Pour vous, un « IN du OFF » sur l’eau au Forum Social Mondial 2013, une visite inédite !
>>>écoutez les reportages radio ICI
22th March – Fly to Airport Tunis-Carthage
Je voyage à côté d’un jeune homme. Dans le journal arabisan qu’il lit, je découvre la photo pleine page d’Ezzeddine Gannoun ; son sourire est celui de l’accomplissement. Je ne lis pas la langue arabe. Je demande au jeune homme s’il peut me traduire la teneur de cet article. Il me fait comprendre qu’il est lui-même sourd-muet. Le sourire de Gannoun reste l’énigme de notre vol.
Il y a douze années de cela je m’apprêtais à le rencontrer ainsi que Leïla Toubel dans leur Centre arabo-africian de formation et de recherches théâtrales d’El Hamra, rue Al Jezira à Tunis. Dans le livre« Dégage » aux éditions ALIF qui relate jour par jour les minutes de la Révolution de jasmin, Gannoun est en France lorsqu’il refuse le poste que lui propose le gouvernement de Ben Ali : la direction des rencontres internationales de Carthage. Je me souviens de ces moments de tension extrême entre eux sur : jusqu’où aller pour survivre artistiquement sans dépasser les limites de la compromission et de l’attentat. Fragiles moments de liberté conquise. J’ai souvent été bouleversée par l’engagement du corps dans leur travail. Engagement total, entier et dangereux pour l’acteur. Cette révolution s’est pourtant faite dans la douceur du printemps arabe un 14 janvier 2011.
22th March – pm in Tunis
Alunissage à l’aéroport de Tunis-Carthage. L’avion s’échappe à droite puis à gauche, à gauche puis à droite, il cherche son équilibre comme aujourd’hui la Tunisie. Le temps est d’une douceur délicate. Nous voici débarqués dans le hall d’arrivée. Les banques de change s’alignent ; plus on s’éloigne et plus le taux de change est intéressant. Les bureaux s’ouvrent et se ferment, ballet bien réglé. Le dernier bureau ne change pas les euros. Banque de l’Habitat, Banque de Tunisie, Banque Africaine de Développement, Banque de la Poste Tunisienne : ce qu’il reste de l’empire Ben Ali ? Plus aucun portrait de l’ex-chef d’État ; ni à la douane, ni dans le hall d’arrivée.
Plus de police non plus. Il semble qu’elle soit affectée à la circulation à coup de sifflets stridents à la sortie de l’aéroport. La Tunisie est libre et nous avec. Tiens, saviez-vous ce que la femme tunisienne a obtenu avant la femme française ? Hé bien c’est le droit de divorcer et celui d’avorter. Justement on joue au théâtre municipal de Tunis un spectacle sur Bourguiba : « Dernière prison ».
Nous sortons libres de l’aéroport de Tunis-Carthage; libres comme la Tunisie.
Peu de tunisiens ne parlent pas le français. Impossible de comprendre à quelle catégorie appartient notre chauffeur de taxi. Il a pris le risque de se faire injurier par ses pairs à la station de l’aéroport : il ne prend pas assez cher. Quand d’autres proposent 45 dinars tunisiens (DN) il accepte à 10 DN la course vers le centre ville. Le salaire maximum du minimum est ici de 300 DN mensuel (150 euros). Notre hôtel est situé au bord de la folle croissance du quartier d’affaire, quartier des banques et du musée de la monnaie flambant neuf. Je ne suis pas venue à Tunis depuis 2001. Tout a changé et tout semble identique. L’avenue Mohamed V s’est remplie d’immeubles d’assurances et de sièges de banques, de bâtiments officiels comme le siège du parti de Ben Ali le RCD, de décharges qui fument à ciel ouvert et qui empestent, de terrains vagues envahis de chats, de quartiers nouveaux hétéroclites sans habitants qui rappellent ces nouveaux quartiers « design » bâtis sur les anciens docks de Marseille. Ici et là-bas la mer est présente. Mais ici la baie s’envase et l’urbanisme fou grignote les quartiers d’entrepôts et de marécages. Il y a douze années, il n’y avait pas de distributeurs de billets dans les rues de Tunis. Aujourd’hui, il y en a. Il n’y avait pas de centres commerciaux. Aujourd’hui, il y en a. Partout la tension était présente et la politique aussi dans la bouche des tunisiens ; sous couvert nous entendions les prémices d’un soulèvement ; partout il y avait la police en civil et les portraits de Ben Ali jusque dans les échoppes les plus improbables. Aujourd’hui : tout semble en état de totale décontraction et de liberté inconditionnelle. Le champ des possibles investissements est immense ; les entreprises françaises ne se trompent pas, comme Téléperformance et ses centres d’appel où est exploitée une main d’œuvre jeune, francophone, principalement féminine, diplômée, moins coûteuse qu’un salaire marocain peut-être, dans un pays où les infrastructures sont déjà là.
