Dans le Sud Francilien, Suez veut vendre l’usine de production d’eau potable pourtant déclarée « bien d’utilité publique » par un arrêté préfectoral de 1967 ! C’est une découverte capitale, un scandale dans le scandale, dans le combat pour la réappropriation publique de l’eau dont dépendent 1,4 millions d’habitant.e.s.
Depuis plus de cinq ans, des discussions avec Suez pour le rachat de la production d’eau du Réseau Interconnecté du Sud Francilien (RISF) par les collectivités sont en cours. Elles n’ont plus lieu d’être ! Suez veut vendre ce qui ne lui appartient pas et continue ses procédures dilatoires pour continuer à profiter de la poule aux œufs d’or.
Les explications de Jacky Bortoli, conseiller délégué au Cycle de l’eau de Grand Paris Sud et membre du conseil de surveillance de la régie de l’eau.
Le 3 Février 2025 le Tribunal administratif de Versailles a débouté Suez pour un recours visant à annuler la délibération de Grand Paris Sud fixant le tarif d’achat de l’eau en gros à 0,45€/m3 (Lire la décision du TA). Ce jugement semble accablant à l’égard de Suez…
Jacky Bortoli: Non seulement accablant parce que Suez a perdu ce procès mais surtout parce que cela en dit long sur ses méthodes.
Suez ne peut pas justifier son monopole, ses tarifs, son titre de propriété, il ne peut pas justifier d’échapper depuis plus de trente ans au code des marchés publics. Suez présente un dossier non recevable par le tribunal, comme par les collectivités qui composent le Syndicat mixte Eau du Sud Francilien.
Cela commence à faire beaucoup ?
JB: C’est la méthode Suez. Par exemple, Suez va faire appel de la décision du tribunal et pendant ce temps le tarif d’achat de l’eau en gros, voté par Grand Paris Sud va passer de 0,45€/m3 à 0,50€/m3 et le tarif appliqué à la facture des usagers va passer de 0,80€/m3 à 0,90€/m3 avec l’inflation (1). Pour Suez, le temps, c’est de l’argent : même s’il n’est pas encaissé, cela gonfle sa créance et la valeur de ce qu’il appelle ses actifs. Il est grand temps d’en finir avec ces méthodes.
Aujourd’hui un nouveau cap est franchi puisque vous soutenez qu’il y a suspicion de détournement de biens publics. Comment en êtes-vous arrivé à cette conclusion ?
JB: Par l’absurde, c’est Suez qui nous a mis sur la piste avec plusieurs indices et par la reconstitution de l’histoire du Réseau interconnecté du Sud Francilien (RISF) dont il s’attribue la paternité et la propriété .
Le premier indice, c’est le refus catégorique de la réappropriation et du retour au service public (de la part de Mme Soussan, ex directrice générale de Suez).
Le second, c’est la proposition de Suez en mai 2024 nous demandant de signer une reconduction de vingt ans, au tarif de son choix, et de confier à un notaire le soin de prouver qu’il est propriétaire du RISF.
Le troisième, c’est la délibération de mai 2002 de la communauté d’agglomération d’Evry (voir ici) dans laquelle est écrit que, malgré les recherches, les documents relatifs à la construction de l’usine de Morsang n’ont pas été retrouvés et qu’il fallait soumettre la Lyonnaise à une DSP … ce qui n a pas été fait.
Le quatrième, c’est d’avoir retrouvé un arrêté d’utilité publique de l’usine de Morsang (voir ici) qui démontre que préexistent partout, avant 1967, des contrats d’affermages, de production et de distribution façon puzzle.
C’est ce qui fait dire à Philippe Rio, Pierre Prot et Jean-Pierre Gaillet qu’il y a détournement de biens et d’argent publics… Il y a donc eu des tricheries pendant 30 ans ?
JB: Chacun appréciera. En 1970, l’Etat impose les Villes Nouvelles comme l’a expliqué Stéphane Beaudet au conseil municipal d’Evry le 10 décembre 2024. L’Etat organise pour l’eau potable des Villes Nouvelles le partage de l’Île-de-France, au nord Veolia, au sud la Lyonnaise (Suez) mais s’agissant de cette dernière dans son arrêté d’utilité publique, l’Etat écrit :
« Le prix de fourniture à ces communes, fonction du rapport du cube annuel fourni et du débit maximum prélevé, sera égal au prix de revient, compte tenu des installations utilisées et sera soumis à l’approbation du Préfet de l’ESSONNE. »
S’agissant d’une concession de 30 ans, à la fin de la concession, l’usine de Morsang est un bien de retour (c’est à dire qu’il doit revenir à la collectivité) et c’est la raison pour laquelle en 2002, il y a un vote pour soumettre la Lyonnaise – Suez à une délégation de service public (DSP). Le tour de force de Suez sera d’y avoir échappé durant ces 30 ans.
Où en sont les différents acteurs du du combat pour la réappropriation publique de la production d’eau potable ?
JB: Avec Philippe Rio, nous revendiquons en 2018 la réappropriation et le retour au service public, Stéphane Beaudet, maire d’Evry, montre qu’il ne s’agit pas seulement du prix de l’eau mais surtout de la maîtrise publique d’un bien commun et que l’intérêt général doit primer sur l’intérêt politique. Et heureusement, au bon moment, nous avons réussi à éviter que le Syndicat Eau du Sud Francilien et son président Michel Bisson ne se fourvoient dans un accord amiable avec Suez visant a posteriori au consentement de la victime.
Suez/Meridiam dispose de puissants lobbys techniques, juridiques, financiers et politiques pour se rendre incontournable. L’eau bien commun de l’humanité a forgé notre détermination commune de réappropriation publique. Toutes les Agglomérations, EPT, communes dépendants du RISF de Créteil à Aubergenville sont à des degrés divers concernés. Grand Paris Sud l’est plus que d’autres avec sur son territoire deux Villes Nouvelles qui ont servi de « laboratoire » pour d’abord la Lyonnaise, ensuite Suez et maintenant Meridiam/Black Rock a ce qui apparait de plus en plus comme un détournement de biens, d’argent public et de la ressource.
Et le Syndicat Eau du Sud Francilien dans tout cela ?
JB: Parce qu’il est la solution, il sort renforcé tout comme l’intervention associative et citoyenne.
(1) Grand Paris Sud est obligé de provisionner à la hauteur du tarif de vente d’eau en gros voulu par Suez tant que les recours ne sont pas épuisés
La déclaration d’utilité publique de l’usine de Morsang/Seine