Guerre de l’eau dans le sud francilien, saison 24

« Nouvelles offres de Suez » et cabinet d’avocats BCLP : les 2 mâchoires du piège de Blackrock pour neutraliser le Syndicat eau du sud francilien (SESF). Par Eau publique Orge Essonne.

Fin des négos entre Suez et le SESF et début de la « guérilla juridique »

Cela fait maintenant 8 mois qu’a été acté l’échec des négociations visant la restitution par Suez aux collectivités sud-franciliennes des moyens de production de l’eau potable (le fameux « RISF » réseau interconnecté sud-francilien).

Cela fait plus de 6 mois, que les dirigeants des 4 intercommunalités concernées, réunies dans le nouveau syndicat public de production SESF (Syndicat Eau du sud francilien) ont annoncé unanimement, suite à cet échec, engager tous les moyens (recours juridique, médias, mobilisations citoyennes) pour obtenir la réappropriation publique du RISF, largement payé par les factures des usagers depuis 50 ans.

Première action prévue, la saisine de l’Autorité de la Concurrence

Parmi les premières actions de cette « guérilla juridique » (selon les termes de Michel Bisson, Président du SESF), figure la saisine de l’Autorité de la Concurrence (AC), pour faire condamner Suez pour « abus de position dominante », au motif de la surfacturation de son eau en gros aux régies de distribution de l’eau potable (suez vend l’eau en sortie d’usine entre le double et le triple de son coût réel). Une saisine qui a toutes les chances d’aboutir, sachant que Suez (à l’époque , la « Lyonnaise des eaux ») a déjà été condamné en 2005 par cette Autorité (à l’époque « Conseil national de la Concurrence »), pour les mêmes motifs, sans changer pour autant de comportement à la suite.

Une saisine au fort potentiel de succès, sous 2 conditions

Le siège de l'Autorité de la concurrence à Paris.

L’intérêt de cette saisine de l’AC, c’est que les prérogatives d’investigation de l’Autorité dans les disques durs et armoires des entreprises ont été élargies : c’en sera fini avec le « secret des affaires » et la « confidentialité » brandis par Suez dans les négociations, pour refuser de fournir les chiffres requis sur sa comptabilité . L’enjeu, c’est la connaissance de la fameuse « valeur nette comptable » VNC, des usines et canalisations dont Suez prétend être propriétaire, alors qu’elles ont déjà été amorties et rachetées depuis belle lurette par les usagers en règlant leurs factures d’eau.

A l’image du pouvoir de nuisance des vampires qui s’évanouit à la lumière du jour, cette opération « vérité des prix » réduira à néant les prétentions exorbitantes de Suez de poursuivre son racket.

Les pièces du dossier de cette saisine ont patiemment été regroupées depuis 3 ans, notamment grâce à l’expertise et au travail de professionnels issus de France Eau publique, qui fédère les collectivités qui ont fait le choix de la gestion publique.

Restaient, à les mettre en ordre et en forme en vue d’une saisine recevable par l’autorité de la concurrence.

2 pré-requis

En respectant impérativement pour aboutir, prérequis :

1- Exclure la reprise d’échanges et discussions avec SUEZ parallèlement à cette saisine : l’AC écarte en effet d’emblée toute saisine émanant d’un opérateur contre un autre quand ils sont en négociation : l’AC considère qu’elle serait en pareil cas instrumentalisée et dévoyée pour peser sur l’issue de ces négociations, ce qu’elle refuse.

Les actionnaires de Suez ont bien intégré ce risque : ils démarchent individuellement des dirigeants du Syndicat en leur annonçant de pseudo « nouvelles offres » pour les entraîner dans ce piège de reprise des discussions. Avec un double bénéfice immédiat si ces calculs aboutissaient ; invalider donc la saisine de l’AC, mais aussi, prolonger le plus longtemps possible la situation présente de surfacturation très lucrative.

Tous nos élus sauront-ils résister à ces pressions très intéressées ?

2- Choisir , pour se faire assister des avocats indépendants, déontologiquement à l’abri de toute collusion et connivence avec les multinationales, leurs officines dédiées et et leurs mercenaires.

