Sud Francilien: qui protège Suez?

Suez dans le Sud Francilien, c’est 32 millions d’euros par an de surfacturation au détriment des usagers. Où, quand et par qui ont été données à la Lyonnaise, puis à Suez et Meridiam/BlackRock des garanties d’impunité ? C’est la question qui traverse tout l’entretien avec Jacky Bortoli, conseiller délégué au Cycle de l’eau de GPS et membre du conseil de surveillance de la régie de l’eau. A lire aussi les raisons de Philippe Rio avec la délibération (et sa notice) du conseil municipal du 6 octobre, autorisant le Maire de Grigny à une action juridique pour faire valoir ses droits sur les installations du Réseau interconnecté du sud francilien (RISF) présentes dans cette commune. Lire enfin la lettre de soutien de dirigeants d’ATTAC Essonne à Michel Bisson, Président du Syndicat des Eaux du Sud Francilien, attaqué par Suez.
 

La réappropriation publique du Réseau interconnecté du Sud Francilien (RISF), en lieu et place de Suez, était le socle de la création du Syndicat Eau du Sud Francilien, validée par trois préfets, après un vote unanime des trois conseils départementaux de l’Essonne, du Val de Marne, de la Seine et Marne. Cet objectif est-il abandonné ?
 
Jacky Bortoli: Certainement pas. Sous l’impulsion de Philippe Rio, en accord avec le Président Michel Bisson, nous sommes passés de la négociation à la saisine de l’Autorité de la Concurrence et, en ce mois d’octobre, à celle du Tribunal Administratif . Nous n’avons pas abandonné pour trois raisons.
1 En 2021, Laurent Carrot alors DG de Eau du Sud Francilien, filiale de Suez, aborde d’emblée la première séance de négociation avec Grand Paris Sud en affirmant «nous n’avons pas vocation à rester propriétaires » .
2 De rebondissement en rebondissement, nous avons découvert que  non seulement Suez n’est pas propriétaire, mais qu’il y a un soupçon de détournement de propriété et d’argent public.
3 Profitant de la création des villes nouvelles en Île-de-France et d’une position dominante dans le Sud Francilien, la Lyonnaise des eaux devenue Suez a obtenu un monopole sur l’eau potable et sur l’assainissement.
Avec Suez, il y a eu le temps de la négociation, c’est normal de rechercher un compromis et nous l’avons fait, mais quand Mme Soussan a remplacé M. Pellegrini à la tête de l’entreprise, constatant notre détermination, elle s’est empressée, à la demande de son Président M. Déau, de nous informer qu’il n’était plus question de retour au service public. Ils ont choisi la rupture, l’épreuve de force, pensant que nous allions nous décourager, abandonner. Nous avons au contraire monté d’un ton en fixant unilatéralement et à l’unanimité le tarif d’achat de l’eau en gros et saisi la justice.
 
Suez est donc rattrapé par l’actualité des cadeaux fiscaux octroyés par Macron et les gouvernements successifs et qui sont largement décriés  aujourd’hui…
 
JB:  Pas seulement. En profitant de sa position de monopole, Suez prend directement l’argent dans le porte-monnaie des usagers depuis 50 ans. Par exemple, sur la base du compte d’exploitation d’Eau du Sud Francilien 2023, nous avons découvert qu’au bas mot Suez empochait sur le prix de l‘eau 32 millions d’euros par an
 
Comment est-ce possible ?
 
