Le gouvernement a annoncé une enveloppe supplémentaire de 100 millions d’euros que les agences de l’eau vont distribuer en 2023 pour aider à lutter contre la sécheresse. Mais s’agit-il de nouveaux crédits attribués ou d’une astuce de Bercy pour piocher dans les caisses des agences ?
« Nous augmenterons les moyens des agences de l’eau de 100 millions d’euros dont 40 millions d’euros pour l’agence Rhône-Méditerranée-Corse », a annoncé la Première ministre Elisabeth Borne, le lundi 14 novembre, devant un parterre de maires de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur. Une somme devant permettre de « mettre en place des projets pour prévenir les sécheresses qui vont, malheureusement, se multiplier », a-t-elle ajouté.
Une nouvelle ruse de Bercy ?
Quand on connait la relation particulière entre Bercy et les agences de l’eau, on est en droit de se demander d’où viennent ces 100 millions d’euros, et s’il ne s’agit pas là d’un nouveau coup de Trafalgar de Bercy. On se souvient qu’en 2018 avait été instauré un « plafond mordant » (via une loi de finances) pour empêcher les agences de l’eau de dépasser un seuil de recettes de 2,137 milliards d’euros (le restant tombant sinon dans les caisses de l’Etat). Le budget de ces agences avait également été mobilisé pour financer la baisse du permis de chasse mais aussi le Centre national pour le développement du sport. Enfin, plusieurs ponctions dans la trésorerie des agences avaient été effectuées par l’État avant 2018 (mais pas depuis l’instauration du plafond mordant),
Alors qu’en est-il cette fois-ci ? A l’inverse de ce que laisse entendre la Première ministre, le gouvernement ne va pas accorder de nouveaux crédits aux agences de l’eau. Via un arrêté des leurs deux ministres de tutelle (le ministère de la Transition écologique et celui du Budget), il leur est délivré une attestation à dépenser plus. Car ces agences ont un double plafond : pour les recettes, mais aussi pour les dépenses (sur toute la durée de leurs programmes qui dure 6 ans).
Une trésorerie qui sert à financer des travaux pluriannuels
Pour comprendre cette logique, il faut rappeler que les agences de l’eau établissent une programmation de leurs dépenses (en fonction bien sûr de leurs niveaux de recettes, et en veillant à en dépenser l’intégralité, ce qu’elles arrivent à faire de mieux en mieux ces dernières années). Elles accordent des subventions à une multiplicité d’acteurs – dont les collectivités – qui touchent ces aides dès lors que les dépenses sont engagées.
D’où la nécessité d’avoir une trésorerie qui assure le paiement des sommes engagées. A titre d’exemple, à l’agence de l’eau Rhône-Méditerranée-Corse (RMC), la trésorerie est de 100 millions d’euros sur un budget annuel de 550 millions d’euros, alors que le reste à payer (les subventions attribuées) est d’environ un milliard d’euros. Ce qui laisse penser à cette agence qu’engager 40 M€ ne va pas constituer un problème, d’autant que cette dernière nous confirme qu’elle était demandeuse d’une telle possibilité. Cette agence est d’ailleurs celle qui fera le plus gros effort de financement (40M€ sur un total de 100 M€), car une part importante de ces aides a été fléchée vers les travaux liés aux crues dévastatrices dans la vallée de la Roja.
Des modalités encore à préciser
Pour l’instant, on ne sait pas encore la nature exacte des opérations qui seront financées par cette nouvelle enveloppe. Cela dépendra des règles qui seront fixées par l’État, puis des décisions prises par chaque conseil d’administration (celui de RMC étant prévu pour la mi-décembre). Elisabeth Borne a néanmoins donné quelques pistes, évoquant l’irrigation agricole ou la sécurisation de l’alimentation en eau.
Pour rappel, en juin 2022, les agences de l’eau avaient déjà été autorisées à dépenser 100 millions d’euros supplémentaires pour améliorer la résilience des territoires et des milieux naturels. Et en 2020, suite à la crise du covid, 250 millions d’euros de crédits budgétaires supplémentaires avaient cette fois été attribués par l’État aux six agences.
Une inévitable réforme des redevances
Cette somme de 100 millions d’euros va constituer un plus, mais elle reste encore faible par rapport aux besoins liés au changement climatique. Un travail de fond a été engagé sur les redevances des agences de l’eau (lire notre article sur un récent parlementaire). La question, sur le plan technique, est à l’étude au sein d’un groupe de travail du Conseil national de l’eau, sous la houlette de son vice-président Hervé Paul (1).
Le sujet est sensible – notamment vis-à-vis du monde agricole, pour lequel le principe pollueur payeur n’est toujours pas appliqué – et il imposera un choix politique de la part du gouvernement et un passage au parlement en loi de finances qui risque d’être mouvementé.