La Cour des comptes a publié mi-juillet un rapport sur la gestion quantitative de l’eau. Plusieurs questions fondamentales sont pointées. Tout d’abord, l’évaluation des effets du changement climatique et l’adaptation à cette nouvelle réalité. Ensuite une organisation peu efficace de la gestion d’un bien commun, la faiblesse de la police de l’eau et de l’implication des citoyens. Puis la refonte de la redevance pour prélèvement d’eau qui « constitue une simple variable d’ajustement budgétaire – et non un outil de fiscalité environnementale ayant une influence sur les comportements ». Enfin à rebours des « solutions anciennes » (interconnexions et stockage) , « une stratégie déterminée de réduction des prélèvements et d’utilisation raisonnée de la ressource » est appelée. On avance!
Quelques extraits particulièrement éclairants et liens vers la synthèse et de le rapport intégral.
FOCUS Une participation insuffisante des parties prenantes et des citoyens (rapport p56 et suivantes)
Des instances de concertation et de gouvernance à conforter
Les tensions au sein des comités de bassin s’exacerbent à proportion des conflits d’usages de l’eau.(…)
Les préfets coordonnateurs de bassin sont satisfaits de l’organisation actuelle. Les présidents de comité de bassin expriment majoritairement un point de vue différent. Certains considèrent qu’ils ne disposent pas d’un poids politique suffisant pour peser dans des entités aussi vastes et fragmentées dans leur représentation politique. La plupart d’entre eux souhaitent un rééquilibrage entre le rôle donné aux préfets coordonnateurs et celui qui leur revient. Ils regrettent que les préfets soient devenus présidents des agences de l’eau. Certains contestent une centralisation croissante de la politique de l’eau. D’autres regrettent que les préfets aient perdu leur rôle d’arbitre en prenant cette présidence. Il faut ajouter que le bon fonctionnement de la gouvernance dépend de l’entente entre le préfet coordonnateur, le président du comité de bassin et le directeur général de l’agence de l’eau.(…)
Une implication des citoyens dans la politique de l’eau à développer
Les citoyens restent mal informés la politique de l’eau. Les incohérences relevées dans les informations fournies par la banque nationale des prélèvements ou par le système d’information sur les services publics de l’eau et de l’assainissement jettent un doute sur leur fiabilité. Les informations sont dispersées dans de nombreux sites internet qui n’offrent pas une vision synthétique de la situation. (…)
Le financement de la politique de l’eau est largement supporté par les usagers domestiques qui paient plus des deux tiers des redevances encaissées par les agences de l’eau. Les redevances pour pollution de l’eau et collecte liées aux usages domestiques de l’eau s’élevaient en 2020 à 1 541M€, soit 70,7% du total des redevances encaissées par les agences de l’eau. Les redevances « prélèvement sur la ressource en eau » atteignaient 402,4 M€ en 2020, supportées pour 271 M€ (soit 68%) par les prélèvements au titre de l’usage « alimentation en eau potable ».
Par ailleurs les ménages paient la facture d’eau qui permet aux gestionnaires de services d’eau potable et d’assainissement de financer leur activité et varie d’un gestionnaire à l’autre. Cette inégale répartition du financement de la politique de l’eau témoigne des rapports de force entre les acteurs. Les usagers économiques sont mieux organisés pour faire valoir leur point de vue que les usagers non-économiques. Les milieux naturels sont essentiellement représentés par les associations de protection de la nature.
La cristallisation des oppositions autour de certains projets, particulièrement d’infrastructures d’irrigation (Caussade, bassines dans les Deux-Sèvres, etc.), n’est pas sans rapports avec cette inégale répartition du financement de la politique de l’eau. Elle témoigne aussi de la faiblesse de la concertation sur cette politique dans de nombreux territoires dépourvus de commissions locales de l’eau.
