La « nouvelle » politique départementale de l’eau se traduit en fait par un retour vers les heures les plus opaques du tristement célèbre « modèle français de l’eau ». Une analyse critique du rapport à l’ordre du jour du conseil départemental du 25 septembre.
Avant même de recenser les facteurs de cette régression, notons que le revirement opéré par rapport à l’ancienne politique adoptée il y a cinq ans n’est à aucun moment explicité ni assumé;
Il n’y a pas une ligne dans le rapport pour tirer le bilan de cette politique et pour justifier l’abandon de ses principes directeurs.
Ce pari sur l’amnésie collective n’est pas très courageuse ni très respectueuse du rôle de l’Assemblée Départementale.
Il faut y ajouter l’éviction pure et simple des acteurs associatifs des rares échanges préparatoires à cette délibération, alors qu’ils avaient apporté une contribution précieuse à la définition de la politique précédente.
Il faut vraiment ne rien comprendre à l’évolution de notre planète et aux exigences des terriens pour croire qu’on peut, pour un bien commun aussi vital que l’eau, définir une politique de l’eau opérationnelle en se barricadant dans l’entre-soi du sérail politique local.
Prenons le temps du bilan :
Il y a cinq ans, notre politique de l’eau prenait pleinement en compte le contexte essonnien. Un contexte très défavorable aux collectivités. Un contexte marqué, depuis un siècle par l’emprise du duopole Suez et Veolia sur nos service de distribution d’eau.
Une situation assurément subie par beaucoup d’autres en France, payée au prix fort en termes de surfacturation, canalisations fuyardes, lobbying corrupteur à l’encontre des élus locaux; avec des délégations renouvelées sur la base de cahier des charges rédigés par les délégataires eux-mêmes, et la multiplication de leurs filiales pour noyer les bénéfices des maisons mères .
Mais s’y ajoutait pour nous Essonniens, le « privilège » d’une double peine : à savoir, la position de monopole de Suez également sur la production d’eau, à l’égard de 80% de notre population.
Une situation tellement déséquilibrée en défaveur de nos collectivités locales que l’Essonne a fait l’objet en 2005 de la seule condamnation prononcée dans le domaine de l’eau par le Conseil national de la concurrence pour abus de position dominante, à l’encontre de la Lyonnaise des eaux.
En 2012, dans ce contexte difficile, et face à la montée importante des compétences et des responsabilités, y compris pénales, des élus locaux en matière de qualité, de protection, de régulation et de préservation de la ressource en eau, notre département s’est montré à la hauteur. Il a tenu sa place dans le mouvement des habitants et élus engagés pour nous affranchir de la marchandisation de l’eau, un modèle incapable de répondre aux enjeux d’une gestion raisonnée de l’eau de son captage à son retraitement.
En 2012, l’aide apportée aux études des collectivités soucieuses de retrouver la maitrise du service public d’eau potable, les subventions bonifiées apportées aux opérateurs publics pour leur investissements en matière de réseaux et de production, ont contribué précieusement à la dynamique engagée depuis 7 ans pour redonner aux essonniens et à leurs élus la connaissance et la maitrise de leur eau potable. Une dynamique totalement occultée par le rapport et l’enquête annexe.
Alors qu’il y a huit ans, la petite régie publique de Boigneville dirigée par notre ancien collègue Jean-Jacques Boussingault, faisait figure d’anomalie dans un océan de privatisation, la création en 2011 par Gabriel Amard de la régie Eau des Lacs a ouvert une alternative à la résignation face aux prédateurs de nos biens communs :
Elle a été en effet suivie par la création de la régie d’Evry-Centre Essonne, puis par un partenariat intelligent avec la régie eau de Paris, pour que l’eau de source qui traverse notre Département par les aqueducs de la Vanne et du Loing puisse bénéficier aux Essonniens.
En 2016, les ont rejoints, en zone rurale la régie intercommunale Eau Ouest Essonne et celle de Briis sous Forge et, en cette année, la nouvelle régie Eau Cœur d’Essonne. Avec aujourd’hui un total de 300 000 habitants et de nombreuses activités économiques bénéficiaires, et des perspectives tangibles de renforcement de cette maitrise publique à l’échelle des périmètres élargis de Grand Paris sud et de Cœur d’Essonne.
