Réponse à la stratégie européenne de résilience pour l’eau

La Commission européenne a mené une consultation sur la stratégie  de résilience pour l’eau. Voici la réponse du Mouvement européen pour l’eau (dont fait partie la Coordination EAU Île-de-France. Lire aussi l’avis de la Fédération syndicale européenne des services publics (FSESP) et de la Chambre fédérale du travail autrichienne.

Le Mouvement européen pour l’eau (EWM) est un réseau ouvert, inclusif et pluraliste dont l’objectif est de renforcer la reconnaissance de l’eau comme bien commun et droit universel fondamental. Nous sommes solidaires dans notre lutte contre la privatisation et la marchandisation de cette ressource vitale et dans notre engagement à construire une gestion publique et communautaire de l’eau, fondée sur la participation démocratique des citoyen.nes et des travailleur.es. L’EWM a été l’un des promoteurs de l’initiative citoyenne européenne 2012/13 « Right2Water » sur le droit humain à l’eau.

Le dernier rapport 2024 de l’Agence européenne de l’environnement sur l’état de l’eau en Europe a mis en lumière une situation alarmante en termes de qualité et de quantité dans les eaux de surface et les eaux souterraines, où certains des principaux facteurs ont été clairement identifiés.

Bien que nous reconnaissions plusieurs éléments positifs dans la stratégie de résilience de l’eau initiée par la Commission européenne, nous estimons que certaines questions critiques ne sont toujours pas abordées. Ces lacunes compromettent l’efficacité de la stratégie, sa nature démocratique et participative et, tout aussi important, la préservation des ressources en eau.

Principes clés et recommandations

1. L’eau est un bien commun inaliénable

L’eau doit rester un bien public, exempt de toute privatisation, marchandisation et financiarisation. Cela nécessite une propriété publique, une gestion transparente et participative, ainsi qu’un statut juridique de droit public pour les opérateurs du secteur de l’eau, garantissant qu’ils ne peuvent pas être acquis par des entités privées. Tout bénéfice financier doit être réinvesti dans les services d’eau, y compris l’entretien des infrastructures (par exemple, la réduction des fuites, dont les taux dépassent 60 % dans certaines régions), et ne peut être redistribué sous forme de profits.

Afin de remédier au vieillissement des réseaux, il faut réinvestir les excédents budgétaires dans les services de l’eau et maintenir le caractère public de ces services, en veillant à ce que le recouvrement des coûts n’inclue pas la réalisation de profits. La coopération public-public doit être privilégiée face aux partenariats public-privé, car les expériences passées montrent que ces derniers compromettent souvent l’intérêt général.

La raréfaction de l’eau et les crises répétées s’accompagnent de risques croissants de conflits autour de l’utilisation de l’eau, et donc de risques accrus de financiarisation et de spéculation sur l’eau. Toutes les mesures précitées sont nécessaires pour se prémunir contre l’entrée éventuelle de grands capitaux dans le cycle global de l’eau et la gestion des ressources en eau. L’expérience confirme que dans de nombreux cas, l’entrée de grandes entreprises privées réduit tôt ou tard à néant le contenu des dispositions initialement convenues, qui visent à préserver les ressources en eau. La promotion des mécanismes de marché et de la concurrence dans l’industrie de l’eau n’est pas seulement inquiétante mais inacceptable.

L’eau n’est pas un objet de profit et ne peut être marchandisée.

2. Défendre le droit humain à l’eau et à l’assainissement

L’accès universel à l’eau et à l’assainissement doit être garanti, tout en veillant à ce qu’il soit abordable et en quantité suffisante. Plus de 16 millions de citoyens de l’UE n’ont toujours pas accès aux services de base en matière d’eau potable, d’où la nécessité d’agir immédiatement.

Comme le souligne l’Observation générale n° 15 des Nations unies sur le Droit à l’eau, l’accès à l’eau est un droit humain fondamental et doit être traité de manière prioritaire en respectant les principes de disponibilité/suffisance, de qualité, d’accessibilité financière, de continuité et d’acceptabilité. Les Nations unies recommandent que chacun ait accès à au moins 50 à 100 litres d’eau par personne et par jour pour satisfaire ses besoins fondamentaux tels que la boisson, la cuisine, le nettoyage, l’assainissement et l’hygiène. L’accès à l’eau pour la nature et la consommation humaine afin de satisfaire les besoins vitaux doit être prioritaire par rapport à toutes les autres utilisations, et les mécanismes d’attribution doivent refléter cette hiérarchie. Les coupures d’eau sont interdites.