Tunisie : nouvel eldorado pour une Europe à court de profit ?
Tunis ouverte sur le monde et offerte au monde.
Toutes les rues du centre portent des noms de pays ; je loge rue de Syrie. Une avenue Bourguiba, une rue Nelson Mandela ou Jean Jaurès. Ainsi vous pouvez marcher spatio-temporellement et découvrir l’histoire récente de la Tunisie. Empruntez l’avenue de France puis la place de l’Indépendance, suivez l’avenue Bourguiba qui aboutit à la place du 14 janvier 2011 et finit sa course dans l’avenue de la République. Les plaques sont en langue arabe et française. Les trottoirs des rues sont hauts. La ravine est prévue contre le célèbre phénomène pluvieux méditerranéen. Les Tunisiens de Tunis nous disent qu’ils sont heureux de nous voir. Ils ne nous regardent plus comme ceux qui arrivent d’une terre fantasmée. Ça y est : eux aussi ont fait leur révolution, comme nous. Nous sommes des espèces de cousins. Les plus confiants pensent qu’ils vont mettre du temps pour trouver leur bonne vitesse de croisière. Quand d’autres s’alarment : la crise, le chômage, l’insécurité, que faire de cette révolution qui leur semble aujourd’hui encombrante ?
Pourtant, l’activité du centre ville est toujours aussi foisonnante et paisible. Les chats détiennent les clés de la ville. Nous sommes au printemps et les femelles y sont grosses ; cette population toutes races, poils courts ou longs et tout couleur, aura une croissance à deux chiffres d’ici l’été. Le chat tunisien est un mélange subtil d’Abyssin et de chat européen et doit être un redoutable prédateur de rats.
Tunisie, terre des mélanges. Phéniciens, grecs, romains, puniques, arabo-musulmans, turques, italiens, espagnols, anglais, français… une superposition impressionnante. Allez faire un tour aux ports puniques de Carthage. Il ne reste que le site naturel, mais les reconstitutions en maquettes du lieu sont étonnantes. Ce coin du monde a inventé le génie de l’échange, du commerce et du voyage des marchandises au IVe siècle av JC. Venir et tenir un Forum Social Mondial contre l’esprit libéral marchand dans ce berceau de la toute première marchandisation du monde et de ses échanges est une véritable gageure !
Avant de partir « reporter-monde » pour la Coordination Eau Ile de France, je m’étais attardée sur le Net. Organisation Mondiale du Commerce met en garde dans son Rapport 2009 : sous l’effet du réchauffement climatique la Tunisie devrait vivre de grands bouleversements économiques. Quid ? Dans la Conférence MEDD qui se tenait à Casablanca en 2010, le Ministère de l’Environnement et du Développement durable tunisien (Programme présidentiel 2009-2014) faisait le constat alarmant de 15 millions de m3 d’eaux industrielles pollués non re-traités sur 20 millions de m3 produits. Il mettait en avant la réussite de ses partenariats avec l’Union Européenne et jugeait la gestion « public-privé » très positive depuis les années 80. Toutefois, un point du powerpoint avait retenu mon attention : « la préservation des eaux et des sols ». Despote éclairé ce Monsieur Ben Ali ? Non. Seule la règle des PPP semblait convenir à son système d’enrichissement personnel. Une vraie manne alors qu’il héritait d’un pays fortement nationalisé sur de nombreux services. Qu’elle n’a pas été ma surprise de découvrir le bâtiment très récent du siège de l’Office National de l’Assainissement dans le quartier des banques !
