Quel droit à l’eau dans les bidonvilles en France?

Le manque d’eau dans la majorité des campements et des bidonvilles en France est reconnu et a été sanctionné par un nombre croissant de tribunaux administratifs. Les collectivités territoriales sont désormais tenues d’intervenir seules ou avec le concours de l’Etat pour que le droit à l’eau et à l’assainissement soit respecté même dans le cas des campements et autres logements précaires. Dans quelques cas récents, le droit à l’eau n’a curieusement pas été retenu par les tribunaux saisis. Par Henri Smets, Académie de l’Eau.

1. Les plus démunis ont droit à l’eau

En 2010, la France a voté aux Nations unies en faveur de la reconnaissance du droit à l’eau et à l’assainissement pour tous. Elle s’est engagée à mettre en oeuvre ce droit au plan interne et elle a pris depuis lors de nombreuses dispositions pour que cet engagement devienne une réalité notamment dans le cas des plus précaires. Concrètement, il appartient désormais aux collectivités territoriales de fournir de l’eau potable à tous ceux qui en seraient privés pour raisons économiques et qui résident sur leur territoire. Il leur faut aussi assainir les eaux usées produites par ces personnes et fournir un accès à des toilettes si elles n’en disposent pas dans leur habitation. L’eau et l’assainissement sont devenus des biens et services essentiels dont nul ne peut être privé. La mise en oeuvre de ce nouveau principe de droit humanitaire pose des problèmes.

De quels droits les plus démunis disposent-ils réellement en matière d’accès à l’eau et à l’assainissement? Pour répondre à cette question, nous examinerons le cas des campements, des bidonvilles et des squats au voisinage des villes françaises et nous nous référons à la jurisprudence récente de plus en plus abondante des tribunaux administratifs concernant les lieux de vie.

2. L’accès à l’eau potable chez les sans abri

Les conditions de vie dans les campements sont particulièrement mauvaises. Comme l’indique la Fondation Abbé Pierre, « Sans toit, sans eau, sans nourriture, sous la menace d’un virus mortel, la vie ne tient plus qu’à un fil ».Des difficultés sérieuses d’alimentation en eau et d’accès à des toilettes existent encore en France pour près de 200 000 ménages parmi lesquels 173 000 ne disposent pas de WC intérieurs et 117 000 ne disposent pas de douche (Eurostat). Selon la Fondation Abbé Pierre, il y aurait en France en 2019 quelque 250 000 sans abris.

Dans les Départements du Nord et du Pas-de-Calais, de nombreux migrants manquent de tout. Selon les experts des droits de l’homme de l’ONU (2018), jusqu’à 900 migrants et demandeurs d’asile à Calais, 350 à Grande-Synthe et un nombre inconnu dans d’autres régions de la côte nord de la France vivent actuellement sans accès à des abris d’urgence convenables et sans accès régulier à l’eau potable, aux toilettes et aux installations sanitaires. Ils logent dans des tentes sans toilettes et se lavent dans des eaux polluées d’une rivière ou d’un lac. Les autorités françaises et les ONG ont fait de grands efforts pour améliorer une situation inacceptable qui a été dénoncée à de multiples reprises par le Tribunal administratif de Lille, par le Conseil d’Etat et par les instances onusiennes.

En plus du cas des migrants, il existe en France métropolitaine près de 16 000 personnes majoritairement européennes dans des campements au voisinage des villes dans près de 500 sites situés dans 41 départements (DIHAL, 20181). Cette estimation est sans doute très inférieure à la réalité puisque l’INSEE donne une estimation de 143 000 SDF en 2012. Les campements illégaux font souvent l’objet d’expulsions forcées. Ainsi, en 2018,

9 688 personnes ont été expulsées de 171 lieux de vie différents.

L’accès à l’eau dans les campements est très limité. Sur les 224 sites renseignés par la DIHAL à Toulouse, seulement 72 (32%) ont accès à l’eau potable. Selon Médecins du monde, 66% des campements en France n’ont pas accès à l’eau potable et selon Romeurope, cet accès manque dans 80% des campements. L’absence d’accès à l’eau et le manque de toilettes a posé des problèmes aigus pendant le période de confinement d’autant plus que l’accès aux sanisettes avait été fermé dans de nombreuses villes.