JB:  C’est tout simple, en 1970 la Lyonnaise des eaux est détentrice de contrats d’affermage avec les communes desservies par les usines de Vigneux et de Viry, déjà amorties quand l’Etat décide de créer les villes nouvelles de Créteil , Evry  et Saint-Quentin-en-Yvelines.
Les usines de Vigneux et de Viry ne suffiront pas; tout naturellement l’Etat s’adresse à la Lyonnaise et, en contrepartie de la construction de l’usine de Morsang,  lui octroie une concession de 30 ans qui s’est terminée en 2002. C’est ainsi que la Lyonnaise devenue Suez obtient le monopole de la fourniture d’eau potable dans le Sud Francilien. Suez en profite pour dissocier contractuellement avec chaque commune production de distribution ainsi Suez agira comme propriétaire et fixe unilatéralement le prix de l’eau dans l’opacité la plus complète.
Pourtant en 2002, quand la concession se termine, le Préfet, M. Prieur, les élus (J Hartz, S Beaudet) demandent que la concession soit remplacée par une délégation de service public (DSP). Suez prétend alors ne plus être en possession des documents de la concession. Il n’y aura pas de DSP, la position de monopole de Suez se trouve renforcée et Suez en profite pour imposer des contrats privés de vente d’eau.
 
Et l’Etat non plus ne trouve pas  les documents?
 
JB:  Franchement il est troublant que les services de l’Etat ne retrouvent pas les documents et que nous soyons contraint de faire de l’archéologie nous-mêmes. Il est aussi  troublant que la Commission d’accès aux documents administratifs (CADA)  réponde à Jean-Pierre Gaillet (Attac centre Essonne) : « A la suite de la saisine de la commission, il a été procédé à un nouvel examen de la demande au terme duquel le directeur général des patrimoines et de l’architecture a confirmé que le document le plus récent du dossier sollicité est une note datée de 2002 comportant des mentions relevant du secret des affaires, couvertes par un délai de communicabilité de vingt-cinq ans au titre de la protection du secret des affaires. Il a en outre précisé que ce document était sans rapport avec la recherche de Monsieur GAILLET. En l’état des informations dont elle dispose, la commission estime qu’en l’absence d’intérêt légitime établi par le demandeur, la consultation anticipée de cette note porterait une atteinte excessive aux intérêts protégés par la loi. »
 
Cela donne l’impression que tout est fait pour que Suez reste monopole et empêcher la maitrise publique…
 
JB:  C’est devenu le Far-West! Dans l’arrêté d’utilité publique de 1970 que nous nous sommes procurés, est stipulé que sous le contrôle du Préfet, la « fourniture d’eau se fera au prix coûtant » ce qui n’a jamais été le cas puisque le prix de revient est aujourd’hui de 0,28€ le m3 dans les comptes de Suez et les usagers continuent à payer de 0,67€  à 1,19€ le m3.  Et les besoins sont passés de 34 millions de m3/an en 1970 à 74 millions de m3/an aujourd’hui.
 
Vous pensez que Suez bénéficie de protections ?
 
JB: Politique ?  Les exemples sont multiples et attisent de plus en plus  la colère ces jours-ci.
Juridique ? Je ne le pense pas, la bonne raison étant que jusqu’à maintenant la justice n’a jamais été saisie par aucun élu, ni aucun concurrent de Suez sur sa position de monopole dans le Sud francilien. La dernière fois, c’est en 2005, la Lyonnaise a payé l’amende et depuis Suez n’a eu de cesse que de renforcer son monopole au point aujourd’hui de se prétendre propriétaire.
 
Mais depuis le 6 octobre dernier, c’est chose faite, puisque Philippe Rio, Maire de Grigny et Vice-président Grand Paris Sud a reçu mandat de saisir la justice.
 
JB: Oui, cette saisine  de Philippe Rio sera complémentaire de celle de l’Autorité de la Concurrence avec Stéphane Beaudet, Maire d’Evry -Courcouronnes en cours d’instruction.
 
Vous êtes optimiste sur les chances d’aboutir?
 
JB: Oui, les soutiens à Philippe Rio et à Stéphane Beaudet vont grandissant parmi les élus de toutes sensibilités politiques. Ils bénéficient du soutien des associations de défense des usagers. Suez est de plus en plus isolé, même l’entente ancestrale Suez/Veolia se fissure, Veolia vient d’accepter d’abandonner l’usine d’Annet-sur-Marne, dernière usine propriété privée de Veolia en Île-de-France, même s’il reste «du chemin a parcourir » (Lire ici)  Contrairement à Suez, Veolia est réellement propriétaire de cette usine.
 
