil d’État est en cours d’élaboration. Il devra définir la liste des données personnelles pouvant être transmises, ainsi que les modalités de mise à disposition des informations. Enfin se pose la question des personnes non raccordées pour lesquelles la mise en place de schémas directeurs d’alimentation en eau potable pourrait être adaptée pour répondre à la problématique.