Les paradoxes du plan eau, vous avez dit « sobriété » ?

A mesurer la sobriété du déplacement pour annoncer le « Plan eau » , il était loisible de se douter que celui ne serait pas caractérisé par une réelle sobriété dans le domaine de l’eau ! Un ensemble de mesures que le public découvre avec intérêt, mais le sujet est le plus souvent méconnu. Soyons lucide.

Une analyse serrée de Bernard Drobenko, Professeur Emérite des Universités – Droit Public, Université du Littoral Côte d’Opale,  est l’auteur de plusieurs ouvrages et nombreux articles dans le domaine du droit de l’eau.

A mesurer la sobriété du déplacement pour annoncer le « Plan eau » , il était loisible de se douter que celui ne serait pas caractérisé par une réelle sobriété dans le domaine de l’eau !

Un ensemble de mesures que le public découvre avec intérêt, mais le sujet est le plus souvent méconnu.

Soyons lucide.

Après le dernier rapport du GIEC, les courageuses alertes du secrétaire général de l’ONU lors de l’AG ONU il y a seulement quelques jours, les rapports de l’Agence européenne pour l’environnement (AEE), les sècheresses successives, les divers conflits d’usage de l’eau où l’affaire de Ste Soline apparaît comme la face émergée d’un iceberg, la question de l’eau imposait une politique publique de l’eau ambitieuse à l’échelle intergénérationnelle.

Après le dossier de la retenue de Caussade, après un week-end à Ste Soline d’évènements exceptionnels mais révélateurs des modalités de la conduite de la politique de l’eau, l’ensemble des acteurs concernés attendaient une perspective répondant aux défis du dérèglement climatique et ses conséquences, aux pollutions massives de l’eau et des sols, aux conséquences des sècheresses.

Dans un contexte sociétal perturbé, une pause dans l’édification du stockage hors sol de l’eau, les fameuses « bassines » était attendu. Mais que nenni ! Il en faudra d’autres, y compris pour l’installation de jeunes agriculteurs !

La presse a retenu quelques aspects paraissant caractéristiques des perspectives dressées lors de la présentation de ce « plan eau ». La fumée médiatique était-elle à la hauteur des défis ?

Alors qu’en est-il avec les annonces du 30 mars 2023 ? Retenons quelques points caractéristiques dans les 53 mesures présentées, dans le cadre d’un ensemble de thématiques :

  • 10 % d’économies d’eau d’ici 2030, tout à fait louable et réalisable, certains dirons peu ambitieux. En partant de la proposition 9 identifiant, par grand bassin versant un plan d’adaptation au changement climatique » seront sans doute déclinés les capacités du milieu et les conditions de réduction des prélèvements. L’État, les citoyens, les industries, le bâtiment et les agriculteurs sont visés. 10 % pour tous, dans les mêmes conditions ? Pas sûr !  Les particuliers peuvent déjà être aidés pour récupérer l’eau. Les progrès sont ciblés pour les industries et le bâtiment. Pour l’agriculture, le soutien aux pratiques agricoles économes, n’empêchera les pratiques peu économes d’être poursuivies, l’agro-industrie est bien pérennisée d’où l’aide aux infrastructures pour les installations. Pourquoi 30 millions de plus, sans aucune conditionnalité environnementale sérieuse, à l’instar de l’encadrement strict des fonds FEADER irrigation, peu respectées dans sa mise en œuvre française ? Mais les exigences posées sont cohérentes, leur interprétation par les États en atténue la portée.

L’agriculture industrielle et ses pratiques, une remise en cause ? Que nenni ! C’est un soutien continu, confirmé d’ailleurs concomitamment au congrès de la FNSEA du même jour par le Ministre de l’agriculture qui précise qu’ « on ne redemande pas un effort supplémentaire aux agriculteurs », et même « l’agriculture n’aura pas à baisser ses prélèvements pour irriguer les cultures », les prélèvements se poursuivront « à niveau constant ».

Autre domaine non évoqué, mais particulièrement sensible au regard des économies d’eau et de leur partage, les eaux commercialisées. Les prélèvements sont en augmentation, parfois au détriment des usages locaux. Les 10 % d’économies ne peuvent être ignorés pour ce secteur d’activité aussi.

