Jeudi 9 février s’est déroulée au Siège de la Communauté d’Agglomération Grand Paris Sud, l’installation du syndicat mixte fermé pour la production et le transport d’eau potable « Eau du Sud Francilien ». Michel Bisson a été élu président de ce nouvel organisme. Voici l’intervention de Pascal Grandjeat au titre de l’association Eau publique Orge-Essonne et de la Coordination EAU Île-de-France: « tous nos vœux de succès pour le nouveau Syndicat Eau du Sud francilien »
« J’interviens comme simple citoyen, au titre de mes engagements associatifs, pour l’association Eau publique Orge-Essonne, et comme référent pour l’Essonne de la coordination EAU Île-de-France.
Mes chers concitoyens, électeurs et élus, Madame la présidente d’Eau Cœur d’Essonne, Messieurs les présidents, mes chers compagnes et compagnons de la longue lutte que nous menons ensemble pour libérer l’eau, notre bien commun, des intérêts mercantiles:
Ne vous en froissez pas, mais ces quelques mots ne vous sont pas adressés; ils s’adressent à nos adversaires communs, les actionnaires de Suez. En souhaitant que leur émissaire, présent dans cette salle, restitue fidèlement à ses commanditaires les sentiments qui nous animent et qui feront notre force dans les prochains mois.
Quels sentiments?
Un sentiment de soulagement d’abord;
Le soulagement de nous être enfin émancipés, dans le sud francilien, du syndrome de Stockholm. Ce syndrome qui désigne la propension des otages ayant partagé trop longtemps la vie de leurs geôliers à sympathiser avec eux et à adopter leur point de vue. Ce syndrome qui nous a maintenu dans le domaine de l’eau, pendant des décennies, dans un état de sidération sous l’emprise de Suez et Veolia.
Le syndicat que nous créons aujourd’hui, habitants et élus, referme, définitivement, ces sombres pages du service public de l’eau potable.
Il clôt une époque où, à chaque fois que nous avons ouvert nos robinets en grande couronne d’Île de France, nous générions du cash. Du cash accumulé par Suez pour ensuite faire main basse et monnayer les ressources en eau de l’Argentine, de l’Égypte ou des Philippines. Un bien triste modèle de coopération internationale.
Quel soulagement de disposer avec le SESF, d’un outil collectif dont l’objet, les choix, l’agenda et les dépenses seront protégés des business plans des opérateurs privés; et exclusivement, désormais, guidés par l’intérêt des usagers d’aujourd’hui et de demain. Un intérêt qui intègre notre co-responsabilité à l’égard des ressources naturelles limitées de notre fragile planète bleue.
Un sentiment de responsabilité, ensuite, qui est parfois, avouons le, un peu écrasant.
Mais restons zen; nous disposons de solides atouts pour être à la hauteur de nos responsabilités:
– A la lumière de l’abandon, gagné ensemble de haute lutte, du projet toxique de traitement de l’eau par OIBP à l’usine d’Arvigny à Savigny le Temple. Une victoire qui montre que nous disposons au sein des services déconcentrés de l’État, d’interlocuteurs plus soucieux de notre avenir planétaire que des sautes d’humeur du CAC 40.
– Ensuite, parce que les actionnaires de Suez et leurs affidés, n’ont vraiment pas eu besoin de nous, pour saper leur légitimité à discuter de la production de nos ressources en eau. Et plus encore, à fixer les termes du débat.
Mme et Messieurs les mandataires des actionnaires de Suez, votre obstination à appréhender la restitution de nos outils de production d’eau potable, selon les us du monde des affaires, du secret des affaires, de la concurrence entre opérateurs, en termes d’actifs financiers, cette obstination n’est plus seulement pathétique; Comprenez qu’elle est devenue inaudible au 21ème siècle.
Alors tous ces sentiments en génèrent un autre, l’impatience
Nous sommes carrément las de vos palinodies. Les choses sont simples:
Les rares études disponibles sur le coût total, en investissement et fonctionnement, de l’étape captage, traitement et contrôle de la qualité de l’eau, donnent un montant de 20 à 30 centimes au m3 pour un captage d’eau de surface, cas de nos trois usines de Morsang, Viry et Vigneux; soit un montant inférieur à la moitié de ce que nous payons depuis des décennies.
Madame et Messieurs de Suez: en refusant depuis 2 ans de produire le moindre chiffre pour réfuter cette évaluation, vous l’avez validée par votre silence assourdissant.