3. Rôle des collectivités territoriales en matière de droit à l’eau

Au vu de leurs compétences dans les domaines de l’eau et de l’assainissement, les collectivités territoriales sont directement concernées par les questions d’accès à l’eau potable ; elles disposent de pouvoirs de police générale et doivent assurer la salubrité publique. En cas de nécessité, les collectivités sont en mesure de mettre en place sans trop de délai des points d’eau, d’ouvrir des branchements, de fournir des citernes d’eau, de distribuer des bonbonnes d’eau et des packs, d’installer des toilettes mobiles ou des latrines.

Même en cas d’irrégularité de l’habitat ou du statut administratif des personnes en cause, les collectivités sont tenues de remplir leurs obligations en matière d’accès à l’eau et à l’assainissement. Comme il y a parfois des réticences, les préfets ont encouragé les maires à donner accès à l’eau, élément essentiel pour assurer la salubrité publique. C’est notamment le cas en Seine-Saint-Denis et en Val-d’-Oise ( Voir ci-dessous).

LE PRÉFET INVITE LES MAIRES A FOURNIR DE L’EAU POTABLE AUX PERSONNES VULNÉRABLES (encadré 1)

En 2020, le Val d’Oise ( 1.2 million d habitants) compte 26 campements qui abritent une population estimée à 1 231 personnes dont 420 mineurs. Les conditions de vie y sont très pénibles puisque plus de 50% de ces campements ne disposent pas d’un accès immédiat à l’eau. Le 31 mars 2020, le Préfet du Val d’Oise a adressé une lettre aux maires concernant l’accompagnement des personnes vulnérables dans les campements, les bidonvilles et les aires d’accueil des gens du voyage. Il rappelait notamment que « outre la mobilisation des services de l’Etat et des acteurs associatifs, l’intervention des collectivités locales est fondamentale pour assurer la protection de ces publics et garantir la satisfaction des besoins humanitaires essentiels, c’est à dire l’accès à l’eau potable, l’alimentation et le cas échéant l’accès aux soins ». Le Préfet a demandé aux maires « de tout mettre en oeuvre afin de permettre à ces populations d’accéder à l’eau, y compris par l’installation de citernes si besoin »


Les collectivités territoriales qui hébergent des campements, des bidonvilles ou des squats se doivent de mettre en place les dispositifs pour la fourniture d’eau potable et de fournir l’accès à des toilettes près des zones de campement. Récemment, il a fallu l’intervention des ONG pour alerter les municipalités sur les conditions de vie dans les campements privés d’eau lors du confinement.

Les opérations d’urgence pour corriger un manque d’eau potable sont à la charge des collectivités. Lorsque la dépense est trop importante pour la collectivité concernée, l’autorité préfectorale devra également intervenir. Cette obligation partagée à charge des collectivités et de l’Etat est attestée par une décision du Conseil d’Etat de 2017 relative aux migrants de Calais. Selon le Conseil d’Etat, les « conditions de vie font apparaître que la prise en compte par les autorités publiques des besoins élémentaires des migrants qui se trouvent présents à Calais en ce qui concerne leur hygiène et leur alimentation en eau potable demeure manifestement insuffisante et révèle une carence de nature à exposer ces personnes, de manière caractérisée, à des traitements inhumains ou dégradants, portant ainsi une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale.

Aussi la collectivité de Calais et le Préfet ont-ils été condamnés à fournir en urgence des services d’eau et d’assainissement. De même, en 2018, le Conseil d’État a enjoint le Préfet du Nord d’installer des points d’eaux, des douches et des sanitaires « en nombre suffisant » à proximité du gymnase de Grande-Synthe, autour duquel vivent quelque 700 migrants. Les autorités à Grande-Synthe, se sont accordées récemment sur la mise à disposition de façon provisoire des infrastructures suivantes :

– rampe de distribution d’eau potable (Ville),

– toilettes le jour uniquement (Région/Etat),

– citerne d’eau avec dispositif pour le lavage des mains (Région/Etat),

– douches (Ville /Communauté d’agglo).

Depuis 2017, les tribunaux administratifs ont rendu plus d’une quinzaine d’ordonnances (Encadrés 2 et 3) qui confirment que les municipalités doivent fournir de l’eau potable et l’accès à des toilettes aux personnes démunies. Des astreintes ont même été imposées dans deux cas.

