Exemples prototypiques de solution basée sur la nature, les systèmes traditionnels de rétention d’eau que sont les johads ne datent pas d’hier, au contraire. Mis en œuvre en Inde depuis 1500 avant J.-C., les johads ont longtemps permis de maintenir le cycle de l’eau dans certaines régions arides du pays. Un fonctionnement qui a fait ses preuves, mais qui a été délaissé par l’empire britannique lors de la colonisation du pays. Par Cécile Massin dans La Relève et La Peste.
Au Rajasthan, la mise en place de systèmes traditionnels de rétention d’eau a permis de faire reculer la sécheresse. Un modèle de gestion communautaire de l’eau à l’initiative duquel se trouve un militant invétéré pour l’accès à l’eau pour tous, Rajendra Singh. Explications.
Pour un non-géographe, difficile de situer le Rajasthan sur une carte. Et pourtant, cet État du nord-ouest de l’Inde a de quoi susciter l’attention. Dans cette région particulièrement aride, la mise en place d’un système de gestion communautaire de l’eau permet aux habitants, depuis les années 80, de résister aux pénuries d’eau et à la sécheresse, et ainsi de pouvoir à nouveau habiter ce territoire qui, faute d’eau, se vidait de sa population.
Une gestion communautaire de l’eau, loin des solutions occidentalo-centrées, à l’origine de laquelle se trouve l’ancien médecin et militant indien Rajendra Singh. Fervent militant de l’accès à l’eau pour tous, ce dernier a d’ailleurs fait le déplacement au Village de l’eau en juillet dernier à Melle, dans les Deux-Sèvres, pour partager son expérience avec les militants français et internationaux présents. On rembobine.
« Les personnes âgées n’avaient pas besoin de soins, mais d’eau »
Rajasthan, milieu des années 80. Fraîchement diplômé de médecine traditionnelle, Rajendra Singh se rend au nord-ouest de l’Inde où il entend prodiguer des soins à la population locale. Rapidement, « sur place, les personnes âgées m’ont dit qu’elles n’avaient pas besoin de soins, mais d’eau », relate Rajendra Singh pour La Relève et La Peste, les yeux pétillants. Il faut dire qu’à cette époque, de l’eau, il en manque terriblement au Rajasthan. « Du fait de l’exploitation agricole notamment, les nappes phréatiques sont épuisées », précise le militant indien. Conséquence directe : une partie de la population quitte progressivement la région à la recherche de conditions de vie meilleures.
Un contexte alarmant dans lequel Rajendra Singh découvre l’existence des « johad », des réservoirs qui permettent de collecter les eaux de pluie pendant la saison des moussons et recharger les nappes phréatiques.
« Avec la mousson, il peut pleuvoir de très grandes quantités d’eau en quelques jours, détaille Rajendra Singh, mais le problème, c’est qu’elle s’évapore. L’enjeu des johad, c’est de réussir à garder l’eau au sein des réservoirs pour qu’elle s’infiltre dans les sols et recharge les nappes. »
Recharge les nappes phréatiques
Exemples prototypiques de solution basée sur la nature, les systèmes traditionnels de rétention d’eau que sont les johad ne datent pas d’hier, au contraire. Mis en œuvre en Inde depuis 1500 avant J.-C., les johad ont longtemps permis de maintenir le cycle de l’eau dans certaines régions arides du pays. Un fonctionnement qui a fait ses preuves, mais qui a été délaissé par l’empire britannique lors de la colonisation du pays.
« Les Britanniques ne savaient rien des bons usages des johad, lâche Rajendra Singh, le visage fermé. Ils ne comprenaient pas que ce n’était pas de l’eau sale. »
En lieu et place des johad, la puissance colonisatrice met en place un système de gestion de l’eau basé sur les grands barrages, les égouts ou encore les canaux d’irrigation. Pourtant, « les atouts des johad sont énormes, développe Édith Félix, coprésidente de l’association Coordination Eau Île-de-France pour La Relève et La Peste. Ils permettent de recharger les nappes phréatiques, ce qui a permis de relancer l’agriculture, mais aussi que la population locale puisse accéder à l’eau potable. »
Des propos largement corroborés par Rajendra Singh : « Et les rivières se sont remises à couler ! » continue le militant pour l’eau, qui chiffre à 17 le nombre de rivières à s’être de nouveau remplies depuis le premier johad reconstruit en 1985. Conséquence directe : « plus d’un million de personnes sont revenues vivre au Rajasthan depuis qu’on a remis en place des johad », s’émerveille Rajendra Singh, pour qui l’exode rural de la population constituait un sujet de préoccupation majeur.
Impliquer les populations locales
Aujourd’hui, plus de 40 ans après la remise en place d’un premier johad au Rajasthan à l’initiative de Rajendra Singh, ce dernier comptabilise 14 800 réservoirs d’eau traditionnels installés en Inde. Des johad construits grâce aux populations locales, qui s’organisent notamment grâce à la mise en place de conseils d’habitants pour la construction comme la maintenance des johad. « On a réussi à faire tout ça sans aucune aide de l’État », insiste le militant, pour qui « la gestion communautaire de l’eau est la meilleure façon de lutter contre l’appropriation de l’eau ».
Une implication des populations locales dans la gestion de l’eau qui inspire tout particulièrement l’association Coordination Eau Île-de-France. Mobilisée pour le droit à l’eau et à l’assainissement, l’association met notamment en place des pétitions et votations citoyennes afin de renforcer le mouvement associatif et citoyen autour de l’eau et impliquer autant que faire se peut les Franciliens dans les prises de décision. « Entre l’Inde et la France, les situations sont évidemment différentes, souligne Édith Félix, mais l’enjeu d’impliquer au maximum les populations locales est identique.»
Un enjeu communautaire sur lequel Rajendra Singh entend continuer à travailler. Loin de se reposer sur ses lauriers, celui qui a reçu en 2015 le Prix de l’eau de Stockholm – souvent qualifié de « Prix Nobel de l’eau » –, prévoit de répliquer la mise en place de johad dans d’autres territoires que les espaces ruraux indiens.
« Si ce sont les populations elles-mêmes qui s’occupent de la gestion de leur eau, comment des multinationales comme Coca-Cola ou Nestlé peuvent-elles leur voler? » conclut Rajendra Singh.