Loin des chimères des grands projet inutiles ou d’opérations de gonflette médiatique pour redorer son blason terni par la montée des inégalités et le mitage de ses terres agricole, voilà une réussite qui fait honneur à notre département, une dynamique qui gagnerait à être valorisée, confortée!
Voilà une preuve que, le monde politique, à condition d’en avoir la volonté, peut résister aux injonctions du marché et des actionnaires. A travers une synergie d’engagements citoyens et institutionnels autour d’une thématique, l’eau, constitutive de l’identité et des atouts de notre département.
Et pourtant, la majorité départementale semble n’avoir pour objectif que de briser ce potentiel quitte à jeter l’argent public par la fenêtre.
Jugeons-en:
- En 2014 notre Département a subventionné, à hauteur de 900 000 euros les travaux de réalisation de la station de raccordement des réseaux d’eau potable de Viry et Grigny à l’aqueduc du Loing, ouvrant une alternative à l’achat forcé de l’eau des usines de suez de repotabilisation d’eau de la Seine ; Une station à la pointe de l’innovation technologique, avec des conduits de 800 mm de diamètre prévus pour desservir ensuite, au-delà de l’agglomération des lacs, une large part de l’agglomération centre Essonne ou l’ouest du Val d’Orge.
20 mois plus tard, à peine M. Sauerbach, collaborateur de cabinet de M. Durovray, et très bref président de l’Agglo des Lacs, ferme cette station et se précipite pour racheter l’eau re-potabilisée de Suez, qui s’empressera de lui faire une fleur tarifaire pour récompenser son zèle.
On était en droit d’espérer du Département un rappel à l’ordre de son collaborateur, et même une exigence de remboursement de sa subvention importante versée en pure perte. Mais rien, pas même une protestation pour la forme. Une approbation tacite de cet insupportable gâchis de l’argent public !
- Après une telle entrée en matière dans ce domaine, il y avait de quoi s’inquiéter pour la suite. Le présent rapport confirme malheureusement nos craintes. 6 exemples:
- 1 /On relève d’emblée que passent à la trappe les bonifications accordées pour encourager la gestion publique de l’eau: des bonifications valables pour des collectivités de toute taille et de tous les secteurs de l’Essonne, supprimé au bénéfice d’un dispositif discriminatoire de bonus limité à un périmètre de ruralité .
- 2/ Ensuite, face à des délégations de service public affichant des montants de travaux de renouvellement de canalisations très en-deça des provisions payées pour ça par les collectivités aux délégataires, et face à Suez qui refuse toujours, bafouant la loi, de fournir dans ses rapports annuels le taux de rendement de son réseau (se contentant d’un taux moyen pour l’ensemble de l’aire desservie par ses usines d’eau de seine), la majorité départementale propose de pallier ces carences des multinationales, en finançant largement à hauteurs 20 % ou 30% avec bonus) ces travaux de renouvellement, sans aucune garantie que les économies prévues se retrouveront sur la facture. Soit un double financement public pour les mêmes travaux.
- 3/ Alors que la plupart de nos voisins européens et les grands opérateurs publics français (exemple, les Régies publiques de Paris et des métropoles de Nice ou Grenoble) développent des programmes ambitieux de développement de l’agriculture biologique dans les aires de captage de leur eau potable pour en conforter la qualité, le rapport ignore ces ambitions, scotché à un modèle local structuré pour l’éternité sur les usines privées de Suez. Il refuse d’ouvrir des perspectives de réhabilitation raisonnée de nos captages d’eau de source fermés au fil du siècle dernier pour cause d’overdose d’intrants toxiques inhérents à l’agriculture productiviste.
- 4/ Alors qu’il est avéré que la seule solution de long terme de prévention des inondations se trouve dans une action résolue pour permettre, partout, le retour de l’eau à la terre ,et pour en finir avec des aménagements qui imperméabilisent toujours plus nos sols, la politique proposée se borne à traiter les conséquences des inondations,en en appelant, à la « résilience » face à leurs méfaits.
- 5/ Alors qu’il est obligatoire que les enjeux de restauration et de préservation du grand cycle de l’eau soient traités en concertation,à l’échelle de gouvernance démocratique des SAGE de bassins (pour mémoire, en Essonne, les 4 SAGE Orge-Yvette, Nappe de Beauce, de l’Yerres et de la Bièvre), alors que les stratégies d’organisation des compétences locales de l’eau (SOCLE), doivent être définies en cette année 2017 dans le respect de ces SAGE, le rapport fait l’impasse sur ces schémas.
