Fort bien documenté, le rapport interministériel sur la sécheresse 2022, publié ce 12 avril, appelle à une prise de conscience de la raréfaction de la ressource et à prendre des mesures structurelles dans tous les domaines. Il formule 18 recommandations très précises, malheureusement trop peu reprises dans le Plan eau.
Alors que le Plan eau, jugé bien tiède par les acteurs, a été présenté le 30 mars par le président Emmanuel Macron, une mission interministérielle vient de publier le 12 avril un rapport (114 pages) qui appelle « un changement radical dans nos modes de gestion de l’eau et nos pratiques ». Un décalage certain et un timing qui interroge, alors que ce rapport sur la sécheresse de 2022 était commandé par quatre ministères (intérieur, agriculture, santé, écologie) depuis septembre dernier.
Deux autres publications ont également suivi de près l’annonce du Plan eau : le rapport de l’ANSES sur la présence de métabolites de pesticides dans l’eau potable (6 avril) et le rapport du CESE (11 avril) « Comment favoriser une gestion durable de l’eau (quantité, qualité, partage) en France face aux changements climatiques ». Autant de travaux qui auraient pu alimenter ce Plan eau…
La nécessité de « mesures structurelles »
La conclusion du rapport d’inspection est un avertissement sans appel : « Le pire a été évité » lors de la sécheresse 2022, mais de « telles conditions pourraient ne plus être réunies, si un phénomène similaire se reproduisait dans les prochaines années, voire dès 2023 ». Ainsi, le niveau de remplissage des nappes et des retenues est déjà moins élevé cette année que l’an dernier.
Ce rapport résulte d’un travail de fond remarquable. Les autrices, issues de l’IGEDD, de l’IGA et du CGAAER, ont rencontré plusieurs centaines d’acteurs de l’eau dans une trentaine de départements et formulent 18 recommandations. Il souligne que « la bonne gestion de l’eau ne pourra pas se faire sans une pleine prise de conscience collective et individuelle de la raréfaction de cette ressource et des pratiques à faire évoluer. Seules des mesures plus structurelles, dans tous les domaines, qui réduiront effectivement notre « empreinte eau », nous permettront de faire face aux enjeux en eau posés par le changement climatique ».
Insuffisance des moyens
Le rapport fait tout d’abord le point sur les impacts de la sécheresse 2022 sur l’eau potable (1 052 communes en rupture et 1 093 qui sont passées près de la rupture), mais aussi sur les rivières (1 261 cours d’eau asséchés), et les baisses de production agricoles (entre – 10 et 30 %) et hydroélectriques (entre – 20 et 30 %). La mission remarque que sur les 1 052 communes en difficulté, près de la moitié n’a pas transféré sa compétence eau potable ou l’a fait à un petit service (moins de 5 000 habitants). Elle recommande d’encourager le regroupement à l’échelle intercommunale voire départementale, ainsi que la réalisation de diagnostics de vulnérabilité de l’alimentation en eau potable, la conception et la mise en œuvre des investissements pour sécuriser l’approvisionnement.
La mission regrette qu’ « aucune information sur le coût des solutions de secours mises en œuvre par les services d’eau potable » ne soit disponible. Elle recommande de mettre en place « un dispositif de suivi des impacts des sécheresses en temps quasi-réel et en différé notamment sur l’eau potable, sur les milieux et sur les activités économiques ».
Le recueil des données est capital. Mais la mission souligne « l’insuffisance des moyens humains ». « Des inquiétudes récurrentes du terrain se sont exprimées auprès de la mission, devant la perspective de la disparition d’expertises précieuses acquises par des agents dont le remplacement ne peut être envisagé pour des raisons de schéma d’emplois. » Mais aussi des « lacunes techniques ». Ainsi, à l’étiage des récepteurs se retrouvent parfois à l’air libre et ne sont plus efficients. La surveillance des ressources en eau doit donc être améliorée notamment par une remise à niveau des récepteurs.
Sobriété pour tous
Pour mieux anticiper les restrictions, elle demande de mieux mobiliser les outils de prévisions hydro-météorologiques. Encore faudrait-il que ces prévisions, diffusées au niveau national par le ministère de la Transition écologique et le comité d’anticipation et de suivi hydrologique (CASH), soient suivies d’effets localement. Ce qui n’a pas été le cas en 2022 regrette la mission. Elle demande aussi de mettre en place un « Ecowatt de l’eau », comme cela a été fait sur la sobriété énergétique l’hiver dernier.
Les autrices lancent un appel à la sobriété et demandent de respecter l’objectif fixé lors des Assises de l’eau de 2019 : diminuer les prélèvements d’eau de 10 % d’ici à 2024 (alors que le Plan eau l’a repoussé à 2030 !) et de 25 % d’ici à 2034. La mission regrette que ces objectifs soient « peu connus des acteurs », et n’ont fait « l’objet à ce jour d’aucune déclinaison territoriale ou sectorielle ». En particulier en agriculture (58 % de la consommation d’eau), dont le rapport des inspections souligne « la fragilité » et « l’impérieuse nécessité d’un effort collectif massif pour en accélérer la transformation ». Un point qui ne ressort pas non plus du Plan eau.
