Des enseignants chercheurs de l’UTC de Compiègne demandent l’arrêt du chantier du Canal Seine-Nord Europe et l’ouverture de discussions sur une alternative. Par Fabrice Alves-Teixeira dans Oise Hebdo. Tribune intégrale à lire dans Reporterre.
«Promu comme un projet maîtrisé, écologique et prometteur pour l’emploi, le CSNE est en réalité un gouffre financier, un anachronisme environnemental et une menace pour les collectifs de travail existants.» Sur le site du média écologiste «Reporterre», des enseignants-chercheurs de l’UTC (Université technologique de Compiègne) viennent de publier une lettre ouverte demandant «un moratoire» sur le «Mégaprojet» de Canal Seine-Nord. Par «moratoire», comprendre une suspension du chantier et l’ouverture de discussions.
Une tribune signée par 19 enseignants-chercheurs
La tribune signée par 19 enseignants-chercheurs de l’UTC ce lundi 20 octobre, intervient après la manifestation monstre de Thourotte contre le projet (1.000 manifestants selon les autorités, 2.000 selon les manifestants). Dans leur texte, les chercheurs rappellent d’abord les enjeux environnementaux, avec des arguments abondamment repris. Ils évoquent d’abord quelque «3.000 hectares de terres impactés, 78 millions de mètres cubes de déblais prévus (soit l’équivalent de dix tunnels sous la Manche) et 300 espèces menacées», pour lesquels les mesures compensatoires prévues semblent, à leurs yeux dérisoires : «La compensation (…), pour une espèce donnée, vise à reconstituer son habitat censément endommagé, là où l’artificialisation d’un territoire dégrade un écosystème complet (et donc des centaines d’espèces)», estiment les chercheurs. Alors que le projet évalue à «”seulement” 800 hectares les terres officiellement impactées», les enseignants de l’UTC dénoncent des «mesures hypocrites».
Sur le chapitre de l’eau, la vingtaine d’enseignants estime que le projet «bouleversera les ressources hydriques». «Une immense retenue d’eau (14 millions de m3, c’est-à-dire 5.600 piscines olympiques), écrivent-ils, alimentée par un pompage dans l’Oise, sera nécessaire. Comment ne pas craindre un accroissement du stress hydrique dont souffrent déjà les terres picardes ?»
Un report modal vers le fluvial ? Vraiment ?
Concernant ensuite la réduction du fret routier, un des arguments qui a poussé au lancement du projet, les enseignants-chercheurs sont là aussi sceptiques. Alors que le Canal est censé «réduire le nombre de camions circulant sur l’autoroute A1», ils estiment que «rien ne laisse présager (que le report modal) s’opère ici en faveur du fluvial». En raison des caractéristiques des marchandises transportées – «Barges et péniches convoient au long cours du vrac (produits agricoles, granulats, minerais, etc.» – le fluvial serait en réalité «en concurrence avec le ferroviaire» argumentent-ils. Ils disent aussi s’inquiéter de la fermeture du canal existant pendant deux ans lors des travaux qui provoquerait «inévitablement un report partiel du fluvial vers le routier». Un report peut-être irréversible, craignent-ils. Ils n’oublient pas par ailleurs de souligner le trafic de «450.000 camions» estimé autour des plateformes logistiques du futur canal.
Ils évoquent encore, pêle-mêle, les «dizaines de milliers d’emplois promis» (ils pensent que ce sera moins), le «déclin» de la petite batellerie au profit «de la logistique internationale» ou un futur canal qui ne sera pas configuré pour des péniches à deux étages, en raison de la hauteur des ponts, notamment Solférino à Compiègne, là «où la rentabilité du projet en exigerait trois». Les enseignants-chercheurs contestent enfin le coût de ce chantier pharaonique : «Initialement évalué à 5 milliards d’euros, le coût du projet ne cesse d’augmenter et avoisine déjà les 10 milliards d’euros d’argent public», rapportent-ils.
Pour une «recherche-action»
En conclusion, les signataires «refusent que soient mutualisés les coûts et privatisés les bénéfices», d’où leur «demande d’un moratoire». En résumé : tous les contribuables paient un projet qui enrichira de grands groupes. Ils proposent en réponse de «contribuer à développer une recherche-action, guidée par la construction d’alternatives orientées vers la soutenabilité écologique, le bien-vivre ensemble sur nos territoires et le déploiement de techniques à échelle humaine.»