23-24th March – La Goulette without Claudia Cardinale >>>voir ICI
Au centre de Tunis, le jardin Habib Thameur est tout vert, mais il est fermé. La ballade vers la Corniche s’impose car le FSM ne démarre que le 26 mars.
Direction la Corniche dans le si fameux « train bleu » de la côte. Ah j’oubliais, Tunis a cinq lignes de tramways, des lignes de bus complémentaires, deux gares de trains de banlieue. Les écoliers sont en vacances. Le jour férié est le dimanche : un reste désuet du protectorat français ? Beaucoup de sorties en famille ou entre amis ce jour-là à Sidi Bou Saïd et à La Goulette. Lorsque l’on regarde les consommations des tables en terrasse, ce sont : cafés et thés à la menthe qui prédominent. Les sodas sont-ils trop chers pour le tunisien moyen ? Si Carthage déroule toujours ses villas de notables, Sidi Bou Saïd ressemble à un musée prisé par les étrangers : le Café des délices est toujours là, mais il est bien vide. Le Casino de La Goulette en front de mer a été vandalisé, il est fermé. Un tag : niqe l’argen. Dans les petites gares qui se succèdent : toujours des tags de la révolution : dégage. Des mots d’amour aussi : Sofiane aime Charlotte. Mais où est Claudia ? Sur la plage de La Goulette ? Non. Mais les barques de pêcheurs, oui : voir ICI
Du côté des rochers, des jeunes plongent et se baignent déjà ; impatients ou courageux ? Il y a peu d’occupations ici : plus de cinémas, quelques terrains de foot plutôt improvisés qui doivent être impraticable à la moindre pluie. De loin, des scouts qui martèlent un chant assez guerrier. Des adolescentes croisées et re-croisées qui ne cessent de se photographier dans des pauses très sophistiquées, comme Claudia.
Mais il faut revenir sur nos pas : la nuit tombe rapidement.
De retour à Tunis nous mangeons un plat tunisien diabolique à côté de la mosquée El Feth : piment extrême. C’est un enfant qui nous sert. Les femmes qui portent le foulard en ville ne sont pas plus nombreuses qu’en Ile de France. Celles qui portent la burqa ou le niqab le sont encore moins. La mode qui fait rage ce sont les chaussures compensées très hautes à talons aiguilles. La religion qui se vit ne s’affiche quasiment pas. Les lieux de culte sont exubérants parfois : comme la grande synagogue dont la façade entière est enceinte d’une étoile de David. La cathédrale semble définitivement fermée ; face à elle, l’ambassade de France. Nous longerons à plusieurs reprises ses bâtiments. C’est un des plus surveillés de la capitale et certainement le plus bardé de barbelés (?). Les Tunisiens s’en amusent. Ils nous expliquent que c’est pour mieux contenir les Français qui sont à l’intérieur et non pour les protéger de l’extérieur…
25th march JUSTICE WATER DAY
co-organisé par Blue Planet Project (Ottawa Canada)
et Food and Water Watch (Waschington USA)
Ca tombe bien, le quotidien La Presse a sorti ce jour-là un article signé Féthi Frini « L’accès à l’eau : enjeux et enseignements » dans le cadre de la Journée internationale de l’Eau 2013. L’article s’ouvre sur plusieurs constatations comme : « En effet, dans la foulée de la révolution, l’exigence d’une répartition équitable des richesses, a remis au-devant de la scène la nécessité d’améliorer entre autres, l’accès à l’eau potable. ». Il est fait état que la FAO a placé au 9e rang la Tunisie dans le classement mondial des pays menacés de pénurie d’eau. Trois items ornent son article : « Le coût de l’accès à l’eau potable » considéré « sous la perfusion des pouvoirs publics » ; « Le système de l’eau à repenser » pour être « gagnant-gagnant » ; « Celui qui peut payer obtient le produit » considéré comme « une substance abondante devenue une denrée rare en se marchandisant ». C’est à n’y rien comprendre ! La gestion de l’eau est-elle encore publique, déjà privée, les deux ? Mystère.
