En été, les rejets des centrales nucléaires détraquent les cours d’eau

Article de Flora Chauveau publié par Reporterre le 28 juillet 2015.

Par temps de sécheresse, la biodiversité des fleuves souffre davantage des rejets d’eau chaude des centrales nucléaires. Ils perturberaient même la migration de certaines espèces comme les truites ou les saumons. Ces problèmes vont s’aggraver avec le réchauffement climatique

Les températures élevées de ces derniers jours se font ressentir dans nos cours d’eau. Un problème relevé par le réseau Sortir du nucléaire : les rejets d’eau issus des centrales seraient pour beaucoup dans les variations de température des fleuves. En effet, pour refroidir ses circuits, une centrale pompe une grande quantité d’eau qu’elle rejette ensuite. La température de ces rejets est limitée, selon les centrales.

Faible débit, forte concentration

« Ce problème se pose essentiellement en été, explique Roberto Epple, président de l’association SOS Loire Vivante. Des rejets, il y en a tout le temps. Mais en période estivale, la Loire a un débit très faible, la concentration de chaleur et de radioactivité est plus forte. Sans compter que l’eau est naturellement plus chaude. »

Même constat sur le Rhône, malgré un débit plus élevé. « La réglementation recommande de ne pas dépasser une température de 25°C, indique Daniel Reininger, président régional d’Alsace Nature. Ce seuil est déjà dépassé en aval, à l’entrée de la partie allemande. » En un siècle, la température du fleuve aurait augmenté de 3°C.

La hausse de la température des fleuves a un impact sur l’équilibre de la faune et de la flore. « Certains poissons migrateurs aiment l’eau fraîche, dit Daniel Reininger.Les truites ne sont pas à l’aise au-delà de 20°C. Cela provoque chez elle un stress, elles sont plus fragiles et sensibles aux maladies, la migration peut être interrompue. » Même chose dans la Loire. « À certains endroits, on voit une explosion des algues, qui abaissent encore le taux d’oxygène de l’eau. Ce phénomène est également dû à la pollution, mais la situation est aggravée par la hausse des températures. » Pour l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN), « les études récentes ne mettent pas en évidence d’impact des rejets sur la flore piscicole ».

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La centrale nucléaire de Belleville-sur-Loire (Cher)

Fragile Loire

La vallée de la Loire est particulièrement sensible, puisque pas moins de douze réacteurs occupent ses rives. L’impact de rejets simultanés dans le fleuve pourrait avoir des effets significatifs. La loi impose d’ailleurs que les différentes centrales se coordonnent sur ce sujet. Or, le réseau Sortir du Nucléaire a relevé que les agents ne semblaient pas être au courant de ce processus. Lors d’une inspection menée en avril 2014 par l’Autorité de sûreté nucléaire dans la centrale de Belleville-sur-Loire, les responsables ont répondu ne pas être « en mesure d’indiquer si [cette] exigence réglementaire était déclinée dans l’organisation locale et nationale d’EDF ».

Contactée par Reporterre, EDF assure disposer d’une coordination interne et être présente dans les services déconcentrés de l’État qui gèrent la ressource en eau. Mais Sortir du Nucléaire a porté plainte le 17 février dernier contre EDF pour une série de dysfonctionnements dans la centrale, dont le potentiel manque de coordination

« Actuellement il n’y a pas d’enjeu, assure l’ASN. On a eu de courtes périodes de canicule mais les limites de températures n’ont pas été dépassées. » Pourtant, en raison de la chaleur et pour respecter la réglementation, EDF a diminué la production de plusieurs réacteurs, le week-end du 18 et 19 juillet : à Bugey (Ain), Saint-Alban (Isère) et Tricastin (Drôme). Le réacteur Bugey 2 a même été en arrêt temporaire le dimanche. L’entreprise assure pouvoir compter sur les autres sources d’énergie et sur l’import d’électricité pour faire face à la baisse d’activité ponctuelle.« Nous privilégions aussi le fonctionnement des centrales de bord de mer qui ne sont pas affectées par la canicule. »

Avec le changement climatique, des canicules plus fréquentes

Les vagues de chaleur sont plus fréquentes depuis trente ans, et risquent de s’intensifier dans les prochaines décennies, selon Météo France : « Les épisodes entre 1981 et 2014 ont été deux fois plus nombreux que ceux de la période 1947-1980, de durée équivalente », peut-on lire sur leur site. Après la canicule record de 2003, un groupe de travail piloté par le ministère de l’Écologie en association avecEDF et l’ASN, a été chargé de trouver des solutions pour faire face à ce type d’événement climatique.

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La centrale nucléaire de Tricastin (Drôme)

Le plan d’action « Grand Chaud » a été mis en place, dans le but « d’améliorer les performances des installations et faire en sorte que l’eau rejetée soit moins chaude », selon l’ASN. Parallèlement, en cas de situation exceptionnelle, certains seuils légaux peuvent être franchis. La directive européenne 2006/44/CE du 6 septembre précise que « ces valeurs peuvent être dépassées pendant 2 % du temps (soit 7 jours par an) ». Les dérogations, « limitées géographiquement », peuvent être appliquées s’il est prouvé qu’elles « n’auront pas de conséquences nuisibles pour le développement équilibré des peuplements de poissons. »

« Aujourd’hui, les centrales disent que les arrêtés sont respectés, mais une température de rejet ne produit pas le même effet si le débit du fleuve est fort ou faible ! » réagit Daniel Reininger d’Alsace Nature. « Il faut arrêter les centrales en été, du moins ponctuellement, demande Roberto Epple. J’ai rarement vu la température de la Loire si élevée. » Le réseau Sortir du nucléaire promet de dénoncer « toutes les mesures qui seraient prises par les autorités pour continuer à faire fonctionner les centrales au mépris de la protection des cours d’eau ».

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