La position officielle de la France en faveur de la fourniture d’aide aux plus démunis dans le domaine de l’eau et de l’assainissement est sans ambiguïté. En 2015, le Ministre de l’Intérieur B. Cazeneuve a déclaré « L’Etat veillera à ce que les besoins fondamentaux des migrants présents à Calais soient satisfaits dans des conditions dignes et rigoureuses » (23 /10/2015).

L’Instruction interministérielle du 27 mars 2020 sur la prise en charge et le soutien des populations précaires face à l‘épidémie de Covid-19 précise la position du Gouvernement. Elle demande notamment :

– de veiller à la réalisation d’une cartographie des points d’eau potable ;

– de veiller à ce que les personnes à la rue aient accès à des sanitaires et des services de douches. En complément des lieux dédiés, des lieux pourront être mobilisés en fonction des besoins et des configurations des locaux (établissements scolaires, piscines ou gymnases publics) ;

– de veiller à l’organisation de l’accès gratuit à des laveries pour les personnes sans abri. Cette instruction rappelle que l’hébergement des personnes à la rue, quel que soit leur statut, est la première priorité. Elle met l’accent sur l’accès à l’eau potable, à des toilettes, à des douches et à des laveries.

LES TRIBUNAUX OBLIGENT LES MUNICIPALITÉS À INTERVENIR EN FAVEUR DE L’ACCES À L’EAU (encadré 2)

Cergy-Pontoise (Ordonnance du 28 avril 2020 du TA de Cergy-Pontoise)

Un campement de 82 personnes dont 29 enfants ne dispose pas d’accès à l’eau potable. Le point d’accès à l’eau le plus proche est à 1.3 km. Aucune latrine ou douche n’est disponible sur le site. Selon le Tribunal administratif de Cergy-Pontoise, ces personnes subissent une atteinte grave et manifestement illégale à la dignité humaine. Le Tribunal a enjoint le Préfet et la commune de prendre dans un délai de 48 h les mesures nécessaires pour que soit assuré l’approvisionnement en eau potable et l’installation de toilettes sanitaires ou un accès permanent à des installations sanitaires publiques.

Sucy-en-Brie (Ordonnance du 6 mai 2020 du TA de Melun)

Treize personnes ont trois mineurs vivent dans un squat, ancien local commercial Point P, sans alimentation en eau, ni toilettes. A la demande de ces personnes, le Tribunal administratif de Melun a ordonné au Préfet du Val-de-Marne et à la commune de Sucy-en Brie que soit assuré l’approvisionnement en eau du local Point P et que ce local dispose d’un nombre suffisant de toilettes mobiles et de douches mobiles ou tout le moins d’un accès permanent à des installations sanitaires publiques.

Canal Saint-Denis (Ordonnance du 5 juin 2020 du TA de Paris)

Trois campements informels se sont installés le long du Canal Saint Denis. Le campement de Stains (64 tentes) a accès à un point d’eau à moins d’un km mais qui fonctionne de manière aléatoire. Les toilettes les plus proches se situent à 1.5 km.
Le campement du pont de Landy (51 tentes) n’a ni point d’eau, ni toilettes et oblige les personnes à marcher 1 km pour accéder à des toilettes. Le campement de la Maltournée n’a plus de point d’eau depuis l’hiver 2019. Selon le Tribunal administratif de Paris, les habitants de ces campements sont soumis à des traitements inhumains ou dégradants. Dans son ordonnance, le juge des référés a enjoint aux communes de Saint-Denis et d’Aubervilliers d’installer dans un délai de 8 jours dans chacun des camps des points d’eau, des cabines de douche et des sanitaires en nombre suffisant.


La mise en œuvre de cette politique pose néanmoins des problèmes d’autant plus aigus que le nombre de sans abri est important et que les dépenses à charge des collectivités sont élevées. Aussi le Ministre B. Cazeneuve a-t-il déclaré : «  il n’est pas acceptable qu’un territoire soit contraint d’assumer seul l’accueil des migrants. Il y avait là un devoir de solidarité entre les différents territoires de la République » (7/11/2016). Ainsi, dans le cas d’un campement de 700 Tibétains à Achères en 2019, le Tribunal administratif de Versailles a considéré que le coût des points d’eau et des latrines était très élevé et a décidé de l’imputer à l’Etat. Le Conseil d’Etat saisi en appel a confirmé cette décision.