Suivi des prélèvements
La connaissance des prélèvements est un autre point clé pour optimiser la gestion. La mission souhaite un « suivi en temps quasi-réel des prélèvements dans le milieu ». Or le cadre réglementaire actuel n’impose qu’une transmission annuelle des volumes prélevés en début d’année n+1. La mission demande donc « le déploiement progressif de compteurs télérelevés sur les différents usages : agricoles, eau potable par secteur, industriels, forages domestiques, pour les plus gros consommateurs et dans les zones en tension quantitative ». Elle propose que ces mesures deviennent obligatoires à moyen terme (5 ans). Le Plan eau propose bien (mesure 12) l’installation de tels compteurs, mais uniquement pour des prélèvements soumis à autorisation environnementale, c’est-à-dire supérieurs à 200 000 m3/an…
Les forages domestiques sont très mal connus, car leur déclaration en mairie n’a pas toujours faite. « Le travail de recensement de ces forages non déclarés doit donc être poursuivi » recommande la mission, ainsi que la pose obligatoire d’un compteur et la déclaration du volume consommé au-delà de 250 m3 annuels. Le Plan eau (mesure 13) demande bien de renforcer l’encadrement des forages domestiques, mais sans pose de compteurs.
Des failles dans le pilotage des préfectures
Côté mise en place des mesures de restrictions, la mission a observé sur trois bassins (Durance/Verdon, Vienne/Gartempe et Adour) une « hétérogénéité du calendrier de déclenchement des phases de vigilance, d’alerte ou de crise ». Cela a conduit à ce que des secteurs soient soumis à des restrictions alors que d’autres, sur le même bassin versant, en amont ou en aval, ne l’étaient pas. « Ces situations ont pu générer un vif sentiment d’inéquité » qui sont « difficiles à justifier ». La mission estime que l’élaboration d’arrêtés cadres interdépartementaux permettrait d’homogénéiser les critères de déclenchement des seuils de gestion de crise.
D’autant plus que des délais « anormalement longs (plus de sept jours) » ont été observés entre le dépassement des seuils prévus par les arrêtés-cadres et l’adoption des mesures de restriction. « Certains départements mettent régulièrement 10 à 15 jours entre la réunion du comité ressource en eau et la signature de l’arrêté correspondant ».
Pour la mission c’est clair : « Ces retards ne se justifient pas. ». Elle demande donc de réduire les délais de prise des mesures de restriction à « quatre jours maximum après le dépassement des seuils ». La mission recommande également de s’appuyer sur les indicateurs piézométriques (niveau des nappes) et le réseau ONDE (assecs observés) pour déclencher les restrictions.
Clarifier les compétences et les dérogations
Côté gouvernance, il apparaît indispensable « de clarifier les périmètres géographiques (bassin versant ou nappe versus département), de les articuler efficacement, et d’éviter des doublons ». D’autant que les préfets et leurs services ont été fortement sollicités pour « répondre non seulement aux demandes de dérogations, mais parfois pour en expliquer les refus » car la stratégie retenue pouvait sembler « trop sévère (stations de lavage de voitures), trop laxiste (golfs) ou insuffisamment traitée (installations sportives) ». A ce propos, la mission estime que la dérogation qui autorise l’arrosage des greens des golfs en situation de crise « n’est pas compréhensible ». Plus globalement, elle demande de « renforcer les lignes directrices nationales pour les mesures de restriction et pour les dérogations possibles ».
Concernant les retenues multi-usages, la mission considère que les modalités de leur gestion restent « hétérogènes et doivent être clarifiées en période de crise », car elle ne devrait pas pouvoir servir les « intérêts d’une seule partie du territoire (amont) au détriment des besoins de l’aval ». La mission souligne que les rôles respectifs de l’Etat et des gestionnaires des retenues sont parfois « peu clairs »
Elle demande « une coordination interdépartementale » et de revoir les conventions et la gouvernance de la gestion des retenues pour « clarifier les obligations de lâchers d’eau pour le soutien d’étiage ». Elle souhaite également « une révision des débits réservés » pour suivre les évolutions du changement climatique. »
Des sanctions inopérantes
La question du contrôle de ces mesures de restrictions et des sanctions est aussi dans le collimateur. Plus de 600 arrêtés de restriction ont été pris en 2022 (source Propulvia). « Un record » selon le rapport. Ils ont donné lieu à 13 000 opérations de contrôle qui ont révélé 13 % d’infraction. Mais les suites ne sont pas dissuasives, notamment au regard de « la valeur des récoltes dans le cas des agriculteurs irrigants ». L’absence de notion de récidive légale réduit aussi l’effet dissuasif. Les services de contrôle se sentent démunis. « Ils ne savent même pas si les procédures ont fait l’objet de poursuites, d’une procédure alternative ou d’un classement sans suite » note le rapport qui demande d’engager « un travail de réflexion interministériel sur les sanctions applicables et efficaces dans les contextes particuliers de sécheresse ». Il cite des initiatives intéressantes : pose de scellés sur le matériel d’irrigation, saisie de matériels en vue de leur confiscation, transactions.
Les collectivités ne sont d’ailleurs pas toujours exemplaires sur ce point. Elles se refusent à appliquer les restrictions « eu égard au coût de remise en état des pelouses des équipements sportifs ou en raison du label Village Fleuri » souligne le rapport.
Sur ce volet contrôles et sanctions, le Plan eau est totalement muet.