« Re-use »: il y a loin de la coupe aux lèvres

Comment faut-il encadrer au niveau européen la réutilisation des eaux usées fortement promue par les multinationales de l’eau et les lobbies agro-industriels? Un communiqué du Mouvement européen pour l’eau dont fait partie la Coordination EAU Île-de-France.

L’European Water Movement, dont la plupart des membres sont confrontés à des projets de réutilisation des eaux usées traitées sur leur territoire, souhaite faire plusieurs remarques sur le Règlement et plus généralement sur la promotion de la réutilisation des eaux usées traitées, notamment pour l’irrigation agricole. Il nous semble en effet que tout projet doit faire l’objet au préalable d’une étude évaluant sérieusement ses impacts sanitaires, environnementaux et économiques. Une des tâches de la Commission européenne devrait être de formaliser cette étude tant que faire ce peut, afin d’aider les Etats membres à mettre en œuvre uniquement des projets viables sur ces trois points. Les mesures y compris législatives prises jusqu’à présent par la Commission européenne sur la réutilisation des eaux usées traitées poussent plutôt à une simplification et un affaiblissement de l’étude d’impacts, avec un risque non négligeable de mise en œuvre de projets allant à l’encontre de certains des objectifs de l’économie circulaire.

Le Règlement relatif aux exigences minimales requises pour la réutilisation de l’eau ne traite que des aspects sanitaires, laissant de côté les aspects économiques et environnementaux. Il repose sur un postulat très contestable : La réutilisation des eaux usées traitées serait limitée en Europe en partie à cause de « l’absence de normes environnementales ou sanitaires communes à l’échelle de l’Union en matière de réutilisation de l’eau ». Comme le fait remarquer l’amendement 8 du Parlement européen, c’est plutôt le « coût important des systèmes de réutilisation des eaux usées » qui limite la réutilisation de l’eau. La différence de capacité de financement des projets entre Etats membres ou au sein d’un même Etat membre, couplée à une application laxiste du recouvrement total des coûts (les utilisateurs des eaux usées traitées paient peu voire pas du tout pour les eaux et le système de réutilisation des eaux qui est le plus souvent largement subventionné par les autorités compétentes) entraîne des distorsions de concurrence au sein du marché intérieur.

Étonnamment, la Commission européenne n’y fait jamais allusion mais préfère insister sur le risque tout relatif que ferait courir l’absence de normes sanitaires communes au sein de l’Union sur « la libre circulation de produits irrigués avec de l’eau de récupération ».

Les eaux usées traitées qui sortent de la station d’épuration peuvent transiter par une installation de traitement supplémentaire, une installation de stockage, un réseau de distribution avant d’atteindre l’utilisateur final. Comme l’a fait justement remarquer le Parlement européen (amendements 41 à 49), ces différentes composantes du système de réutilisation des eaux usées peuvent être exploitées par des opérateurs publics ou privés, différents de l’opérateur de la station d’épuration. Par conséquent, ces opérateurs doivent être identifiés dans le plan de gestion des risques. Des points de conformité de la qualité des eaux doivent être inclus dans chacune des composantes du système de réutilisation. L’European Water Movement encourage la Commission européenne à prendre en compte ces considérations du Parlement européen qui clarifient le rôle et les responsabilités des différents acteurs.

L’annexe I du Règlement définit les exigences minimales de qualité pour 4 classes d’eau de récupération et autorise pour chaque classe une catégorie de culture et une méthode d’irrigation. L’European Water Movement regrette que les exigences minimales de qualité se focalisent sur les risques sanitaires microbiologiques (bactéries, virus, parasites) au détriment des risques sanitaires chimiques (métaux lourds, pesticides, résidus médicamenteux, micropolluants émergents). Les risques sanitaires chimiques relèvent d’exigences supplémentaires que peuvent définir éventuellement les autorités compétentes. Les exigences supplémentaires introduisent donc une disparité entre Etats membres que le Règlement était censé faire disparaître. Les exigences minimales reposent sur des données scientifiques datant pour la plupart de plus de 30 ans. L’European Water Movement s’étonne que des données plus récentes n’aient pas été prises en compte dans le Règlement, comme par exemple la baisse de production de certaines cultures irriguées par des eaux usées traitées ayant une forte concentration en sodium, potassium et chlore.

Selon l’European Water Movement, un projet de réutilisation des eaux usées traitées pour l’irrigation agricole doit respecter plusieurs prérequis. La réutilisation des eaux usées traitées ne peut se faire en tête de bassin versant que si le débit écologique des cours d’eau est assuré toute l’année ; en cas contraire, les eaux usées traitées doivent être restituées aux cours d’eau après un traitement adéquat pour satisfaire cette exigence. Les eaux usées traitées devraient remplacer l’eau prélevée dans les rivières ou les aquifères afin de ne pas entraîner une consommation supplémentaire d’eau. Les eaux usées traitées doivent être fournies en priorité aux fermiers pratiquant une agriculture durable (cultures adaptées au climat, pratiques culturales économes en eau, faible utilisation de pesticides et d’engrais, circuit court, produits alimentaires) et non pas à ceux pratiquant une agriculture à forte valeur ajoutée comme malheureusement le préconise la Commission européenne. Les parcelles irriguées par les eaux usées traitées ne doivent pas être trop éloignées de la station d’épuration afin de limiter les coûts d’investissement et d’exploitation du système de réutilisation des eaux usées traitées.

L’European Water Movement constate que la majorité des projets et expérimentations actuels de réutilisation des eaux usées traitées pour l’irrigation agricole ne respectent pas les prérequis énoncés ci-dessus. En Languedoc-Roussillon, les projets concernent majoritairement l’irrigation de la vigne et l’arrosage de golfs et trop rarement l’irrigation des cultures maraîchères. En Hautes-Pyrénées, un projet financé par la région et l’agence de l’eau va permettre d’irriguer le maïs par aspersion malgré l’avis défavorable de l’agence régionale de santé. Dans le bassin Tajo Segura, l’agriculture intensive va bénéficier des eaux usées traitées pour irriguer, après avoir épuisées les ressources en eaux souterraines par des captages le plus souvent illicites et les ressources en eaux superficielles par des transfert d’eau massifs, sans que soit remis en cause ce mode de production désastreux pour l’environnement.

L’European Water Movement considère par ailleurs comme une très mauvaise idée la réutilisation des eaux usées traitées pour recharger des nappes souterraines dans lesquelles est prélevée de l’eau destinée à la consommation humaine. Des aspects négatifs liés à ces projets de réutilisation peuvent déjà être identifiés, tels que les coûts prohibitifs des technologies les plus performantes comme l’osmose inverse ou la pollution de la plupart des aquifères lorsque des technologies conventionnelles de traitement des eaux usées sont utilisées.

Selon la Commission européenne et les gouvernements des Etats membres, l’économie circulaire permettra une croissance économique couplée à un usage durable des ressources naturelles. Ainsi, la réutilisation des eaux usées traitées pour l’irrigation permettra d’augmenter la production agricole tout en préservant les ressources en eau. C’est un leurre puisque seulement 30 % de l’économie mondiale peut être « circularisée ». Parallèlement à la mise en place de l’économie circulaire, il faudra donc aussi modifier radicalement nos modes de production et même s’engager sur la voie de la décroissance.