Si une collectivité ne remplit pas ses obligations relatives en matière d’eau et d’assainissement, le Préfet peut agir à sa place mais le coût de cette intervention est à charge de la municipalité en cause. D’autrepart, une collectivité qui néglige ses obligations peut faire l’objet d’un recours et être condamnée par les Tribunaux. Il en est ainsi de manière croissante depuis quelques années surtout depuis que les ONG se sont organisées pour soutenir conjointement les plaintes d’usagers généralement incapables d’entamer une action en justice.

Les besoins essentiels à satisfaire ne se limitent pas à la fourniture d’eau potable.

Ainsi, le Tribunal administratif de Melun a enjoint la préfecture du Val-de-Marne et les mairies de L’Hay-les-Roses, de Choisy-le-Roi et de Villejuif « de prendre dans un délai de 48 heures les mesures nécessaires afin que, d’une part soit assuré l’approvisionnement des personnes installées (…) en eau potable, qu’elles disposent de dispositifs leur permettant de s’y soulager de leurs déjections dans des conditions respectant la norme sanitaire en vigueur, que soit organisé un service de collecte des ordures ménagères et ce, à titre régulier et que soit installé le nombre de douches temporaires nécessaires à cette population. »

 Les obligations imposées aux collectivités locales suscitent parfois des réactions négatives de la part des élus municipaux. Ainsi la Maire de Calais a déclaré que «  la Ville de Calais ne donnera pas suite aux injonctions qui lui ont été faites » après que le Tribunal administratif eut ordonné la création de points d’eau et de sanitaires. En cas d’inertie des autorités, les plaignants sont parfois obligés de revenir devant le juge. Dans certaines municipalités, tout est mis en oeuvre pour faire évacuer les habitants des campements sans se préoccuper de la suite.

JURISPRUDENCE RELATIVE A LA FOURNITURE D’EAU DANS LES BIDONVILLES 2015-2020 (encadré 3)

NB : X : Ordonnances imposant une amélioration de l’alimentation en eau, de l’accès à des toilettes, de l’accès à des douches et/ou l’enlèvement des ordures. Imposition d’astreinte. Il faut noter l’augmentation récente du nombre d’ordonnances demandant l’ouverture de douches et l’enlèvement des ordures.


4. A Toulouse, il a fallu que des ONG interviennent directement pour que les campements soient alimentés en eau potable

A Toulouse, les conditions d’accès à l’eau potable et à l’assainissement dans une dizaine de campements laissent à désirer. Selon la Cimade, un habitant de bidonville sur quatre à Toulouse n’a pas accès à l’eau sur son lieu de vie et un habitant sur deux n’a pas accès à des toilettes. Selon la DIHAL, sur 34 sites toulousains de bidonville réunissant 756 personnes, seuls 13 sites en février 2020 étaient branchés à l’eau (249 personnes ou 33%).

En l’espace de deux mois, des changements profonds ont dû se produire puisque, selon la même DIHAL, le nombre de personnes vivant dans ces campements et ayant accès à l’eau potable est passé brutalement de 249 à 1465 ( !??). Cette croissance extraordinaire s’explique peut-être par la prise en compte de la fourniture de bonbonnes d’eau comme étant une modalité d’accès à l’eau potable quelle que soit la quantité d’eau fournie par personne et par jour et quelle que soit la fréquence de ces livraisons.

En avril 2020, cinq ONG ont engagé un recours devant le Tribunal administratif de Toulouse en vue d’obtenir une ordonnance visant à améliorer l’accès à l’eau potable, aux sanitaires et aux latrines sur 13 sites de Toulouse Métropole. Cette requête a été rejetée par le juge des référés le 30 avril 2020.

Selon le préfet de la Haute-Garonne, «  la totalité des campements illicites de plus de 10 personnes dans ledit département bénéficient, à la date de la présente ordonnance, de l’organisation d’un accès à l’eau potable, selon des modalités diverses, incluant l’accès à une borne d’incendie, l’ouverture de robinets sur le réseau d’adduction d’eau ou l’utilisation d’un tuyau de dérivation. Il résulte des explications fournies en défense (au TA) parle préfet de la Haute-Garonne que les modalités d’organisation de l’accès des campements à l’eau potable incluent également la livraison périodique de bonbonnes d’eau, comme pour le campement dit « Bords de Garonne.