Suez vous menace?
 
JB: Ayant eu vent de la décision imminente de saisine du Tribunal Administratif, Suez s’empresse de saisir le tribunal judiciaire d’Evry et prétend une nouvelle fois être propriétaire et brandit même la menace de priver d’eau potable le Sud Francilien, soit 1,4 millions usagers!
En effet, alors qu’il a le monopole depuis 50 ans sur la production d’eau potable, Suez nous invite à acheter de l’eau à un autre fournisseur… C’est bien la preuve qu’un service de distribution public ne peut dépendre d’une société privé et que l’Etat n’aurait pas dû laisser Suez devenir monopole avec ses marchés privés de vente d eau.
 
 Suez est pris à son propre piège avec ses marchés privés ?
 
JB: Oui c’est la cupidité qui met hors-jeu Suez dans le cas du Sud Francilien et c’est pour préserver le service public de l’eau de ce risque que nous avons décidé la réappropriation publique. Avec ses marchés privés, Suez a pu profiter durant 50 ans de l’absence sur ce territoire d’une structure intercommunale; mais aujourd’hui elle existe avec le Syndicat Eau du Sud Francilien et nous allons faire valoir nos droits devant le TA en nous mobilisant avec Philippe Rio et Michel Bisson.
Le dossier RISF/Suez sur le Sud Francilien est trop sulfureux, les exigences de Suez sont tellement démesurées qu’il est plus prudent et responsable de s’en remettre au droit, à la justice administrative. Ce qui permettra sans doute de répondre à la question : où, quand et par qui ont été données à la Lyonnaise, puis à Suez et Meridiam/BlackRock des garanties d’impunité ?

Les raisons de Philippe Rio

Réappropriation des moyens de production d’eau potable (SUEZ) autorisation donnée au Maire pour engager une procédure judiciaire au titre des « biens de retour »

Lire la notice du Conseil municipal de Grigny du 6 octobre:

Lire la délibération du Conseil municipal de Grigny du 6 octobre


La lettre de soutien au Président du syndicat Eau du Sud Francilien

Monsieur le Président,

Nous avons, avec un mélange d’effarement et d’amusement, pris connaissance de l’assignation devant le tribunal judiciaire d’Évry que Suez vous a adressée en tant que président du Syndicat des Eaux du Sud Francilien.

Par delà l’aspect grotesque de cette injonction nous voulons tout d’abord vous assurer de notre total soutien, à vous Michel Bisson comme président traité comme un voleur de bicyclette, mais aussi à tous les membres du syndicat qui sont, quelles qu’aient pu être leurs opinions, attaqués collectivement par Suez dans leurs mandats de défenseurs de l’intérêt collectif.

Intérêt collectif, service public, il semble que ces notions soient totalement étrangères aux dirigeants de Suez. Leur assignation est claire. Pour eux l’eau potable n’est qu’une marchandise comme les autres qu’ils sont en droit de vendre au prix qu’ils imaginent pouvoir fixer eux même.

Peu leur importe que la production d’eau potable soit indispensable à sa distribution. Peu leur chaut que la déclaration d’utilité publique qui leur a permis de construire l’usine de Morsang-sur-Seine comporte un paragraphe qui rappelle qu’en absence de concession (négociée donc sur la base de l’intérêt général et en justifiant tout tarif) la Lyonnaise, ancêtre de Suez, aurait dû faire valider ses prix auprès de la préfecture afin qu’ils soient conformes au prix de revient.

Pour les actuels dirigeants de Suez (au vrai Suez-Meridiam-BlackRock), vous avez, en bloquant le prix qu’ils perçoivent, pourtant bien au dessus de leur prix de revient, commis l’irréparable en vous en prenant à la marge de leurs actionnaires, vous n’êtes que des voleurs.

