Paysans, nous sommes résolument contre les mégabassines

Alors que la manifestation contre les mégabassines a atteint ses objectifs malgré son interdiction et l’arsenal répressif déployé par le gouvernement, retour sur le fond du problème avec cette tribune de plusieurs confédérations paysannes, publiée dans Reporterre le 28 octobre. La lutte contre les mégabassines, une lutte contre les agriculteurs ? Surtout pas, assurent des paysans dans cette tribune. Ils appellent à transformer les pratiques agricoles pour préserver la nature et non l’exploiter.

Ce texte a été écrit par les confédérations paysannes des départements concernés par les mégabassines (Vendée, Vienne, Deux-Sèvres, Charente) et la Confédération paysanne nationale. 150 associations et collectifs, dont la Confédération paysanne, ont appelé à une grande manifestation les 29 et 30 octobre à Sainte-Soline (79) pour stopper un énorme chantier de construction de mégabassine.


Nous, paysannes et paysans de Charente, Vendée, Vienne, Deux-Sèvres, produisons et cultivons sur des territoires aujourd’hui menacés par l’apparition des mégabassines. Depuis nos fermes et face à l’urgence climatique, nous demandons l’arrêt immédiat de la construction de ces cratères bâchés de 5 à 16 hectares dédiés à la survie d’un modèle agricole anachronique qui assèche les sols.

Les promoteurs des mégabassines arguent qu’il faut bien nourrir la population et que les mégabassines sont d’utilité publique… C’est faux. Ce n’est qu’une nouvelle affabulation, après avoir fait croire qu’elles se remplissaient avec de l’eau de pluie, sans pompage dans les nappes phréatiques ! [1]. Face au manque d’eau critique, notre profession va devoir relever le défi de continuer à assurer une production nourricière et locale. Mais les mégabassines ne sont pas la solution !

Ces dispositifs privatisent en réalité un bien commun au profit d’une minorité d’agriculteurs inféodés au système agro-industriel. Sur le bassin Sèvre niortaise-Mignon, il existe 2 000 exploitations agricoles. Seules 200 à 300 d’entre elles sont irrigantes (beaucoup d’agriculteurs cultivent du blé, du tournesol, du millet, des lentilles, etc., sans besoin d’irrigation) et, parmi celles-ci, 103 uniquement sont connectées sur les 16 bassines en projet. 5 % des exploitations vont donc accaparer l’eau au détriment des autres usages agricoles et non agricoles !

« 5 % des exploitations vont accaparer l’eau »

Cette privatisation se fait de plus au détriment de notre souveraineté alimentaire. L’eau pompée dans les nappes phréatiques pour les mégabassines est destinée avant tout à l’irrigation du maïs, inadapté à nos régions et cultivé en partie pour être exporté ou vendu aux producteurs d’aliments industriels. Le tout maïs est l’incarnation d’un système absurde écologiquement et économiquement produisant des céréales en quantité pharaonique pour engraisser des animaux d’élevage en bâtiment, dont la part d’herbe dans l’alimentation a été réduite au minimum. Et même si la part de maïs tend à diminuer parmi les surfaces irriguées, c’est au profit d’autres cultures industrielles ou de cultures qui n’étaient pas irriguées auparavant : céréales à pailles, semis arrosés pour faire lever des cultures de printemps, voire du colza à l’automne…

En pompant l’eau l’hiver, les 5 % d’irrigants connectés aux mégabassines ne seront en outre plus limités par les arrêtés sécheresse et vont ainsi hypothéquer le peu d’eau que l’on aura dans nos rivières et nos nappes, aux dépens des autres agriculteurs et des besoins en eau potable de la population.

Ce système est, depuis des décennies déjà, partie prenante du manque d’eau chronique sur nos territoires. Dans la course au productivisme, le bocage a laissé place à la plaine. Les haies ont disparu. Les prairies, qui servaient de pâturage et stabilisaient les sols, retenaient l’humidité et hébergeaient une multitude d’êtres vivants, ont été remplacées par de vastes étendues céréalières drainées, qui ne sont plus fertiles sans engrais ni pesticides. Dans le Marais poitevin, plus de la moitié des prairies naturelles ont disparu au profit de cultures depuis les années 1980. Sa production « intensive » est aussi à mettre en balance avec la pollution durable des sols et des eaux, et la baisse drastique de la biodiversité animale et végétale.

En réalité, cette agriculture sape depuis plusieurs décennies les conditions de sa reproduction et donc de notre alimentation. Les agriculteurs, dépendants de la politique agricole commune (PAC) économiquement, sont victimes de choix politiques désastreux. Nous n’oublions pas non plus que des maladies liées aux pesticides comme Parkinson ou le cancer de la prostate sont reconnues comme maladies professionnelles.

« L’argent public ne doit pas servir à sauver un modèle insoutenable »

Face au réchauffement climatique et à la dégradation des conditions de vie sur Terre, nous devons réfléchir à transformer nos pratiques agricoles pour préserver les paysages, l’eau et la nature au lieu de les exploiter jusqu’à épuisement. L’utilisation de l’eau doit être repensée de façon ciblée sur des productions nourricières et locales pourvoyeuses d’emploi, comme le maraîchage. Tout comme la production industrielle de viande : nous devons réorienter nos élevages vers des systèmes vertueux herbagers moins dépendants de l’apport en céréales. En accord avec les capacités de la ressource, le stockage de l’eau pour l’irrigation est possible avec, par exemple, de petites retenues remplies uniquement par ruissellement des eaux de pluie ou à partir des eaux de surface et des rivières en période de crue.