Si les associations requérantes contestent la réalité de l’organisation d’un accès à l’eau potable en faveur de la totalité des douze campements visés dans la requête, il ne résulte pas des pièces qu’elles produisent que l’un ou l’autre des campements concernés ne bénéficierait pas, à la date de la présente ordonnance, de la fourniture d’eau potable, fût-ce sous la forme d’un accès à une borne d’incendie potentiellement éloignée du campement ou de la livraison périodique de bonbonnes d’eau. »

La requête des ONG a été rejetée sans que l’on fasse état du volume (faible)d’eau fourni chaque jour ou du nombre (faible) de bonbonnes ni même de la distance à parcourir pour avoir accès aux bornes d’incendie.

Le juge des référés du TA de Toulouse a également rejeté la demande concernant les sanitaires et toilettes sèches : « S’agissant de l’installation de sanitaires et de toilettes sèches, d’une part, il résulte de ce qui a été exposé au point 11 que les associations requérantes ne sauraient utilement demander qu’il soit enjoint à Toulouse Métropole de procéder à des installations sanitaires pérennes sur des campements illicites  ». Des toilettes sèches ont en fait été installées dans un seul des dix campements tandis que une partie des sanisettes publiques ont bien été rouvertes mais en des lieux très éloignés des campements.

On notera que la demande portant sur l’installation de sanitaires n’implique pas nécessairement que ces installations soient des installations sanitaires pérennes. En effet, il existe de nombreuses installations sanitaires de chantier qui sont non pérennes et mobiles. Affirmer que les raccordements aux réseaux d’eau et d’assainissement sont par nature pérennes ne reflète pas la diversité des solutions techniques disponibles.

Le rejet de la requête par le Tribunal administratif semble lié au poids considérable donné aux affirmations du Préfet et de la DIHAL Rien n’indique que les plaignants soient dans une meilleure situation en mai 2020 qu’il l’était auparavant, qu’ils aient désormais accès à l’eau potable de manière continue ou qu’ils disposent à proximité d’un accès à des toilettes en nombre suffisant. Le juge des référés qui a remarqué « le caractère insalubre de ces campements illicites », a néanmoins conclu que l’on ne peut reprocher aux autorités une carence caractérisant une atteinte grave au droit au respect de la dignité humaine. Un tel jugement mérite d’être souligné.

Deux mois après ce rejet inattendu, en juillet 2020, les ONG Solidarités international et Médecins du Monde ainsi que la Fondation Veolia sont intervenus pour améliorer l’accès à l’eau dans 14 campements de Toulouse (938 personnes). Ils ont fourni 428 kits comprenant notamment deux jerrycans et du savon et ils ont créé des points d‘eau alimenté à partir du réseau de distribution dont bénéficié 468 ménages. Cette action de piquage et de pose de robinets apporte la preuve que des progrès sensibles peuvent être accomplis rapidement pour que le droit à l’eau devienne une réalité. Il montre aussi qu’il est possible de porter assistance aux sans abri qui manquent cruellement d’eau. Les mêmes organisations sont aussi intervenues à Calais, en Seine-Saint-Denis et à Nantes.

EXEMPLE DE DIRECTIVES UTILISÉES PAR LE HCR DANS LES CAMPEMENTS (encadré 4)

Approvisionnement en eau : 20 litres / personne / jour

Robinet d’eau :1 par 80 personnes, 1 par communauté

Distance du point d’eau : au maximum à 200 m du ménage

Douche : 1 par 50 personnes

Douches séparées pour les hommes et les femmes dans des espaces bien drainés

Latrines : une latrine par ménage

Distance des latrines : à moins de 50 m et à plus de 6 m de l’abri

Bennes à ordures (100 litres) : 1par 50 personnes, 1 pour 10 familles

(Source : UNHCR. Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés

Guide de poche pour les intervenants dans des situations d’urgence)