  • Au-delà des outils existants les SDAGE, les programmes de mesures, les SAGE (non généralisé), les PTGE (sans opposabilité), les zones d’alerte, les zones de répartition des eaux, un nouvel outil apparaît dans le cadre du bassin : le plan d’adaptation au changement climatique. Quelle sera la portée des objectifs chiffrés de réduction des prélèvements dans les documents de gestion de l’eau à l’échelle des 1100 sous-bassins du pays alors que seulement 56% du territoire français est couvert par une organisation de sous-bassin avec des SAGE ? Quels seront les fondements scientifiques de la démarche ?

Dans le mille feuilles institutionnel irrationnel, sans doute une case de plus ???

  • Gestion quantitative : le pilotage de la ressource fait l’objet de développements qui interpellent. D’abord l’utilisation des compteurs avec télétransmission des volumes prélevés sera rendue obligatoire pour tous les prélèvements importants. Importants c’est-à-dire ? En application de la redevance prélèvement instaurée par la loi EMA en 2006, en principe tout prélèvement autre que domestique doit faire l’objet d’un « comptage » pour appliquer la redevance « prélèvement » puisque « La redevance est assise sur le volume d’eau prélevé au cours d’une année » (loi EMA, article L 123-10-9 du code de l’environnement). Qu’en est-il pour le secteur de l’agriculture ? La réforme de cette redevance fiscale inefficace par une redevance assise sur les consommations réelles en eau, sans modulation selon les usages, accompagnée d’une entrée progressive en vigueur sur plusieurs années afin d’assurer la transition des usages et la valorisation de la sobriété… eut été un véritable acte de courage politique. Rien !
  • La réduction des fuites. Le traitement présenté doit être resitué dans son contexte : dès la loi du 3 août 2009 loi grenelle 1, l’article 27 met en place la généralisation de la détection de fuites dans les réseaux et la programmation des travaux nécessaires lorsque les pertes d’eau présentent un caractère excessif par rapport au type de réseau et à la situation de la ressource en eau utilisée à un coût raisonnable. La loi grenelle 2 (2010-788) impose aux collectivités une mise à niveau des réseaux. L’entretien des réseaux est une obligation, les redevances eau l’intègrent, les contrats de concessions prévoient les modalités d’entretien des réseaux (schéma de distribution d’eau potable, schéma d’assainissement). La redevance pour modernisation des réseaux a été instaurée par la loi EMA de 2006 pour financer l’entretien des réseaux, pourtant déjà intégrés dans leur gestion !!! Mais comment ont été affectés les fonds dédiés ?
  • La réutilisation des eaux usées : présentée comme la grande nouveauté, elle existe en fait déjà !. En effet, a été instaurée par le règlement européen 2020/741 du 25 mai 2020pour mise en œuvre au plus tard à partir du 26 juin 2023. Elle a été énoncée par le décret 2022/336 du 24 juin 2021 (en application de L211-1 c. env.) et par le décret 2022-336 du 10 mars 2022 relatif aux usages et aux conditions de réutilisation des eaux usées traitées. Il n’y a pas de règlement à la réutilisation des eaux usées à concevoir, il suffit d’appliquer les textes existants, en tenant compte des exigences sanitaires et environnementales, qui, elles, sont réelles et sérieuses vu les enjeux sous-jacents.. Comment va être répercuté sur l’usager le coût des retraitements nécessaires ?
  • Améliorer le stockage de l’eau dans les sols, les nappes. Pas de moratoire sur les bassines, malgré les nombreux contentieux, et les conflits générés. Quelles finalités du fonds d’investissement hydraulique, dans le cadre d’une limitation des prélèvements et du plan d’adaptation au changement climatique. La stratégie nationale est attendue avec intérêt.

Ces aspects « quantitatifs » semblent en tout cas confirmer les « assises de l’eau », le « modèle agricole «  dominant » est conforté, voire renforcé avec des financements supplémentaires. Peut-on réinventer un modèle agricole sans remettre en cause les fondements qui le pérennisent !.

  • Gestion qualitative. La protection des captages est soulignée à plusieurs reprises. Mentionnons qu’il existe des règles de protection des captages d’eau potable dont l’application effective n’est pas finalisée ! Le renforcement des protections a déjà été voté (art. 107 loi grenelle 2 de 2010) mais aussi le financement pour préserver 500 captages prioritaires (article 27 de la loi du 3 août 2009)! Sans doute faut-il supprimer aussi les assouplissements intervenus avec l’art. 61 de la loi n° 2019-774 du 24 juillet 2019 relative à l’organisation et à la transformation du système de santé, sur les périmètres de protection des captages. Ne suffit-il pas d’appliquer les règles en vigueur??? En 2022 seuls 65 % des captages sont effectivement protégés.