Une rencontre a lieu la veille avec les organisateurs du WATER JUSTICE DAY : et nous voici sur les bancs de la Faculté des Sciences Humaines et Sociales de Tunis.
Celles et ceux qui étaient au Forum européen Florence 10+10 sont ici. Julie Zarka (yes !) fera l’interprète anglais-français-portugais au pied levé aux côtés de David Boys.
Témoignages et c’est parti.
Le continent Nord américain et la problématique des sables bitumineux et terres indigènes, des nappes phréatiques et pétrole, gaz de schiste; L’Inde / la Thaïlande / les Philippines et la privatisation de la ressource eau à des fins industrielles et en gestion PPP, l’Afrique Est-Ouest et ses problèmes récurrents d’accès à l’eau potable, le continent Sud américain et les modèles néo-libéraux qui ont placé l’eau en concessions privées (Chili), sans équité de desserte en gestion « public-public »(Vénézuela), sous le contrôle total des multinationales (Mexique), l’Afrique du Sud où la privatisation de l’eau est galopante,la Palestine rationnée en eau par Israël, l’Europe où la crise entraîne la privatisation des grands services publics de l’eau (Grèce, Espagne) et dans toute cette panade : le mouvement frémissant du retour en gestion publique de l’eau en France et la résistance en veille en Italie.
Chacun s’entend pour penser que si l’Europe promeut la pétition d’Initiative Citoyenne Européenne (ICE) pour sortir l’eau du secteur marchand, cette avancée aura un retentissement important à l’international.
L’intervention d’un membre de l’U.G.T.T (syndicat unique tunisien) des services publics de l’eau nous laisse perplexes lorsqu’il affirme que malgré le stress hydrique que connaît la Tunisie, 100% des zones urbaines sont desservies en eau potable contre 90% en zones rurales. Féthi Frini de La Presse semble confirmer que 350 000 foyers déshérités auront seulement accès à l’aube 2016 à l’eau potable grâce à un Programme national d’investissement (A.E.P) gigantesque.
Petite surprise de fin de journée : Mohamed Larbi Bouguerra s’est invité parmi le groupe CAMPAINS. Un petit coup d’œil sur son site Partage des eaux : ICI
Notre groupe RIGHT axé sur le tout nouveau droit à l’eau onusien nous laisse rêveur : « comment appliquer cette toute nouvelle prérogative O.N.U comme un droit fondamental sur nos territoires ? ». Nous savions qu’avec un Forum Social nous regarderions vers les forces altermondialistes et les alternatives ; ici nous nous surprenons à regarder vers l’outre-atlantisme.
Serions-nous déjà en guerre que nous regardons vers l’allié Nord-américain comme on planifie un D-Day ? Tiens, un détail nous a presque échappé ce 22 mars 2013. Il se signait un partenariat important entre la France (UMR G-Eau Gestion de l’Eau Acteurs Usages, IRSTEA, CIRAD) et la Tunisie (Ministère de l’Agriculture), où le volet « eau » avait une large place. Allez faire un tour sur le site du FAME Marseille 2012 et lisez ce tout nouvel article de Thierry Uso :ICI
26th march : la manif dans les rues de Tunis
À la gare des trams République : une certaine Amira propose des brushing à 4 DT ( 2 euros).
Emplettes au Marché Central où les étals font le plein : oranges et oignons doux, fraises, aubergines contorsionnées, tomates à peau épaisse, piments, fromages râpés ou en motte ou à pizza, poutargues, brousses, fleurs, galettes, viandes et poissons, dates, laitues en cœur. La saison semble propice au maraîchage. Nous opérons une escapade au Théâtre El Hamra : on y joue la toute nouvelle création Guannoun-Toubel : « Monstranum » du jeudi au samedi à 19h. Il y a toujours à l’angle de l’impasse le marchand d’épices à même les paniers tressés : verveines, bois à brûler, encens en cristaux, buissons aux divines puissances inconnues. Nous passons devant la Maison de la Culture Thala où se déroulent les « Journées du cinéma des droits et des libertés ». Autour des mosquées, on trouve les produits rares de l’Islam : Coran, parfums, baume du tigre, tenues, mais aussi savons à la rose pour la virginité et poudre de cornes de gazelle contre l’éjaculation précoce.