L’argent public doit servir à favoriser ce changement de pratiques et non à sauver un modèle insoutenable.

L’accaparement de l’eau et le type d’exploitation qu’il promeut renforcent encore les processus déjà à l’œuvre d’accaparement des terres et de disparition des petites fermes. Alors qu’il est plus que jamais urgent que les alternatives paysannes se développent, les politiques agricoles ne cessent de favoriser l’agrandissement d’exploitations non transmissibles à des nouveaux installés. À qui vont aller des infrastructures devenues démesurées et inaccessibles financièrement sinon à des industriels ou des investisseurs ?

Les mégabassines ne sont pas un combat entre écologistes, d’un côté, et agriculteurs, de l’autre, mais bien le symbole d’un choix à effectuer entre deux visions de l’agriculture, entre deux futurs possibles pour nos territoires. Notre part dans ce combat, nous la prenons déjà au quotidien par notre pratique paysanne, mais nous savons que le tournant nécessaire ne surviendra pas sans mobilisations larges et déterminées de la société civile.

Nous en appelons aujourd’hui à la population pour qu’elle s’engage au côté de l’agriculture qu’elle veut voir, et dans son assiette, et dans son environnement. Nous appelons toutes et tous à venir le 29 octobre à Sainte-Soline manifester sereinement avec nous pour l’abandon des travaux de la mégabassine et pour obtenir un moratoire sur les autres chantiers annoncés.

3 réflexions sur « Paysans, nous sommes résolument contre les mégabassines »

  1. Quelques éléments complémentaires
    -en mai 2022 : FNE alerte sur l’augmentation générale des surfaces irriguées : + 14% entre 2010 et 2020 alors que baissent les ressources en eau;
    -entre le RGA (Recensement General de l’Agriculture) 2010 et le RGA 2020, la surface irriguée passe de 5,8 à 7,8 % de la surface agricole utile (SAU).
    Voir ici l’analyse détaillée
    https://fne.asso.fr/communique-presse/secheresse-l-irrigation-augmente-alors-que-la-ressource-en-eau-diminue

  2. Merci. L’argument de départ, -le volume de la bassine ne représente pas grand chose par rapport au volume d’eau douce rejeté annuellement en mer- n’est pas convaincant. Car c’est de l’eau de nappe souterraine qui est prélevée et mise en circulation de façon accélérée. Normalement cette eau soutiendrait l’étiage des cours d’eau, contribuerait au maintien de la biodiversité et à l’humidité des sols (et donc leur capacité d’absorption de l’eau de pluie qui ruisselle sur un sol sec). La comparaison adéquate, c’est avec l’eau disponible pour les différents usages. La bassine, c’est l’équivalent d’environ 20% de la consommation d’eau potable de l’agglomération niortaise, par exemple. Qui plus est en période de sécheresse, on ne peut admettre que quelques-uns s’accaparent la ressource pour leur seul profit.
    Idem, les 2% de la ressource, c’est une vue de l’esprit: quel pourcentage par rapport à la ressource effectivement et facilement disponible? Piller la ressource facile d’accès et laisser la ressource qui nécessite un lourd investissement pour son accès aux autres, ce n’est pas vraiment équitable, non?
    D’accord avec la suite de votre texte.

  3. Le volume de la bassine de Sainte Soline (720 000m3) ne représente que 0.1% du volume d’eau douce rejeté par la Sèvre Niortaise dans la mer en une année … on ne manque pas d’eau on en jette beaucoup trop et même deux fois trop.

    Un bilan hydrique se fait pas rapport à la ressource (les précipitations annuelles), l’erreur du rapport Acclima Terra, publié en 2017 par la région Nouvelle Aquitaine, a été de présenter les prélèvements comme base de calcul, effectivement l’irrigation représente 46% des prélèvements annuels mais c’est moins de 2% de la ressource, on ne manque pas d’eau mais simplement de réserve … L’INRAE a publié en 2019, la Nouvelle représentation du cycle de l’eau parce que l’ancienne prêtait dangereusement à confusion, contrairement aux idées reçues les pluies ne proviennent pas uniquement de la mer mais au contraire à 70% de l’évapotranspiration et donc de la végétation. Alors oui la végétation utilise 70% des pluies mais cette forte évapotranspiration est le moteur du cycle de l’eau, c’est pourquoi il ne pleut pas dans les déserts.

    La plante qui « transpire » le plus au m2 l’été, donc qui climatise le mieux, c’est l’arbre (le feuillu : 300 à 500 litres d’eau par jour, 5000 m3 à l’hectare et par an), mais il faut au minimum 30 ans pour qu’un arbre soit pleinement opérationnel, en attendant il faut assurer une couverture végétale vivante l’été sur toutes les surfaces agricoles et urbaines pour provoquer les pluies et évacuer la chaleur (20°c de moins grâce à l’évaporation de l’eau). Contrairement aux idées reçues, aucun champ irrigué ne peut évaporer plus d’eau qu’une forêt, il faut replanter des arbres mais une haie dans un champ sec l’été c’est une goutte d’eau dans le désert : c’est avec des champs verts qu’on fait pleuvoir, c’est avec des champs secs qu’on fabrique des déserts sans eau et sans vie.

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