L’ordonnance du TA de Toulouse montre l’intérêt de fixer des normes minimales pour la fourniture d’eau par bonbonnes et l’intérêt de fixer le nombre minimal de points d’eau et de toilettes mobiles à prévoir par habitant concerné dans un campement. S’il est normal qu’une personne doive se déplacer pour aller chercher de l’eau potable, encore faut-il limiter la distance à parcourir un jerrycan à la main. Or un jerrycan d’eau est la quantité minimale recommandée par personne et par jour dans des situations extrêmes. (Encadré 4)

Cette ordonnance confirme le manque de soutien de certaines collectivités pour la satisfaction des besoins minimaux en eau de certaines populations. Les mêmes réticences apparaissent dans un arrêt récent de la Cour européenne des droits de l’homme. On élabore des plans pour mettre en œuvre le droit à l’eau tout en cherchant des excuses pour finalement ne rien faire. Heureusement, il existe des ONG et des Fondations pour se substituer aux pouvoirs publics et faire preuve d’humanité.

5. A quoi le Conseil d’Etat est-sensible ?

Bien que la fourniture d’eau aux campements, bidonvilles et squats occupés par des personnes vulnérables ait fait l’objet de nombreuses décisions de justice très similaires (Encadré 3), il existe aussi une ordonnance récente du Conseil d’Etat qui jette un éclairage différent sur cette question. Elle concerne un campement occupé par des Roms à Canéjan près de Bordeaux et rejette la demande des Roms d’avoir accès à l’eau potable (Encadré 5).

L’ordonnance du Conseil d’Etat dans l’affaire Canéjan n’impose aucune mesure pour améliorer l’accès à l’eau et à l’assainissement pour les occupants du campement qui sont restés sans accès à l’eau potable à proximité et sans toilettes pendant 9 mois. Une telle inaction de la collectivité locale a eu pour conséquence un non-respect de la dignité humaine pour les 300 occupants, une dégradation du site occupé et la création de risques sanitaires pour toute la collectivité de Canéjan. Le cas des Roms se déplaçant en voiture est-il différent des autres cas de Roms pour lesquels le Conseil l’Etat a sanctionné l’absence de fourniture d’eau. ? Comment justifier une telle différence de jugement ?

L’ACCES A L’EAU DANS UN CAMPEMENT DU BORDELAIS (encadré 5)

Environ trois cents personnes de nationalité roumaine se sont introduites le 2 juin 2018 avec leurs véhicules et leurs caravanes sur un terrain forestier de la commune de Canéjan à 15 km de Bordeaux ; ils occupent sans droit ni titre un terrain non raccordé au réseau d’eau, dépourvu d’équipements sanitaires et sans électricité. Toutefois, il existe deux bornes d’incendie alimentées en eau potable situées à moins d’un km du campement dont l’usage est ouvert aux occupants du campement.

Le 7 juin 2018, le Tribunal de grande instance de Bordeaux a ordonné l’expulsion des occupants de ce terrain et celle-ci fut effective en avril 2019. En juillet 2018, des occupants ont sollicité la mise à disposition de points d’alimentation en eau potable et de toilettes mobiles.

Comme cette demande n’a pas abouti, ces personnes ont saisi le 26 juillet 2018 le juge des référés du Tribunal administratif de Bordeaux, Elles ont demandé d’enjoindre au maire de la commune de Canéjan, au président de la communauté de communes Jalle-Eau Bourde et au préfet de la Gironde de mettre en place en nombre suffisant de sanitaires de type chantier entretenus hebdomadairement et des points d’alimentation en eau potable provisoires pour les besoins de la vie courante.

Cette demande a été rejetée par le Tribunal administratif le 30 juillet 2018 qui a mis en avant le risque d’incendie que faisait courir l’occupation du terrain boisé occupé par les Roms qui allumaient des feux de camps. En outre, le juge a estimé ( à tort) que les mesures demandées (installations type cabanes de chantier) «  doivent nécessairement être raccordées aux réseaux existants » dont le terrain est dépourvu. L’erreur de raisonnement est qu’il existe en réalité des installations mobiles de chantier utilisables sans raccordement, installations utilisées dans les grandes villes de France. Une mise en place temporaire de ces installations était donc faisable sans qu’il soit nécessaire de faire des raccordements. Les requérants pouvaient donc faire valoir que les installations demandées avaient un caractère provisoire.