Il est enfin 16h. Nous avons notre laisser-passer et un Programme du F.S.M en poche où figurent pas moins de 500 ateliers (3 jours), sans compter les assemblées de convergence le quatrième jour. Un sacré cru !
Le coup d’envoi est donné ! Le cortège F.S.M s’ébranle joyeux et musical sous le regard ébahi des Tunisiens qui se demandent si la révolution reprend ou si le monde entier a décidé d’organiser désormais ses manifs en Tunisie ?! Beaucoup de jeunes nous demandent : « et vous, vous avez fait comment après votre révolution ? » . Cette ouverture de Forum donne l’occasion d’honorer les martyrs : Mohammed Bouazizi hier, Chokri Belaïd aujourd’hui, des inconnus parfois dont les portraits circulent. Peu de forces de Police. Nous passons devant l’immeuble du siège du RCD. Le cortège va-t-il stopper devant le bâtiment déserté ? Non. « Monsieur Dégage » est loin. Le F.S.M bat le pavé et les Tunisiens ne découvrent pas « qu’un autre monde est possible » puisqu’ils le vivent ! Nous avec et pour quelques jours.
27-28-29 th March : « water-melting-pot » you say ?
Nous sommes de vieux baroudeurs du sujet. On ne nous la fait plus depuis le Forum Alternatif Mondial de l’Eau (FAME) Marseille 2012. Quoique : la financiarisation des « services rendus par la nature », l’eau en l’occurrence, qui a pris sa source on ne sait dans quel cerveau malade nous surprend tout de même. Et le brûlant réquisitoire d’André Abreu activiste brésilien de l’eau, contre l’entrée en banque de « l’or bleu » irradie l’assemblée que nous sommes à L’ESPACE CLIMAT : Commodification and financialization of nature.
Cet atelier est essentiel pour tenter de connaître les dessous d’un Groupe de travail européen où Eau de Paris s’est vue refuser l’entrée au Club très fermé du BLUE PRINT.
Depuis quelques jours, les propos du syndicat tunisien UGTT-Eau et ceux de la presse locale ne me laissent pas en repos. La situation tunisienne est un bel exemple qui ne donne pas toutes les données essentielles ; elles vont vite s’éclaircir.
Je fais le choix d’assister aux ateliers sur les problématiques tuniso-tunisiennes de l’eau, après un dernier passage auprès de notre famille de l’eau réunie une nouvelle fois par Blue Planet Project autour de la Table ronde eau bien commun et droit humain
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De nombreux ateliers sur les problématiques Eau sont programmés au même moment, surtout ceux qui concernent l’eau et la démocratie.
Un m’intrigue plus particulièrement ; il est co-organisé par l’Assemblée des Citoyens et Citoyennes de la Méditerranée https://www.citizensforeurope.eu/org-425_fr.html
et l’Association pour l’amélioration de la Gouvernance de la Terre, de l’Eau et des Ressources naturelles https://www.agter.asso.fr/ : Améliorer la gouvernance de la terre, de l’eau et des forêts dans le monde.
Cet atelier se révèlera excessivement intéressant ; il ne sera question que du cas tunisien. La composante des intervenants est forte : deux acteurs directs, j’entends deux agriculteurs tunisiens. Ma sensation de manque s’estompe ; un Forum Social sans acteurs (hors activistes, associatifs, syndicalistes) n’est pas un Forum Social. Tout en un, nous découvrons les nombreuses réalités de l’eau en Tunisie.
Autour de l’utilisation de cette ressource vitale se livre déjà une bataille serrée : 95% de l’eau douce est utilisée, ce qui place en concurrence forte l’usage privé, le tourisme, l’irrigation, l’industrie et l’extraction minière.