Les produits phytopharmaceutiques », en fait les divers « icides » sont aussi évoqués au titre de la lutte contre les pollutions. S’agit-il d’un énième plan phyto ? À ce jour aucun des objectifs déjà fixés à ce titre n’ont été tenus ! Quid du principe pollueur-payeur ? C’est le juge qui a dû confirmer l’interdiction d’autorisation, par les autorités publiques, d’utilisation néonicotinoïdes (19 janvier 2023). Mais au cours du même congrès de la FNSEA, le Ministre en charge de l’agriculture annonce qu’il demande à l’ANSES (organisme indépendant) de revoir son évaluation de la décision d’interdiction du S-métolachlore, produite en janvier2023. ! Vous avez dit « environnement » ou « santé » ???

La question de l’eau dans outre-mer est connue depuis plusieurs décennies. Problème de moyens financiers ? Ils ont été et sont substantiels, les plans se succèdent. En revanche la gouvernance, le respect des règles de financement et de gestion des services paraît au cœur des problématiques locales. , 35 millions d’euros de plus par an changeront-ils les questions essentielles ? Quels moyens opérationnels de gestion et de contrôle financier pour l’OFB notamment ? Effets d’annonces !!

  • Les solutions fondées sur la nature semblent faire l’objet d’attention dans ce plan. Mais alors, ne suffit-il pas d’appliquer la préconisation du Ch. 18 de l’agenda 21 adopté à Rio « adapter les activités humaines à la capacité limite des milieux », d’en tirer les conséquences pour l’ensemble des activités, y compris l’agriculture ! L’IUCN définit ces solutions « des actions visant à protéger, gérer de manière durable et restaurer des écosystèmes naturels ou modifiés, pour relever directement les enjeux de société de manière efficace et adaptative tout en assurant le bien-être humain et des avantages pour la biodiversité. ». Appliquer la démarche intégrée, le principe de prévention, de précaution, pollueur-payeur et surtout le principe de non-régression !!
  • La gouvernance est traitée rapidement. Va apparaître une instance de dialogue et d’un projet politique de territoire organisant le partage de la ressource ». Mais alors, généralisation des SAGE avec des CLE réformées ? Quel processus démocratique pour neutraliser les divers « lobbies » ? La Convention d’Aarhus enfin appliquée dans le domaine de l’eau ? Partager la ressource, c’est appliquer le principe de gestion équilibrée, avec les priorités (eau pour la consommation humaine, la préservation des écosystèmes aquatiques, la biodiversité, la sécurité publique), puis assurer la juste répartition entre les divers usages en fonction des eaux restantes disponibles. Il s’agit d’intégrer ici les exigences de l’hydrosystème et du cycle nécessaire au vivant. Le partage de l’eau ce n’est pas l’agriculture et les autres usages, ce sont les usages prioritaires, puis les usages économiques dans un sous bassin dans le cadre de ses capacités limites. La gouvernance devrait conduire à supprimer la dispersion des compétences, les pouvoirs dérogatoires des préfets, mais, en revanche à modifier la composition des Comités de bassin, des Conseil d’administration des Agences de l’eau et des commissions locales de l’eau (avec des SAGE généralisés) avec pour moitié des membres des représentants des intérêts environnementaux et des consommateurs. Il y a urgence.
  • Les financements sont évoqués, avec une dotation supplémentaire pour les Agences de l’eau et la fin du « plafonnement » de leurs dépenses. Ici plusieurs interrogations. Comment sont prises les décisions de financement des Agences de l’eau, quel contrôle sociétal préalable sur les dossiers, quels indicateurs de performance au regard des résultats pour la qualité des eaux par exemple ? Avec plus de 12 milliards d’euros sur 5 ans en moyenne, la France a-t-elle atteint le bon état écologique des eaux en 2015 ? non, l’atteindra-t-elle en 2027, non ! Chaque financement, chaque aide octroyée par une agence ne devrait-il pas être apprécié à l’aune des objectifs qualitatifs des divers textes européens (DCE, nitrates, baignades, eaux résiduaires urbaines), quel bilan coût/avantage sur les divers financements ?

La première urgence est la réforme des redevances conduisant à l’application du principe utilisateur/payeur en application du principe pollueur/payeur tel qu’exigé par la DCE (art. 9) avec la définition claire des trois catégories d’usagers (le secteur industriel, le secteur des ménages et le secteur agricole). La justice fiscale impose de revoir la mise en œuvre des redevances « prélèvements » et « rejets » (pollutions), sachant que la Cour des comptes souligne depuis de nombreux années l’injustice caractérisée puisque dans son rapport annuel de 2015 elle rappelle ces déséquilibres majeurs, le CGDD confirme en 2016 : les redevances sont acquittées à 88 % par les ménages, 8 % par les industriels et 4 % par les agriculteurs.

