N’importe quelle ville peut déléguer ou non à une entreprise privée la gestion d’un service public comme : les marchés, les parkings, l’eau, le chauffage urbain, la collecte et le traitement des déchets, les transports…Dans le cas de la gestion de l’eau il s’agit de la prélever, de la transporter, de la traiter et de la distribuer.
Par Jacques Perreux, Conseiller municipal (EELV) de Vitry-sur-Seine et élu à l’EPT12.
Une vague citoyenne*
Depuis de nombreuses années, la ville de Paris déléguait à Veolia et à la Lyonnaise des eaux la gestion de l’eau, jusqu’à ce qu’elle s’en sépare en 2010, suite à un engagement électoral de Bertrand Delanoë. Elle crée alors une régie publique, aujourd’hui Eau de Paris. Depuis cette date, près de 300 villes principalement en France, ont fait de même. Il en est ainsi de villes aux maires de couleurs politiques aussi différentes que Nice, Montpellier, Saint-Pierre-des-Corps, Troyes ou Brest. Lorsqu’on lit ou écoute ces maires expliquer leurs raisons de changer leur fusil d’épaule, c’est le retour d’expérience qui prévaut. Rationalité économique, préservation de la ressource, meilleure maîtrise du cycle de l’eau. Souvent ces édiles constatent qu’à force d’avoir délégué au privé production et distribution de l’eau, ils n’ont plus dans leur services municipaux les savoirs faire et les personnes capables de rédiger la commande publique et d’en surveiller la bonne mise en œuvre. Comment expliquer qu’en termes de prix du m3 ou de fuite des canalisations, qui coûtent si cher aux usagers, les régies soient très largement plus performantes que le privé ?
C’est le retour d’expérience qui le dit : l’eau ne peut être traitée comme une marchandise.
En fait, le benchmarking, tellement à la mode et recommandé, autrement dit l’analyse comparative pour augmenter la performance, légitime concrètement et totalement ce que les mouvements citoyens défendent depuis longtemps : l’eau ne doit et ne peut être traitée comme une marchandise. Elle a une toute autre valeur que son coût de traitement ou même son prix. Elle est un bien commun qui n’a pas de prix. Naturellement la municipalisation et donc la reprise du pouvoir par le politique n’est pas une fin en soi, mais un moyen de promouvoir une nouvelle culture de l’eau et donc l’éducation, la sensibilisation et la mobilisation des usagers pour que l’eau redevienne une source de lien social, de solidarité et de responsabilité citoyenne devant les grands enjeux d’avenir de la planète : crise du climat et de la biodiversité, droit à l’eau et à l’assainissement pour le milliard et demi d’êtres humains qui en sont privés. Par exemple n’est-ce-pas une source de réflexion lorsque le service public de l’eau de Munich finance l’installation des agriculteurs biologiques et réalise ainsi des économies sur le traitement de l’eau de captage ? Comme on dit, c’est gagnant/gagnant pour notre nature, pour notre santé, notre qualité de vie et notre porte-monnaie.
Et alors ! la Métropole du Grand Paris et ses 12 territoires doivent ils rester à l’écart ou peuvent-ils surfer sur la vague ?
Beaucoup d’élus de tous bords craignent à juste titre que ces nouvelles institutions ne deviennent, dans les faits, centralisatrices plutôt que coopératives, bureaucratiques plutôt que démocratiques, éloignées et hors de portée des citoyens plutôt que proches, accessibles et sensibles aux besoins et aux souhaits de ceux-ci. On entend déjà des voix nous assurer que de puissants syndicats centralisés dans le domaine de l’eau, de l’assainissement, des déchets, de l’énergie, seraient plus efficaces et plus performants. Cela reste totalement à prouver. Par exemple, Eau de Paris, propose une eau de bonne qualité pour un prix inférieur de 30 % à celle fournie par le syndicat SEDIF. Le gigantisme dans le domaine de l’assainissement et des déchets s’avère plus coûteux plus dangereux et offre moins de souplesse pour s’adapter aux évolutions des modes de vie et des comportements.
Des opportunités offertes par la loi NOTRe.
Et puis la loi NOTRe, malgré ses défauts, offre des vraies opportunités qu’il ne faut surtout pas négliger. Cette loi donne jusqu’au 1er janvier 2018 (un délai de 20 mois) aux Établissements Publics Territoriaux et aux communes pour décider de ré-adhérer ou pas aux syndicats dont ils sont actuellement membres. Cela signifie que dans le domaine de l’eau, par exemple, tout un territoire pourrait décider de se constituer en régie. Est- il illusoire de penser qu’il puisse y avoir consensus dans un territoire comme le T12, le T8 ou le T6, quand il y a eu consensus dans la métropole de Nice dirigée par Christian Estrosi ?
Et puis surtout la loi n’oblige aucunement à ce que tout le monde soit d’accord pour aller dans le même sens. Le consensus n’est pas obligatoire. La loi permet qu’un groupe de communes ou une ville seule puisse choisir une option tandis qu’un autre groupe de communes en choisisse une autre. De ce point de vue, c’est la reconnaissance de la souveraineté communale.
Eau de Paris, partenaire potentielle.
Un fait est très important en Ile-de-France c’est que le service public Eau de Paris dispose d’une belle expérience de régie directe en matière de prix, de gestion rationnelle, de respect de la ressource, d’innovation technologique. Elle est une partenaire potentielle pour mutualiser ses compétences, ses savoir-faire, ses outils et pour fournir aussi éventuellement à des communes et des territoires qui le souhaiteraient de l’eau potable. En coopération avec Eau des Paris des études exploratoires sont d’ores et déjà possibles.
Un petit pas pour rétablir la confiance.
Au moment où tant de maires devant la baisse des dotations de l’Etat ne peuvent faire face au risque d’étranglement de leurs services publics que par la hausse des impôts et des tarifs, il ne serait pas dérisoire de faire bénéficier une famille de 4 personnes d’une diminution de sa facture annuelle d’eau potable de 50 euros. Et puis je pense aux nombreux maires qui lors des dernières élections municipales ont pris l’engagement de travailler à rendre possible cette municipalisation de l’eau, souvent d’ailleurs en osmose avec des collectifs militants. Je pense aussi à ces maires qui lors du renouvellement du contrat en 2010 avec Veolia disaient : « nous voudrions bien créer une régie mais nous n’avons pas la majorité dans le syndicat pour le faire. » Alors que la crise de confiance vis-à-vis des Politiques n’a jamais été aussi vive, tous ces maires mais aussi surtout les habitants de ces communes et de ces territoires ont une chance à saisir pour que les actes accompagnent vraiment les paroles.
À l’instar de ce qui se fait déjà, je pense notamment au Nord de l’Essonne, à Est Ensemble…des études techniques, des mouvements et des actions peuvent se développer car l’eau gérée de façon citoyenne c’est possible mais c’est maintenant !
*Vague citoyenne, c’est aussi le titre du film de François Guieu consacré aux mouvements pour une gestion citoyenne de l’eau