Une structure tarifaire différenciée devrait garantir l’accessibilité des ménages (3 à 5 % du revenu total des ménages selon les Nations unies) tout en décourageant la consommation excessive des industries et de l’agriculture. Les structures tarifaires ne doivent pas se concentrer uniquement sur le volume, car les infrastructures d’eau vieillissantes et déficientes faussent les chiffres de la consommation réelle, ce qui affecte particulièrement les communautés déjà vulnérables et marginalisées, ainsi que les zones rurales. L’accès à une quantité suffisante d’eau pour la consommation humaine et les écosystèmes doit être garanti avant d’appliquer des objectifs d’efficacité à grande échelle aux utilisations domestiques.

3. Priorité à la préservation de l’eau, puis à l’efficacité

L’eau est une ressource primaire pour la vie, les écosystèmes et les secteurs productifs essentiels tels que l’agriculture et l’énergie, mais elle est limitée. Elle ne peut donc pas être comprise et gérée comme de l’énergie. Cependant, l’augmentation des sécheresses, des inondations, de la pollution et de la demande en eau menace les ressources en eau de l’Europe, entraînant des risques de conflits.

Les institutions européennes doivent donner la priorité à la sauvegarde et à la préservation de l’eau plutôt qu’à la seule rationalisation de sa consommation. La maîtrise publique et l’application stricte des réglementations et des lois existantes sur l’eau sont essentielles pour garantir la durabilité à long terme.

4. Adapter la gestion de l’eau au changement climatique

L’adaptation au changement climatique doit inclure la protection des services d’eau et d’assainissement et l’accélération de la transformation des secteurs de l’agriculture et de l’énergie, ainsi que de tous les types d’industries, vers la durabilité. La hausse des températures du globe, l’évolution des régimes de précipitations et les phénomènes météorologiques extrêmes ont entraîné des sécheresses, des inondations et des pénuries d’eau plus fréquentes et plus graves, menaçant à la fois les populations humaines et les écosystèmes. Pour garantir la résilience, il faut investir dans des infrastructures résistantes au climat et dans les solutions fondées sur la nature, telles que la restauration des zones humides.

La disponibilité de l’eau pour la nature et pour les usages domestiques et personnels doit primer sur les usages productifs, en particulier en période de pénurie. Les mécanismes de réponse aux situations d’urgence doivent garantir une distribution équitable de l’eau, en donnant la priorité aux populations vulnérables et aux services publics essentiels.

Dans cette optique, les secteurs industriels et productifs doivent suivre et rendre compte de leur empreinte hydrique, tant en termes de quantité que de qualité, tout au long de la chaîne de valeur, et mettre ces données à la disposition du public.

La gestion de l’eau doit demeurer dans le giron de la directive-cadre sur l’eau (DCE) et des plans de gestion des bassins hydrographiques (PGDH) afin d’éviter les prélèvements excessifs et de protéger les besoins environnementaux et humains.

5. Renforcement des normes et des contrôles de pollution, protection de la qualité de l’eau

La pollution de l’eau par les intrants chimiques, les PFAS, les microplastiques et autres contaminants doit être traitée de toute urgence. Les politiques doivent soutenir la transition agro-écologique et mettre en œuvre sans délai l’élimination progressive des substances dangereuses dans le cadre des réglementations existantes et à venir.

En outre, les systèmes de surveillance doivent être renforcés afin d’identifier les sources de pollution et les niveaux de contamination des eaux de surface et des eaux souterraines. Les industries et les secteurs agricoles doivent être tenus responsables par le biais de réglementations plus strictes sur l’élimination des déchets, le ruissellement des nutriments et l’utilisation des pesticides. Le principe du pollueur-payeur doit être strictement appliqué, afin de s’assurer que les entités privées supportent les coûts de remédiation de la pollution qu’elles causent.

Dans la mesure du possible, les solutions fondées sur la nature ainsi que la restauration et la protection des écosystèmes aquatiques naturels, tels que les zones humides et les zones riveraines, doivent être privilégiées afin de filtrer naturellement les polluants et d’améliorer la qualité générale de l’eau. En outre, les organismes de réglementation doivent garantir une transparence totale des données relatives à la pollution de l’eau, en rendant ces informations accessibles au public afin de permettre la participation des citoyens à la sauvegarde des ressources en eau.

6. Réduire la consommation d’eau dans les secteurs industriels

Les industries à forte consommation d’eau, y compris les activités liées au secteur de l’électronique et de l’IA, doivent être soumises à des limites de consommation strictes afin de prévenir les déséquilibres écologiques et hydrologiques.