Pourtant, s’il y a bien eu vol, il fut commis par la Lyonnaise des Eaux et il continue avec Suez.

Au début des années 70, pour établir le prix de l’eau potable sur la ville nouvelle, la Lyonnaise a réclamé que les dépenses faites pour créer le réseau de production et de distribution, soient peu à peu amorties par un prélèvement sur les factures d’eau des abonnés.

C’est ainsi que le premier tarif incluait un amortissement qui correspondait à la moitié du prix de vente de l’eau. L’amortissement des équipements était assuré en 24 ans.

Mais depuis ? Les prix pratiqués par Suez sont restés au même niveau. Nos factures continuent à payer des équipements déjà amortis et, sans doute, plutôt deux fois qu’une. Qui est le voleur ?

Il y a un peu plus d’un an, Suez a proposé de vendre son eau au prix de 0.76€/m3, un peu moins si vous aviez accepté de les aider à éliminer un peu plus ses concurrents. Sans prétendre vendre à perte. Et en continuant à réclamer beaucoup plus aux collectivités. Qui est le voleur ?

Nous n’avons pas oublié que ce prix était prévu dans une offre de Suez qui incluait l’invraisemblable exigence que le syndicat lui achète le réseau, au prix fort, mais n’en récupère la propriété que 20 ans plus tard…

Cette offre, il est vrai a pu faire illusion auprès de quelques élus, surtout dans les intercommunalités où Suez entend pratiquer les prix les plus exorbitants. Mais dés que chacun a pu constater que non seulement les prix ne baisseraient pas partout, même au prix d’un endettement pour 45 ans, qu’il faudrait attendre 20 ans pour récupérer la pleine maîtrise de la production d’eau, la solidarité a joué et plus aucun vote du syndicat n’a été exprimé en faveur de ce projet d’accord honteux.

Pour tenter de prétendre le contraire, les avocats de Suez s’appuient sur une lettre interne au syndicat qui invitait son président à donner son accord à « l’offre » de Suez. Nous notons que Suez, si souvent attaché au secret des affaires s’empare d’un document interne qui n’a aucune valeur contractuelle puisqu’il n’a pas été approuvé par le syndicat.

Fort heureusement. Et c’est aussi pour cela que notre soutien vous est acquis ainsi qu’à à tous les élus visés par l’injonction.

Nous notons aussi que la société qui vous assigne en justice, « Eau du Sud Francilien » a des comptes bizarres, par exemple cette société n’a officiellement aucun salarié. Pourtant ses comptes publics font apparaître le versement de plus d’un million d’euro en « salaires et charges sociales » pour 2024 !

Notre soutien va bien naturellement à ceux qui, comme Philippe Rio ou Stéphane Beaudet ont pris l’initiative de saisir l’Autorité de la Concurrence.

Notre soutien va aux conseils municipaux qui ont voté des résolutions allant dans le sens du SESF et en particulier à celui de Grigny qui a décidé d’un recours devant le tribunal administratif.

Mais notre soutien va aussi aux membres du syndicat qui se sont fait abuser pendant quelques jours par la présentation mensongère de l’offre de Suez de l’an dernier et qui ont su rester fidèles aux objectifs du syndicat. Aujourd’hui, aucun membre du syndicat ne soutient l’offre de Suez.

Soyez assuré que nous serons toujours à vos côtés jusqu’à ce que l’intégralité du réseau de production et de distribution d’eau potable revienne au domaine public.

Jean-Pierre Gaillet, représentant ATTAC au conseil d’exploitation de la régie de l’eau de Grand Paris Sud

Laurence Gauthier, animatrice du comité ATTAC Val d’Orge

Bernard Maurin, ancien vice-président de la régie de l’eau des Lacs de l’Essonne au titre d’ATTAC

Jean-Yves Sage, Président de l’AFCLA qui regroupe les comités ATTAC de l’Essonne


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