Encore une démonstration de cette évidence: le coût de vente de l’eau en gros est globalement inchangé depuis 20 ans, alors que le volume d’eau fournie par nos usines a baissé régulièrement, jusqu’à être en deçà de la moitié de leurs capacités de production : où sont donc passés les coûts fixes de ces usines qui auraient dû monter au mètre cube unitaire, du fait d’un moindre volume vendu?
Les seuls actifs qui méritent considération, dans la discussion des conditions de rétrocession de nos usines, c’est les femmes et les hommes qui les font tourner et que nous devons accueillir correctement. Des salariés rincés depuis 2 ans par les menaces et inquiétudes ayant accompagné l’OPA hostile de Veolia sur Suez; des salariés accablés de voir leur savoir faire et leur engagement dévoyés pour accroître des dividendes, et qui veulent comme tout le monde, redonner sens à leur travail, au service exclusif des usagers et de notre planète.
Alors oui, décidément, ces usines et leurs canalisations de transport reviennent de droit à nos services publics locaux d’eau potable; oui, par nos factures, nous avons plus que largement payé le coût de leur construction, de leur modernisation, de leur fonctionnement et de leur maintenance.
Ce patrimoine doit nous être restitué sans contrepartie: ni en coût d’achat, encore moins en en laissant les clés, durant 5, 10 ou 20 ans de plus.
Pour des discussions et des choix en pleine lumière
La Constitution a consacré, il y a 16 ans, le droit des citoyens de participer à l’élaboration des décisions publiques ayant une incidence sur l’environnement. Les choix relatifs aux outils et au coût de production de l’eau doivent, à ce titre, être mis au coeur du débat public local; la Commission nationale du Débat Public sera de concert avec nous pour cela dans les prochain mois. L’omerta, n’est plus de mise. Ici comme dans les Carpathes, c’est connu, ce sont les vampires qui exigent l’obscurité et redoutent le soleil, et les défenseurs de l’intérêt général a contrario ont tout à y gagner.
Nous en sommes certains: si le blocage persiste, conduisant tous nos élus à concrétiser leur intention de baisser unilatéralement le prix de l’eau acheté à Suez, pour s’approcher de son coût réel, ils pourront compter sur l’appui unanime de leurs électeurs.
Alors Mme Soussan, MM Pellegrini et Carrot, de grâce, faites preuve d’un peu d’empathie pour vos salariés et usagers. Renoncez à vos prétentions antédiluviennes. Prenez la mesure de l’évolution des consciences et des enjeux; adaptez-vous, dignement, au changement induit par la réunion des collectivités sud franciliennes et par la vague citoyenne qui l’accompagne.
Et arrêtez de nous faire perdre notre temps!
Nous sommes au taquet pour faire prospérer l’outil collectif qui nous manquait pour appréhender la protection de l’eau, son accès et son juste usage; à l’échelle de nos bassins versants, et de tout son cycle: de la production à l’épuration, de Morsang sur Seine à Valenton, dont il convient de nous occuper sans tarder, on en reparlera. Nous remettons ce jour au conseil d’administration d’Eau du Sud Francilien un document de travail pour mettre en place l’instance inédite de concertation requise pour former et impliquer les habitants à la hauteur des enjeux.
Rendez-vous dans cinq mois
Nous nous donnons rendez-vous dans cinq mois jour pour jour, le 9 juillet, pour un big Jump 2023 tous ensemble en Seine. Si nous nous en donnons les moyens d’ici là, ne serait-ce une formidable occasion de fêter nos retrouvailles avec une eau de Seine enfin affranchie?
Quelques mots et une minute de silence en hommage à notre présidente Nicole Estève.
Enfin, je voudrai pour terminer rappeler que ce n’est pas moi qui aurait dû prononcer ces quelques mots pour Eau publique Orge Essonne, mais notre Présidente Nicole Estève, décédée vendredi dernier, six jours avant l’installation de ce syndicat . Elle y aura consacré ses dernières forces et ses derniers espoirs avant que la maladie ne l’emporte. Nicole, tu n’a jamais admis, tu ne t’es jamais résignée à ce que les marchands s’emparent de nos vies, de nos intelligences, de nos communs. Nous proposons à travers une minute de silence, de te témoigner notre reconnaissance et notre engagement à poursuivre, au-delà de nos différences, notre action pour libérer définitivement l’eau des pollutions et prédations qui l’accablent. »