Étant donné que d’autres cadres réglementaires offrent déjà des subventions pour les technologies d’irrigation pour l’agriculture, la stratégie pour la résilience de l’eau ne devrait en aucun cas offrir plus de financement public ou plus de flexibilité pour le stockage des eaux dans les infrastructures grises à cette fin. Comme l’a souligné la Cour des comptes européenne en 2024, les plans de la PAC reposant sur des investissements dans les infrastructures d’irrigation ne se sont pas révélés efficaces pour réduire la consommation totale d’eau.

7. Intégration de l’eau dans tous les domaines politiques connexes

Les principes de suffisance, de qualité et d’efficacité de l’eau doivent être intégrés dans tous les cadres politiques pertinents de l’UE, y compris les politiques d’adaptation au changement climatique, la politique agricole commune (PAC), la directive Nitrates, le Clean Industrial Deal, la loi sur les matières premières critiques, le train de mesures sur l’économie circulaire, la révision de REACH, la révision de la liste des substances prioritaires dans le cadre de la directive ESQD, et toute autre politique sectorielle (IA, par exemple).

La résilience et la durabilité de l’eau doivent être considérées comme des questions transversales qui influencent l’agriculture, l’industrie, l’énergie et la planification urbaine. Pour garantir une gestion cohérente et efficace de l’eau, l’intégrité des réglementations environnementales existantes, telles que la directive-cadre sur l’eau (DCE), la directive sur les eaux souterraines (DESo) et la directive sur le traitement des eaux urbaines résiduaires (DERU), doit être maintenue et renforcée. Toute réforme politique doit s’aligner sur ces cadres afin d’éviter des incohérences réglementaires qui pourraient affaiblir les mesures de protection de l’eau. En outre, l’UE est invitée à développer des mécanismes contraignants pour garantir que les considérations relatives à l’eau soient intégrées dans toutes les grandes décisions politiques, afin d’éviter que les politiques sectorielles n’exacerbent le stress hydrique ou la pollution de l’eau.

Les principes fondamentaux d’accès à l’information, d’accès à la justice et de participation du public doivent également être dûment garantis.

8. Garantir l’eau pour la paix

L’eau ne saurait être utilisée comme un outil géopolitique ou une arme de guerre. L’EWM réaffirme son soutien indéfectible aux populations affectées et se fait l’écho de l’appel de l’ONU « L’eau pour la paix ». Les institutions européennes doivent prendre leurs responsabilités pour limiter les conflits, réduire la précarité et prévenir la marginalisation des communautés vulnérables.

La sécurité de l’eau pour tou.tes (humains et nature) nécessite un changement fondamental vers la coopération plutôt que la compétition, la protection plutôt que l’exploitation, et l’équité et l’égalité dans la gouvernance de l’eau. Une approche centrée sur le public doit guider la gouvernance de l’eau, en garantissant une gestion durable et en donnant la priorité au bien commun plutôt qu’au profit de quelques-uns.

Pour y parvenir, nous demandons instamment à la Commission européenne de :

– Adopter une vision reconnaissant et protégeant l’eau comme un droit humain fondamental, un bien commun, un écosystème et un patrimoine vital pour toutes les formes de vie : garantir la propriété publique et s’attaquer aux risques croissants de privatisation, de marchandisation et de financiarisation de l’eau ;

– Renforcer le respect des législations relatives à la protection de l’eau ;

– Encourager la coopération et l’innovation entre les autorités publiques, les entreprises publiques et les établissements académiques, seule voie durable et viable pour relever les défis liés à l’eau ;

– S’attaquer vigoureusement aux prélèvements excessifs d’eau par l’industrie et l’agriculture afin de rétablir le cycle de l’eau, d’appliquer le principe du pollueur-payeur et d’assurer une transparence totale ;

– Veiller à la mise en place de dispositifs adéquats de protection de l’eau et de l’environnement, car la compétitivité économique et la prospérité à long terme de l’Europe n’ont de sens que sur une planète vivante.

L’eau n’est pas une marchandise, c’est une responsabilité partagée. L’avenir de la sécurité de l’eau en Europe dépend d’une approche audacieuse qui place l’intérêt public au-dessus des logiques mercantiles. Le Mouvement européen de l’eau appelle la Commission européenne à intégrer ces principes essentiels dans la stratégie de résilience de l’eau afin de garantir un avenir juste, durable et sûr pour tou.tes.

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