La dégradation de la quantité d’eau disponible et de sa qualité résulte d’un mode de production et de consommation : l’exemple de la pomme de terre. Extrait du chapitre sur l’eau (à lire ici) du rapport sur l’état des services publics en 2024 publié par le collectif Nos services publics.
Au XXème siècle, les pommes de terre étaient produites sur l’ensemble du territoire français par de petites exploitations agricoles et dans les jardins familiaux. Elles constituaient un élément important de l’alimentation de la population, encore très largement rurale. Chaque Français mangeait en moyenne 95 kilos de pommes de terre par an en 1960 ; il n’en mange plus que 52 kilos en 2022. En conséquence de quoi les surfaces consacrées à cette production ont fortement diminué, jusqu’au début des années 2000 où elles ont recommencé à croître.
Depuis, la culture de la pomme de terre s’est transformée en une industrie tournée vers l’exportation. La France produit aujourd’hui 5 à 6 millions de tonnes de pommes de terre sur 150 000 hectares. 43 % de la production est exportée, 21 % est utilisée dans les usines de transformation pour la production de produits surgelés (à leur tour souvent exportés), 19 % est incorporée dans l’alimentation du bétail. Le marché national de consommation de pommes de terre fraîches n’absorbe que 17 % de la production. La transformation de la culture de la pomme de terre en une industrie s’est accompagnée de mutations importantes, tant pour les agriculteurs que pour les territoires, avec des conséquences significatives sur l’eau.
Les conséquences écologiques de la culture industrielle de la pomme de terre
Du fait de l’hyper-spécialisation de l’agriculture (et concomitamment des outils de transformations), la production de pommes de terre se concentre aujourd’hui dans 3 régions : les Hauts-de-France (65 % de la production nationale), le Centre-Val-de-Loire (environ 10 %) et le Grand Est (11 %). La pomme de terre ne se développe que si elle trouve suffisamment d’eau dans le sol. Ce besoin d’eau augmente considérablement pour atteindre les rendements très élevés exigés par les industries de transformation, compris entre 40 et 50 tonnes à l’hectare, de surcroît avec des pommes de terre d’un calibre suffisamment gros pour se prêter aux besoins de l’industrie. Alors que le nord de la France bénéficie d’une pluviométrie importante, l’irrigation s’est largement développée (+ 68 % de surfaces équipées en irrigation en 10 ans), notamment pour la culture de pommes de terre. Les problèmes, déjà très importants, de qualité de l’eau dans cette région, provoqués par une urbanisation et une industrialisation anciennes, s’en trouvent aggravés.
De plus, la culture de la pomme de terre intensive fait un usage très important de produits phytosanitaires pour lutter contre le mildiou et les autres maladies. Jusqu’à 20 pulvérisations de produits phytosanitaires par récolte sont nécessaires. En moyenne, 17,6 kilos de substances actives sont épandus par hectare en Belgique, contre 6,4 pour la betterave et 2,8 pour le froment. Les produits phytosanitaires ont des conséquences nocives sur la santé des agriculteurs et des personnes vivant à proximité des exploitations agricoles, et sur celle des consommateurs, ainsi que sur les écosystèmes.
Les engins agricoles utilisés pour cette culture industrielle pèsent des dizaines de tonnes et contribuent à renforcer le tassement des sols qui fait obstacle à l’infiltration des eaux de pluie. A terme, la capacité de production des sols en sera affectée. L’évolution de la culture de la pomme de terre, d’un produit de consommation à un bien majoritairement exporté, s’est accompagnée d’une transformation des modes de production favorisant les industries de transformation au détriment des agriculteurs indépendants. Ces changements ont également des conséquences néfastes pour l’environnement, avec notamment une pression croissante sur la ressource en eau. Cet exemple met en évidence la nécessaire régulation des pouvoirs publics en matière d’agriculture pour protéger la ressource en eau. Ceci ne pourra se faire sans une réorientation profonde de la Politique agricole commune (PAC), qui constitue un levier essentiel avec plus de neuf milliards d’euros de subventions annuelles à l’agriculture rien que pour la France.