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La loi Royal n’a pas autorisé les réductions de débit

Henri Smets, membre de Académie de l’Eau, analyse l’évolution du texte de la loi relative à la transition énergétique dite « loi Royal » sur les coupures d’eau et réductions de débit en France.

Du suspense jusqu’à la fin

Jusqu’à la fin des débats sur la loi relative à la transition énergétique, dite loi Royal, beaucoup ont cru que l’Assemblée nationale et le Sénat allaient voter une disposition pour autoriser les distributeurs d’eau à réduire le débit d’alimentation en eau en cas d’impayés. Il n’en fut rien. Le législateur a finalement choisi (juillet 2015) de ne pas risquer de priver d’eau de nombreux ménages incapables de la payer. Au vu des décisions du Conseil constitutionnel, le député François Brottes a retiré son amendement destiné à autoriser les réductions de débit dans certains cas et l’art. L 115-3 du Code de l’action sociale et des familles tel que modifié par la loi Brottes est resté inchangé.[1]

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Fin de partie pour les coupures d’eau

Dans un article publié par le Huffington Post le 30 juillet, Henri Smets revient sur la portée de l’interdiction des coupures d’eau.

La loi Brottes de 2013 a interdit aux distributeurs de couper l’eau de ceux qui ne la payent pas sauf s’ils ont l’autorisation d’un juge. Le payement de l’eau reste dû mais ne conditionne plus la poursuite de la prestation du service. Telle est la conclusion des débats sur ce sujet au Sénat comme à l’Assemblée nationale en 2015. Pour couronner le tout, le Conseil constitutionnel a rejeté en mai 2015 les arguments des distributeurs et leur a rappelé que l’interdiction des coupures est « sans effet sur les créances des distributeurs d’eau sur les usagers ». Continuer la lecture de Fin de partie pour les coupures d’eau

Les entreprises de l’eau doivent respecter la loi

Tribune d’Emmanuel Poilane, directeur de la Fondation France-Libertés, de Henri Smets de la Coalition Eau et de Jean-Claude Oliva, directeur de la Coordination Eau Île-de-France, publiée dans le Huffington Post.

Depuis 2013, les distributeurs d’eau ne peuvent plus couper l’eau des ménages pour cause de non-paiement des factures d’eau. Après avoir demandé et obtenu une clarification de la loi, après avoir perdu des recours devant près d’une dizaine de tribunaux, après avoir tenté sans succès de modifier la loi au Parlement et finalement après avoir échoué à faire déclarer la loi contraire à la Constitution, il ne reste plus aux distributeurs qu’à mettre la loi Brottes en vigueur… s’ils le veulent bien.

La Fédération Nationale des Collectivités Concédantes et en Régie (FNCCR) qui représente l’ensemble des régies et les municipalités l’a parfaitement compris et a expliqué à ses membres qu’il était désormais interdit de couper l’eau pour factures impayées lorsqu’il s’agit de la résidence principale d’une personne ou famille. La Régie Publique Noréade dans le Nord, par exemple, n’a pas attendu pour annoncer qu’elle renonçait aux coupures d’eau.

En revanche, on attend toujours que la FP2E qui représente les entreprises délégataires, notamment Veolia, Suez Environnement et Saur, fasse connaître sa position sur l’interdiction des coupures d’eau que la loi a prescrit.

Alors que nous savons que Suez Environnement a passé le message en interne pour stopper les coupures d’eau, elles continuent chez Veolia ou Saur comme si la loi n’existait pas. L’eau ne coule toujours pas chez des personnes démunies qui ont accumulé des impayés. De nouveaux ménages sont privés d’eau sans la moindre base légale et malgré la décision récente du Conseil constitutionnel. Les votes du législateur comme les décisions des tribunaux concernant les coupures d’eau restent lettre morte comme si certains distributeurs, chargés de gérer notre service public de l’eau, avaient le choix entre se conformer à la loi ou la défier tant qu’ils n’étaient pas poursuivis.

Nous lançons un appel aux élus responsables de collectivités (communes, intercommunalités, syndicats…) pour qu’ils exigent de leurs délégataires qu’ils respectent la loi. Nos organisations s’insurgent que le droit à l’eau soit cyniquement bafoué.

Les réductions de débit d’eau toujours illégales

Dernière minute : l’amendement de François Brottes autorisant les réductions de débit a été retiré! Voir ci-dessous les propos du député, lors de l’adoption définitive de la loi sur la transition énergétique le 25 juillet 2015:

 « Le débat auquel a trait cet amendement est fait de plusieurs épisodes. Il s’agit de la question des coupures d’eau qui ont été interdites par le Conseil constitutionnel, au motif que l’on ne se fait pas justice soi-même. J’avais proposé, avant que le Conseil constitutionnel ne statue dans une question prioritaire de constitutionnalité, de moduler la sanction pour ceux qui seraient de mauvaise foi. Le Sénat, avec le soutien du Gouvernement, a considéré qu’il ne fallait pas apporter une telle précision.

Il me semble désormais que, puisque la décision du Conseil constitutionnel a permis de stabiliser le texte, toute complication risquerait d’entraîner une nouvelle saisine et de déstabiliser de nouveau le dispositif. J’assume donc de retirer la proposition que j’avais faite à l’occasion de la nouvelle lecture. »

Les réductions de débit restent donc illégales!

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La décision du Conseil constitutionnel du 29 mai a confirmé l’illégalité des coupures d’eau pour impayés. Et les réductions de débit ne sont pas autorisées non plus.

Explications et point de vue d’Henri Smets, Président de l’ADEDE, membre de la Coalition Eau.