La marge insuffisante des 5% semble avoir pour effet d’accentuer les fortes inégalités d’accès à l’eau entre tunisiens, d’un territoire à l’autre, comme il en sera question dans l’atelier L’épuisement des ressources en eau dans la région de Jérid. Certains intervenants présents semblent placer tous leurs espoirs dans un réseau d’assainissement plus performant. Pourquoi pas plus de désalinisation ? C’est vite dit car coûteux et stérilisant pour les sols.
Nos deux témoins agriculteurs incarnent une longue lignée d’histoire universelle : puissants contre petits. C’est le thème de cet autre atelier : Problèmes d’eau et de dette pour les agriculteurs de la région de Mornag, Ben Arous, Doustourna. Mais ils pourraient bien se retrouver plus rapidement qu’ils ne le pensent et du même côté : le sous-sol est à vendre et le Qatar investit ces derniers temps dans l’extraction minière gourmande en eau comme le phosphate à Gafsa. Le plus riche a créé un syndicat d’agriculteurs qui peine à se faire entendre dans la cacophonie générale du Gouvernement provisoire. Tout cela est nouveau pour lui. Le plus pauvre est sur ses gardes. Il est grave sur la situation qu’il vit. Sans la mobilisation du F.S.M et des médias, il aurait déjà disparu.
Au détour des échanges qui sont chargés d’Histoire et de sociologie, nous découvrons que le système hérité des colons permettait aux proches du pouvoir de bénéficier d’avantages et d’eau pour leur usage privé et économique. Ce système est toujours en place. Les deux années d’après révolution n’ont pas permis d’engager malgré les bonnes volontés et les appétits de nos deux acteurs, des réformes équitables et sans lesquelles la Tunisie ne fera pas son envolée démocratique de manière satisfaisante. En matière d’eau, les fonds régionaux sont à sec depuis des décennies ; la maîtrise séculaire de l’eau n’est pas valorisée et aucune formation n’est proposée à une jeunesse sur-diplômée en Tourisme.
Boire l’eau du robinet en Tunisie reste une mission complexe, salée et très javellisée. La déshérence est le pire des maux qui empoisonne aujourd’hui cette eau.
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30 th March : le mendiant à la gare République
Dans quelques heures, nous entamerons le chemin du retour vers la France.
Depuis le début de notre séjour, un mendiant stationne en journée à une des entrées étroites de la station de tram République. Autour de lui des tourterelles s’affairent à picorer des grains de blé qu’il a jetés. Chaque tourterelle porte un ruban de type « bolduc » placé sous une aile et auxquels sont accrochés des piments miniatures en plastique ou des fleurs discrètes en tissus, ou rien.
Le moment est venu. Je m’adresse à lui ; il me répond dans de nombreuses langues ; nous bloquons le canal traduction en mode « français » et aussitôt un petit attroupement se forme autour de nous. Sa barbe est longue comme celle d’un sage hindouiste. Sa coiffure est biblique. Son visage est immense ; aussi grand que le tour du monde qu’il a fait pour les combats de boxe qu’il a menés et dont son nez a gardé la trace. Il répond à ma curiosité : chaque ruban posé est un vœu à exaucer ; lorsque le ruban se détache, le vœu s’exauce. À mon tour, je réponds à sa curiosité : je suis venue ici pour l’eau et le Forum Social ; il me demande de revenir cet après-midi car il aura ce qu’il faut pour « ma voix ». Nous nous quittons. Aujourd’hui certainement, un oiseau libre porte à Tunis un ruban de bolduc où est inscrit un vœu silencieux : « eau bien commun, envole-toi et sème ».
J’achète une dernière fois La Presse.
Les articles qui s’offrent à ma lecture sont de multiples indicateurs qui rejoignent l’alerte lancée par les jeunes tunisiens présents lors de l’atelier Engager les jeunes pour la mise en place du droit à l’eau proposé par EYES Network https://www.fsm2013.org/organisation_info/1819 et Les Petits Débrouillards https://www.lespetitsdebrouillards.org/ .
Ils témoignaient de leurs inquiétudes concernant l’accaparement de la ressource en eau par des projets privés d’envergure alors que les aquifères sont bas dans les oasis de Jérid, d’El Hamma et Tozeur. La jeunesse tunisienne a joué un rôle déterminant à la fois sur le plan syndical (Syndicat des Jeunes Chômeurs Diplômés) et dans la société civile au moment de la Révolution de jasmin. Ils seront les LANCEURS D’ALERTE déterminants de ce Forum en matière d’eau.