- 6/ Enfin, alors que l’expérience montrent que les aides départementales atteignent leurs objectifs en s’articulant avec celle de l’Agence de l’Eau Seine Normandie, le rapport reste muet sur le véritable pillage dont les recettes des Agences de l’eau sont aujourd’hui l’objet. Le binôme Macron-Philippe abandonne pourtant toute retenue sur ce point, avec son projet de loi de finances 2018 prévoyant un hold-up de plus de 400 millions d’euros sur les crédits des agences dédiés à l’amélioration de la ressource.
Comment admettre un tel renoncement dans un domaine fondamental pour l’avenir de notre planète? Comment l’expliquer, quand l’exigence de s’affranchir de l’emprise des multinationales réunit des élus aussi divers politiquement que les responsables des communes et métropoles de Nice, Troyes, Paris, Montpellier, Annecy, Bastia, Fort de France et les départements des Landes, du Haut-Rhin ou de Charente-Maritime?
Comment comprendre un tel gâchis il faut enfin ouvrir enfin les yeux sur l’insupportable subordination de notre institution aux intérêts d’un ultra-millionnaire.
Un délinquant fiscal condamné par la justice et pourtant confirmé à la tête de notre commission départementale des finances.
Un affairiste enrichi par les commandes de l’État et qui a notamment élargi son empire en devenant, depuis 2012, à coté de ses amis quataris, un des 3 principaux actionnaires de Veolia.
Veolia qui profite de la loi Nôtre pour renforcer sa main-mise sur l’eau du sud essonnien depuis 2 ans. En effet, Veolia est le partenaire privilégié du SIARCE, devenu, en absorbant 4 autres syndicats intercommunaux compétents en matière d’eau potable, l’outil politique adapté à l’extension de son emprise à l’échelle des 64 communes du sud de notre Département. Un Siarce, au sein duquel notre délinquant fiscal, spécialiste du conflit d’intérêt sans vergogne, détient un mandat de délégué pour veiller à la prospérité de Veolia.
Et quand on voit comment les élus de la droite Essonnienne se sont encore ces derniers mois disputés la bénédiction de ce parrain pour gagner un siège aux sénatoriale, on comprend mieux pour quoi la nouvelle politique départementale de l’eau fait la part aussi belle à la gestion privée.
Vraiment, si on veut reprendre la maitrise des destinées de notre département, il est plus que temps que la famille Dassault sorte du corps de cette Assemblée départementale.
Des bords de la Seine à ceux de l’Essonne, de la Chalouette ou de l’Yvette, de Boigneville à Wissous, de Breuillet à Savigny sur Orge, d’Angervillers à Montgeron, de Briis-sous-forge à Évry, les Essonniens attendent de nous autre chose qu’une marchandisation de l’eau au bénéfice de ce parrain et ses copains du CAC 40.
Les Essonniens, pour peu qu’on les consulte et les traite en adultes, ne demandent pas mieux que de participer à une politique de l’eau clairvoyante et à long terme, construite à partir de nos rivières et nos ressources.
Les Essonniens, pour peu qu’on les informent, mesurent bien le lien entre une gestion globale du grand cycle de l’eau et la lutte contre le réchauffement climatique.
Des essonniens auxquels leurs enfants demanderont des comptes demain si dans ce domaine également, nous ignorons nos responsabilités.
De grâce, ne ratons pas ce rendez-vous avec l’histoire!
Enquête 2015 du CD 91 sur le prix de l’eau en Essonne
Le prix le plus bas en Essonne : 2.77 euros/m3 et le plus élevé 6.38 L’explication provient principalement du coût très élevé de l’achat d’eau en gros à Eau du Sud Parisien, filiale de Suez, cette eau est vendue aux collectivités essonniennes qui ont délégué la gestion de la distribution de l’eau potable et de l’assainissement à Suez. Suez est à la manœuvre de tous les côtés et Suez avait été condamné par le conseil de la concurrence en novembre 2005 à 400 000 euros d’amende pour le monopole exercé ce département.