Les sociétés publiques locales ont fait une apparition récente et controversée dans la gestion de l’eau, notamment à Brest et à Rennes. Ci-dessous le point de vue de Gabriel AMARD, président de « La Gauche par l’exemple », paru dans l’Humanité du 7 mars. Un débat qui pourra rebondir notamment à l’occasion de la prochaine séance de l’Université populaire de l’eau et du développement durable, le 19 mars à l’Espace Robespierre à Ivry, consacrée à la gestion des biens communs avec le juriste Giacomo Roma, dans une perspective plus européenne.
« Si nous voulons avoir un avis pertinent sur les Sociétés Publiques Locales (SPL), nous ne pouvons faire l’impasse sur le contexte dans lequel elles ont été créées par le législateur. Sommes-nous réellement dans un contexte économique de relance propice au financement des services publics, qu’ils soient nationaux ou locaux ?Sommes-nous dans un contexte politique qui fait la part belle à l’intérêt général au détriment des intérêts privés ? Une fois ce contexte examiné, alors nous pouvons réfléchir si la mise en place d’une SPL est une bonne chose pour la gestion publique et les citoyens qu’elle doit servir, ou pas.
Dans l’esprit du législateur, 3 principes sont retenus pour la création des SPL :
> Leur marché est un territoire ;
> Leur métier : le développer
> Leur valeur ajoutée : marier les atouts de l’entreprise aux valeurs du public.
Rien que les termes utilisés font peur. Sociétés anonymes fonctionnant avec un conseil d’administration, les SPL sont régies par le droit privé. Les salariés et leur comptabilité relèvent eux aussi du droit privé. Après avoir ouvert le service public aux contrats à durée déterminée et aux contrats à durée indéterminée, c’est une étape supplémentaire qui est franchie dans la casse du statut de fonctionnaire. Désormais, pour gérer un service public, voilà un outil supplémentaire pour faire faire ces missions de service public par des emplois de droit privé.
Ces entreprises publiques locales sont, pour le législateur qui les a créés en 2010 avec une majorité parlementaire de droite, « pour les collectivités locales un nouveau mode d’intervention capable de moderniser la gestion des services publics locaux ». Il faudrait avoir vécu sur une île déserte ces 30 dernières années pour ne pas comprendre que « modernisation du service public » a toujours rimé avec « casse du service public ». Les SPL sont bien une volonté d’externaliser les services publics et de contourner certaines obligations faites à celui-ci. La possibilité de faire de la sous-traitance sans passer de marchés publics en est une. Plus de souplesse, me dit-on ? « Procédure est mère de liberté », je réponds !
Si un nombre important de SPL se créent en France, lorsque celles-ci feront appel à un grand nombre de sous-traitants, le législateur décidera-t-il alors, sous couvert d’efficacité et de financement, d’ouvrir le capital aux actionnaires privés pour intéresser notamment ces mêmes sous-traitants ? A l’heure où les collectivités locales ont de plus en plus de mal à trouver des banques qui leur prêtent de l’argent, la question se pose réellement. Et c’est une nouvelle fois tout bénéfice pour ces mêmes banques. Car si elles sont peu disposées à financer les investissements du service public, elles financent plus aisément les emprunts des SPL. Pourquoi ? Parce que les SPL peuvent, en échange, ouvrir leurs comptes dans ces mêmes banques. Les employés du Trésor Public apprécieront… Voilà encore une activité qui leur échappe et l’emploi public fragilisé par la baisse de l’activité du Trésor Public. Les budgets annexes des collectivités liés aux transports, à l’aménagement, à la collecte et au traitement des ordures ménagères, à l’eau, au chauffage et même aux équipements culturels représentent des centaines de millions d’euros. Encore une façon de contourner le service public.
Et l’usager, dans tout ça ? Il n’est nulle part. Si dans une régie publique, nous pouvons (et je dirais même que nous devons) co-gérer avec les usagers le service public, c’est impossible en SPL. Si la démocratie des choix effectués se réalise dans les décisions des collectivités locales par les assemblées délibérantes régulières, dans lesquelles tous les élus locaux ont loisir de débattre et voter, c’est impossible en SPL. Celles-ci font la part belle aux potentats locaux et renforce le pouvoir des notables locaux, car les Maires, Présidents d’Agglo ou de Conseils généraux sont seuls dépositaires du capital apporté par leur collectivité et ont l’intégralité du pouvoir de décision à l’Assemblée Générale des actionnaires. Les SPL, c’est moins de démocratie, moins de proximité avec l’usager.
Ça ressemble à la mise en place des Métropoles, qui éloignent le citoyen de la décision et offrent de grands marchés ouverts, dans lesquels justement les SPL seraient amenés à se développer ? Ce n’est pas étonnant. C’est même tout à fait cohérent, puisque c’est la même majorité parlementaire de droite qui a introduit dans la loi la même année (en 2010) les SPL et les Métropoles. »