Les agences sont tributaires du plafonnement de leurs dépenses qui de plus sont ponctionnées pour le budget général sur les ressources des agences de l’eau, 373 millions d’euros iront en 2021 abonder le budget de l’OFB. Plus des prélèvements spécifiques au gré des lois de finances. Pourquoi attendre 2025 pour supprimer le plafonnement ? L’enjeu majeur n’est de dépenser plus, mais bien de dépenser mieux !

  • Tarification de l’eau : le CESE saisi d’une demande en vue d’établir la tarification progressive ? Mais elle existe déjà !!! Depuis loi 2006-1772, modifiant l’art L2224-12-4 du CGCT « « III. – À compter du 1er janvier 2010 et sous réserve du deuxième alinéa du I, le montant de la facture d’eau calculé en fonction du volume réellement consommé peut être établi soit sur la base d’un tarif uniforme au mètre cube, soit sur la base d’un tarif progressif. Cette facture fait apparaître le prix du litre d’eau ». Tous les gestionnaires de services pouvaient donc appliquer cette progressivité, elle peut être rendue « impérative».

De plus cette tarification peut être instaurée par catégorie d’usagers (L 224-12 CGCT), complétée par une tarification sociale de l’eau (Article L2224-12-1-1 CGCT).

Sur le fonds, une véritable évolution ne pourrait-elle consister à appliquer un prix de base identique pour tous les usages, domestiques ou économiques, avec une progressivité obligatoire. Cette progressivité pouvant distinguer les besoins fondamentaux des autres usages. Comment est intégrée la participation de chaque usager au « compteur » dont l’augmentation a été significative? Suivant les conditions de sa mise en œuvre, la tarification progressive peut conduire à des injustices significatives certaines familles pourraient subir les effets.

Mais cette tarification progressive ne préjuge pas de la reconnaissance par la France du droit à l’eau et à l’assainissement que la France a soutenu à l’ONU en 2010 ! La tarification progressive impose d’intégrer à la fois la garantie de disposer de suffisamment d’eau potable pour satisfaire les besoins fondamentaux pour chaque être humain et de pouvoir bénéficier d’un équipement d’assainissement pour l’hygiène et la dignité humaine.

  • La gestion des crises « sècheresses » va faire l’objet d’outils spécifiques. Notons qu’il existe déjà un arsenal de gestion, à améliorer sans doute ! Des outils opérationnels, des règles spécifiques ont déjà été instaurées. Outre les acteurs déjà compétents (MTECT), Météo-France, le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM), l’Office français de la biodiversité (OFB) ou Voies navigables de France (VNF). Les niveaux des eaux souterraines et les débits des cours d’eau sont mesurés en permanence. Tous les mois, un bulletin de situation hydrologique est publié dans chaque région ou bassin par les directions régionales de l’environnement, de l’aménagement et du logement (DREAL). Les zones d’alerte, les zones de répartition des eaux, les arrêtés préfectoraux ou municipaux permettent de gérer et accompagner les situations de crise.

Dans ce catalogue à la Prévert, la vision à long terme, en phase avec les défis n’apparaît pas.

Les questions majeures concernent la gouvernance, le statut de l’eau, l’application des principes fondamentaux (charte de l’environnement, article L110 du code de l’environnement), dont la participation, mais aussi la gestion équilibrée avec ses priorités et la répartition des usages, les pollutions et l’application du principe pollueur/payeur ou la justice fiscale dans le domaine de l’eau restent pendantes, l’essentiel est pourtant là !. La question de la reconnaissance par la France du droit à l’eau et à l’assainissement comme un droit de l’homme ne peut être ignorée, l’AG de l’ONU l’a reconnu, avec le soutien de la France en juillet 2010 !

Il faudra attendre certainement … … que les effets de la crise s’aggravent encore davantage pour avoir le courage de changer la logique structurelle des politiques publiques, celle de l’eau en particulier. Faire simple, économe, de bon sens !.

Intégrer la capacité imite de charge des écosystèmes, leur biocapacité, adapter les activités humaines, prendre en considération l’empreinte écologique, garantir le droit à l’eau et à l’assainissement …une autre voie est possible.

Le 07/04/2023

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