Plusieurs articles ne les démentent pas dans L’écho des régions de ce 30 Mars.
Nous retrouvons notre riche propriétaire terrien syndicaliste en investisseur pour Tunisia Holding proposant un projet agro-alimentaire couplé de tourisme vert « Mactaris » pour un montant de 650 millions DT dans la Région de Siliana qu’il compte transformer en « ventre de Tunis ». Tiens, la vente de la Compagnie des phosphates de Gafsa ( 8ème place au rang mondial ) est repoussée. Deux allotissements sont proposés dont un « ayant pour objet la réalisation d’une usine de lavage et flottation du phosphate » alors que les agriculteurs de Gafsa réclament des dédommagements pour la pollution industrielle massive de leurs terres.
À Tozeur, la plantation d’arbres fruitiers a cessé suite à l’insuffisance des eaux d’irrigation et malgré la gratuité des plants distribués aux arboriculteurs.
Dans le Jérid rongé par 40% de chômage, se sont tenus des Assises et un Forum pour le développement économique à l’initiative d’ONG ( ?) Les Amis du Jérid et Entrepreneurs sans Frontière https://www.developpeurs-sans-frontieres.fr/les-amis-du-jerid-se-retrouvent-a-tozeur-dans-le-sud-tunisien/. Jérid : 120 mm de pluie par an. Cet article s’ouvre sur les nombreux atouts de la région : ses ressources naturelles trop peu exploitées : argiles, sables et autres minerais rares à grande « valeur ajoutée » et sur la possibilité d’un tourisme médicalisé haut de gamme pour retraités européens, assorti d’une Fac de Médecine « off shore » jumelée avec Paris VII (sic).
Au même moment, la ville d’El Hamma (eau chaude en langue arabe) valorise son 1er Festival International « L’eau, richesse des ancêtres et révolution des générations ». Il porte sur les thèmes de « l’exploitation de l’eau à El Hamma », « l’agriculture géothermique et biologique », « l’artisanat et les opportunités d’investissement à El Hamma » avec pour spectre le tarissement réel de ses sources géothermiques dû à la surexploitation des cimenteries qui ont bétonné la côte Est pendant trois décennies.
Dans le taxi qui nous ramène à l’aéroport de Tunis-Carthage, Élisée Reclus, géographe, surgit, écrivant ces lignes devant la puissance du fleuve Mississipi qu’il découvre :
« Les cours d’eau n’ont plus aujourd’hui leur antique importance, car ils ne sont plus les seules voies de communications entre les peuples. Aucun fleuve ne sera désormais ce qu’était le Nil pour les Égyptiens, à la fois le père et le dieu, celui qui faisait naître les peuples, les récoltes et la civilisation dans sa vase échauffée par les rayons du soleil. Aucun autre Gange aux ondes sacrées ne coulera désormais sur la terre, car l’homme n’est plus l’esclave de la Nature. Il peut se créer des chemins artificiels plus courts et plus rapides que les chemins naturels, et la seconde nature, plus vivante, qu’il se crée par le travail de ses mains le dispense d’adorer la première nature, qu’il vient d’asservir. » (*)
Que d’erreurs ! Le Gange est toujours fleuve sacré sur un continent indien en pleine révolution technologique. Un 29 août 2005, la mer est entrée dans le fleuve Mississipi pour retrouver ses vieilles habitudes millénaires et les digues construites par la main de l’homme sur les alluvions affaissées du fleuve ont cédé par 6 mètres en dessous de la mer. Quant au Nil, trop de barrages et de pollutions ont eu raison de sa fertilité séculaire, dans une région du monde où la misère galopante fait du vieux grenier à blé égyptien une poudrière écologique et sociale.
Reportage textuel : Marie Isabelle HECK – reportage photographique : Marie CHAUMET, Julie ZARKA, Marie Isabelle HECK
(*) Élisée Reclus – En descendant le Mississipi – 1858