Autrefois, les règlements de nombreux services d’eau permettaient d’effectuer une réduction du débit d’alimentation en eau en cas d’impayés. Depuis 2008, ces réductions étaient devenues totalement illégales [1] mais cela n’a pas empêché certains grands distributeurs de continuer sans être inquiétés à les pratiquer sur une grande échelle. Dans une réponse en 2011 au Sénateur Paul Raoult qui suggérait de mettre en œuvre les réductions de débit moins pénalisantes que les coupures d’eau, la Ministre du développement durable de l’époque s’était prononcée en faveur du maintien de l’interdiction des réductions de débit.

En avril 2015, le député François Brottes a déposé un amendement législatif à la fois pour confirmer l’interdiction des coupures d’eau en général (loi Brottes du 15 avril 2013), pour interdire les réductions de débit chez les usagers démunis et pour autoriser les réductions de débit en cas d’impayés dans le seul cas d’usagers capables de payer leurs factures d’eau. [2] Mais cet amendement a été retiré au moment de l’adoption définitive de la loi fin juillet.

Vu le coût élevé d’une intervention de réduction de débit (plus de 100 € pour la pose d’une lentille pour réduction de débit et son enlèvement ultérieur), leur intérêt économique n’était pas évident  de toute façon tant que la dette ou le retard de paiement restait faible.

La nouvelle disposition incluse dans le projet de loi constitue un progrès évident en matière de droit à l’eau car plus personne en France ne pourra être privé d’eau dans sa résidence principale en cas d’impayés. Payée ou pas, l’eau potable devra toujours être fournie pour satisfaire les besoins de chaque usager. Les distributeurs pourront exercer des recours contre les mauvais payeurs comme dans toute situation de non-respect d’un contrat, mais ils ne pourront pas les priver d’eau, ni totalement, ni partiellement, sauf avec l’accord préalable d’un juge au vu de la situation concrète. Nul ne peut se faire justice à soi-même…

[1]Selon le Ministère de l’Ecologie, «  L’article 1er du décret N°2008-780, interdit de réduire le débit de fourniture d’eau aux abonnés en situation d’impayés ». Voir J.O. Sénat, Réponse publiée le 3/3/2011.

[2] L’amendement n°822 présenté le 15 /4/2014 par
M. Brottes, M. Blein et Mme Bareigts, rapporteure porte sur l’article 60 bisA du projet de loi sur la transition énergétique et vise à compléter le troisième alinéa de l’article L. 115‐3 du Code de l’action sociale et des familles par une phrase ainsi rédigée : « Ils peuvent procéder à une réduction de débit, sauf pour les personnes ou familles mentionnées au premier alinéa du présent article ». Il a été adopté en Nouvelle lecture par l’Assemblée nationale le 26 mai 2015. Mais il a finalement été retiré lors du vote final de la loi sur la transition énergétique en juillet 2015.

Expérience faite, les Anglais sont toujours contre les coupures d’eau

L’Angleterre, souvent utilisée comme modèle en France,  a interdit il y a 16 ans les coupures d’eau pour impayés avec pour conséquence que les usagers démunis ne doivent plus se priver de nourriture pour payer leur eau dans les délais. Après 10 ans sans coupure, le gouvernement anglais a évalué les effets réels de cette décision et a conclu qu’il ne fallait pas  rétablir les coupures d’eau malgré les aspects négatifs associés à leur suppression.

L’abolition des coupures  d’eau est parfois présentée comme devant mener à une explosion du nombre de ménages avec des dettes d’eau. En Angleterre,  cette explosion n’a pas eu lieu et le nombre de ménages endettés a peu varié. 

La suppression des coupures d’eau est  une mesure à visée  sociale  introduite par un gouvernement soucieux de protéger  les ménages des mesures trop expéditives des distributeurs d’eau. Elle a pour effet de réduire la pression sur les usagers ayant à payer leur facture d’eau, ce qui leur  permet de retarder le paiement des sommes dues mais pas d’échapper au paiement. Il est faux de prétendre  comme le fait  le Sénateur Poniatowski que « Quiconque a les moyens de payer sa facture d’eau mais qui s’y refuse, ne pourra être inquiété. » . En réalité, les distributeurs anglais sont tellement efficaces  pour inquiéter les usagers qu’ils n’ont pas subi d’augmentation sensible des créances irrécouvrables depuis qu’ ils ont perdu l’arme redoutable des coupures. En revanche,  en 10 ans,  ils n’ont pas hésiter à augmenter le prix réel de l’eau de 19% .

Les distributeurs anglais ont observé une croissance des délais de paiement des factures d’eau et ils ont identifié quatre causes à ce phénomène, dont une seule est liée aux coupures d’eau. Comme prévu, les retards de paiement sont dans une large mesure liés aux  difficultés économiques des usagers  qui doivent payer une eau de plus en plus chère alors qu’ils ont des revenus  en baisse. Certains impayés sont dus au manque d’informations des distributeurs sur les usagers qui ont de  l’eau sans avoir jamais signé un contrat.  La loi anglaise a été finalement amendée  en 2010 pour permettre les poursuites des mauvais payeurs par les voies classiques, pas par la voie des coupures.

Tout le monde souhaite lutter contre les usagers de mauvaise foi mais pas en coupant l’eau de tous les usagers qui ont un simple retard de paiement.  La coupure d’eau doit rester une  mesure de dernier recours  à n’utiliser que sous le contrôle du juge. Cette solution qui respecte les droits de chacun, a été mise en œuvre avec succès depuis de nombreuses années en Belgique.

Puisse l’Assemblée nationale donner sa préférence au droit des usagers à l’eau plutôt qu’au droit des distributeurs à couper l’eau des ménages. La proposition du Sénat est une mesure de régression sociale tout à fait malvenue en cette période de crise.

Henri Smets

Président de l’Association pour le développement de l’économie et du droit de l’environnement (ADEDE).