Le double jeu du cabinet Bryan Cave Leighton Paisner 

Compte tenu du contexte et des enjeux de cette nouvelle étape juridique, quelle ne fut pas notre inquiétude en apprenant il y a quelques jours le choix du Président du SESF de recourir à un cabinet multinational de conseil (Décision du président validée lors de la séance suivante du Conseil délibératif du Syndicat) :

– le consortium transatlantique (américano-britannique) de conseil juridique et en investissement BCLP, retenu pour une mission d’assistance juridique globale, comprenant donc…le bouclage du dossier de saisine de l’AC.

Un choix inattendusachant que BCLP est, de longue date, un des conseils les plus habituels de BlackRock, et le reste depuis que Blackrock, le 14 janvier 2024, est devenu l’actionnaire de premier rang de Suez (39 %, à égalité avec Méridiam), en rachetant le fond d’investissement GIP.

Pas besoin d’être une journaliste d’investigation aguerrie pour vérifier et s’inquiéter de cette connivence étroite entre BCLP et l’un des plus farouches adversaires de la restitution du RISF aux usagers et à leurs élus .

En effet, en font état différents documents de BCLP ou des articles à son sujet ; par exemple à propos de son bureau britannique (à Manchester), pilotant son développement en Europe.

Blackrock est aussi cité parmi les premiers clients de :

Simon Kenley associé londonien exerçant toujours en qualité de Conseiller BlackRock en tant qu’associé de BCLP, à la tête d’une grande équipe transversale d’avocats spécialisés dans le secteur de l’immobilier.

Kieran Saunders est le co-responsable de l’équipe Corporate Real Estate & Funds. Il a de l’expérience dans la création et l’exploitation de fonds non cotés, de coentreprises et de structures de club au Royaume-Uni et dans les juridictions offshore, tant du point de vue de la gestion que de celui des investisseurs, en particulier dans le secteur des actifs alternatifs

BCLP se vante de travailler pour plusieurs des gestionnaires de fonds les plus actifs dans le monde de la finance, et de conseiller à ce titre des opérateurs les plus « haut de gamme » de la City, notamment pour BlackRock. Il se targue d’être leur partenaire idéal , pour étendre leur portefeuille d’actif dans le domaine des infrastructures et des réseaux, mettant en exergue la croissance et la profitabilité de ce secteur en prenant précisant comme exemple le rachat de GIP (et donc la prise de contrôle de Suez) par BlackRock :

https://www.legalbusiness.co.uk/blogs/revolving-doors-restructuring-veteran-ereira-leaves-paul-hastings-for-quinn-as-firms-build-up-funds-practices/

Qui pourrait sérieusement croire que, dans un contentieux qui oppose un syndicat d’intercommunalité français, à compétence régionale pour la production d’eau le SESF, à BlackRock gestionnaire d’actifs financier le plus puissant au monde, le cabinet BCLP sera enclin à privilégier la défense loyale du syndicat public au détriment de celle de son plus gros et plus lucratif client ?

On peut expliquer (sans pour autant l’approuver) que le SESF ait sollicité fin 2023 BCLP, mercenaire des multinationales, en espérant que sa connaissance de leurs arcanes serait précieuse pour les affronter efficacement. Mais, dès la prise de contrôle de Suez par Blackrock en janvier 2024, comment pouvoir faire encore confiance à un de leur cabinets de conseils les plus dévoués ?

La privatisation des compétences intellectuelles des acteurs publics, un mal français

Depuis 3 ans, la dépendance et même l’addiction des ministères et grosses collectivités aux cabinets de conseils multinationaux a maintes fois été dénoncée en France par des articles, missions parlementaires, inspections internes. Elle justifie une vigilance de tous les instants des acteurs publics continuant à y recourir.

Une saisine qui ne doit plus attendre

Dans notre secteur du sud-francilien, l’envoi sans plus tergiverser du dossier de saisine de l’Autorité de la concurrence, conformément à la décision votée en mars, est le meilleur moyen de rassurer ceux qui redoutent de voir le SESF tomber dans le piège de Blackrock et consorts

Le PDG de BlackRock, Larry Fink (à gauche), et le PDG de BlackRock France, Jean-François Cirelli, après une réunion à l’Elysée, le 10 juillet 2019

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