À deux semaines près au cours du mois de mars, nous célébrons la journée mondiale des droits des femmes et la journée mondiale de l’eau. « Célébrer » : un mot sans doute mal choisi. Au quotidien, le fardeau de la gestion de l’eau a de lourdes conséquences sur les femmes et les filles. Analyse par Anne Le Strat, ex-présidente d’Eau de Paris et Pedro Arrojo-Agudo, rapporteur spécial des Nations Unies sur les droits humains à l’eau et à l’assainissement. Publiée dans Le Club de Médiapart.
À deux semaines près au cours du mois de mars, nous célébrons la journée mondiale des droits des femmes et la journée mondiale de l’eau. « Célébrer » : un mot sans doute mal choisi, au regard des faits et du vécu des personnes pour qui ces droits sont tout sauf garantis.
Aujourd’hui encore plus de 2,2 milliards de personnes vivent sans accès à de l’eau salubre, et cette injustice fondamentale touche d’abord et avant tout les femmes et les filles. Si dans les pays dits développés l’eau au robinet est une évidence, ce n’est pas le cas dans les pays en développement où la collecte de l’eau incombe massivement aux femmes et aux enfants, à majorité les filles.
Selon l’UNICEF, ce sont près de 200 millions d’heures que les femmes et les filles passent chaque jour à collecter de l’eau : un temps et une tâche considérables, à des fins domestiques et de culture agricole, et pourtant ce travail non rémunéré n’est souvent ni reconnu ni pris en compte dans les politiques publiques et les programmes d’action. Les femmes n’en assurent pas moins une activité cruciale dans la production alimentaire. Selon la FAO, elles représentent près de la moitié de la main-d’œuvre agricole dans les pays en développement.
Pourtant, les politiques de l’eau liées à l’agriculture continuent de supposer à tort que les agriculteurs sont des hommes, marginalisant ainsi les femmes.
Au quotidien, le fardeau de la gestion de l’eau dans des zones urbaines ou rurales pour lesquelles cette ressource n’est pas accessible simplement a de lourdes conséquences sur les femmes et les filles. Cela impacte leur santé, leur hygiène personnelle, leur autonomie financière et leur capacité d’émancipation. Cela les prive notamment d’accès à l’éducation et par conséquent de pans entiers du marché du travail, les reléguant au rôle familial et domestique en les marginalisant socialement.
Mais si cette inégalité criante entre femmes et hommes face à l’accès à l’eau ne suffisait déjà pas, s’ajoute une autre violence, appelée « water sextorsion » : le sexe contre de l’eau.
Ce phénomène, malheureusement pas nouveau, prend des formes diverses, qu’il s’agisse d’agressions sexuelles sur le chemin de la collecte d’eau, contre la fourniture d’eau, pour un accès au point d’eau ou aux toilettes. Les femmes et les filles sont, naturellement, touchées de manière disproportionnée par cette corruption non monétaire et sexuée.
Disposer d’eau, premier des droits humains, rime ainsi dans de nombreux endroits du monde avec le fait de laisser d’autres disposer de son corps. Si l’ampleur du phénomène commence à être reconnue, il n’est pas encore appréhendé au sein des multiples instances de pouvoir et de décision à sa juste hauteur.
Il faut rompre le silence sur ces pratiques aux contours multiples mais qui conduisent toutes à transformer le corps de la femme en un moyen d’échange pour un accès à l’eau.
Cette situation dramatique s’accompagne de, et s’explique par, une désolante absence des femmes dans les systèmes de gouvernance de l’eau.
Bien que l’approvisionnement en eau et son usage au quotidien restent essentiellement leur responsabilité, elles demeurent largement exclues des processus décisionnels concernant la gestion des ressources. Or donner plus de pouvoir aux femmes et les reconnaître comme principales actrices dans le changement des pratiques et des politiques mises en œuvre est au contraire une condition sine qua non pour répondre aux défis actuels et futurs liés à l’eau.
La jouissance d’un besoin aussi essentiel que l’eau concentre ainsi, au 21e siècle, d’insupportables inégalités de genre. Or, ces questions sont encore insuffisamment prises en compte dans les actes et les mesures politiques. Alors que s’ouvre la 9ème édition du Forum mondial de l’Eau et que se préparent de nombreuses conférences internationales relatives à l’initiative lancée par l’Assemblée générale de l’ONU sur la Décennie d’action pour l’eau (2018-2028), les droits des femmes à l’aune de l’accès à l’eau doivent devenir un point d’attention majeur.
L’accès à l’eau est un droit humain, dont la garantie devrait être une priorité pour tous les gouvernements. Soutenir la réalisation des objectifs onusiens de développement soutenable d’ici 2030 et lutter contre la crise mondiale de l’eau exigent que soit reconnue l’imbrication fondamentale des droits des femmes et du droit à l’eau. Il est grand temps que la défense de ce dernier mette les premiers au centre.
Anne Le Strat, ex-présidente d’Eau de Paris, consultante senior pour UN-Habitat
Pedro Arrojo-Agudo, rapporteur spécial des Nations Unies sur les droits humains à l’eau et à l’assainissement