Ces difficultés ont ouvert le champ à l’expression de points de vue minoritaires en faveur d’une évolution radicale du droit pouvant aller jusqu’à envisager de donner une personnalité juridique aux cours d’eau ou aux masses d’eau pour en assurer une meilleure protection. La constitution par des associations et un groupe de personnalités d’un « parlement de la Loire » qui a organisé des auditions pendant plus de deux ans pour permettre à des défenseurs des intérêts de ce fleuve de les faire valoir, traduisait également ce besoin d’une prise en compte de la parole des citoyens.
Des expériences locales témoignent cependant de possibilités d’évolution de la gouvernance de cette politique de plus en plus sensible.
La politique de l’eau a été longtemps confiée à des élus spécialistes d’un sujet considéré comme très technique. Une plus grande implication des élus locaux dans leur ensemble apparait nécessaire pour que cette politique soit partagée par toutes les parties prenantes.
FOCUS la redevance sur les prélèvements d’eau (synthèse pp17 et 18)
La décorrélation entre la taxe et les prélèvements (rapport p110)
Conclusion et recommandations
Les solutions classiques de stockage et de transfert d’eau sont coûteuses. Elles sont source de conflits en raison de la moindre disponibilité de la ressource en eau.
Le développement de solutions fondées sur la réutilisation des eaux usées traitées ou la désalinisation de l’eau de mer emportent des contraintes environnementales, sanitaires et financières qui limitent considérablement leurs possibilités de développement.
Dès lors, la réduction des prélèvements apparaît comme l’unique solution à même de résoudre à court terme le problème fondamental du déséquilibre entre la disponibilité de la ressource et le niveau de ces prélèvements. Elle n’est pourtant pas encore considérée comme une priorité. Les programmes de maîtrise des consommations d’eau potable ne ciblent pas les principaux consommateurs. Le rendement des réseaux représente un enjeu de taille et la modification des pratiques voire la réforme du modèle agricole apparaissent comme une nécessité.
Les usagers ne sont généralement pas incités financièrement à réduire leur consommation, ce qui plaide pour le développement d’une tarification progressive. Le prix de l’eau a jusqu’ici été déterminé pour soutenir certains usages notamment agricoles et dégager les ressources nécessaires au financement des investissements. Mais ces derniers vont s’accroître avec le besoin de sécurisation.
Face à ces constats, l’irrigation devrait faire l’objet d’une étude de son impact et le financement public de sa sécurisation être conditionné à des engagements de réduction des prélèvements pris par les bénéficiaires.
Les économies d’eau sont encore trop limitées à la gestion des crises climatiques.
Le système de la redevance pour prélèvement sur la ressource en eau est mis en œuvre avec un objectif de rendement fiscal plus que pour inciter les usagers à modérer leur consommation d’eau. Il repose essentiellement sur les consommateurs d’eau potable et ne permet pas de traduire, au plan économique, les effets des prélèvements sur la disponibilité de la ressource et sur les milieux naturels. Le plafonnement budgétaire du produit des redevances des agences de l’eau devrait être levés et garantir, dans le respect de la loi, les conditions d’une plus juste répartition des redevances entre usagers.
Au vu de l’ensemble de ces constats, les juridictions financières formulent les recommandations suivantes :
6. renforcer sans délai le contrôle des autorisations de prélèvements (MTECT, MIOM) ;
7. conditionner le financement public des infrastructures de sécurisation de l’irrigation agricole à des engagements pris par les bénéficiaires notamment de réduction des consommations et des prélèvements (MTECT, MIOM, collectivités territoriales ; 2024) ;
8. développer la tarification progressive de l’eau lorsque les conditions le permettent (MTECT, MIOM, collectivités territoriales) ;
9. fixer des taux planchers aux redevances pour prélèvement d’eau pour les différents usagers et supprimer les exemptions injustifiées (MTECT, ministère de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique ; 2024) ;
10. dans le prochain projet de loi de finances, supprimer le plafonnement du produit des redevances perçues par les agences de l’eau et confier une responsabilité accrue aux comités de bassin dans la répartition de l’effort fiscal des usagers (MTECT, ministère de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique) ;
11. simplifier et harmoniser la nomenclature des tarifs applicables à la redevance pour prélèvement sur la ressource en eau (MTECT, ministère de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, agences de l’eau ; 2025).