En appel devant le Conseil d’Etat, les plaignants soutiennent que la carence des autorités a porté une atteinte grave et manifestement illégale à leur droit au respect de la dignité de la personne humaine, à l’interdiction de subir des traitements inhumains et dégradants et à l’intérêt supérieur des enfants dès lors qu’ils sont privés de tout accès à l’eau potable et à des sanitaires.

Ils estiment que le juge des référés du tribunal administratif de Bordeaux ne pouvait pas leur opposer l’irrégularité de l’occupation du domaine privé de la commune de Canéjan pour refuser de faire droit aux demandes dont ils l’avaient saisi. De plus, ils font valoir que le juge a considéré à tort que les mesures à prescrire pour remédier à leur situation nécessiteraient la réalisation d’importants travaux non susceptibles de faire cesser les manquements allégués dans les plus brefs délais

Le Conseil d’Etat a rejeté ce pourvoi le 30 août 2018 ; il considère que « pour apprécier si le comportement des autorités publiques est constitutif d’une carence susceptible de justifier l’intervention du juge des référés, il y a lieu, notamment, de prendre en compte les ressources et moyens dont disposent les personnes concernées elles-mêmes pour prévenir ou faire cesser la situation à laquelle elles sont ou se sont exposées ». Le Conseil d’Etat note qu’une partie au moins des occupants dispose de véhicules et de ressources financières leur permettant d’accéder à des équipements (laveries automatiques, commerces…) situés à proximité et conclut que « le comportement des autorités publiques ne peut être regardé comme constitutif d’une carence portant une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale ».


6. Conclusions

Trop souvent, les conditions de vie dans les campements, les bidonvilles et les squats français sont indignes. Les habitants de ces lieux de vie doivent fréquemment parcourir de longues distances pour s’approvisionner en eau potable et ils doivent pratiquer la défécation à l’air libre faute de mieux. La saleté est souvent repoussante et les enfants scolarisés sont souvent marginalisés dans leur école. Faute de fournir des conditions de vie acceptables, il conviendrait au minimum de fournir les biens essentiels reconnus comme tels en Europe, à savoir l’eau et l’assainissement. Les tribunaux ont commencé à apporter une aide précieuse dans cette voie.

Bien que des progrès considérables aient été accomplis au cours des dernières années, il reste en France de nombreux campements dans lesquels l’accès à l’eau et à l’assainissement n’est pas assuré. Certaines collectivités laissent impunément se créer ou subsister des foyers d’insalubrité qui mettent en péril la santé de l’ensemble de leurs membres.

Compte tenu du manque d’accès à l’eau et à l’assainissement, des habitants de campements, de bidonvilles ou de squats ont entamé avec l’aide d’ONG des actions devant les tribunaux. Ceux-ci ont progressivement sanctionné les maires et l’Etat qui n’ont pas mis en œuvre le droit à l’eau et à l’assainissement. Il appartient désormais aux collectivités territoriales d’agir pour que ce droit soit effectivement mis en œuvre partout, même et surtout au bénéfice des plus précaires. L’inaction de certaines collectivités est inacceptable.

Les ONG devront sans doute encore mener de nombreuses actions devant les tribunaux pour que soit respecté le droit à l’eau et à l’assainissement dans les campements, les bidonvilles et les squats en France. Les actions concrètes entreprises à Toulouse par deux ONG et une Fondation montrent que des améliorations sont possibles et qu’il ne faut pas nécessairement attendre un jugement favorable d’un tribunal. Il est remarquable que des organisations privées aient dû se substituer aux autorités publiques pour offrir aux plus démunis un minimum de services et pour éviter de les soumettre à des traitements inhumains.

Sans une action plus déterminée à l’égard des plus démunis, la France n’atteindra probablement pas en 2030 l’objectif de fournir à chacun un accès à l’eau potable et à l’assainissement  et elle n’aura pas non plus éliminé la défécation à l’air libre qui se pratique encore sur son territoire. Pour progresser, il serait nécessaire de définir la quantité minimale d‘eau potable à laquelle tout individu a droit et mettre en place un nombre suffisant de toilettes publiques.

1 DIHAL : Délégation interministérielle à l’hébergement et à l’accès au logement des personnes sans-abri ou mal logées

Une réflexion sur « Quel droit à l’eau dans les bidonvilles en France? »

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *