739 millions d’enfants vivent (en 2022) dans un état de pénurie d’eau élevée ou extrême. Riccardo Petrella commente un rapport de l’UNICEF publié le 16 novembre à la veille de la COP 28. Tribune parue dans Pressenza.
Selon le dernier rapport de l’UNICEF publié le 16 novembre, Grandir en plein dérèglement climatique, 739 millions d’enfants ont été exposés en 2022 à une pénurie d’eau élevée ou extrêmement élevée. Il y a au monde 2,2 milliards d’enfants (âgés jusqu’à 18 ans) un peu moins qu’un quart de la population mondiale. Une personne est en état de stress hydrique si le rapport entre la demande en eau et la disponibilité d’eau renouvelable (souterraine et de surface) se situe entre 1700 et 1000 m³ par personne par an tous usages confondus. L’état est normal au-dessus de 1700 m³. Au-dessous de 1000 m³ c’est la pénurie d’eau, alors qu’au-dessous de 500 m³ c’est l’absence d’eau, un état de crise grave. Plus particulièrement, 436 millions d’enfants vivent dans des zones marquées par une vulnérabilité hydrique élevée ou extrêmement élevée. L’UNICEF définit la vulnérabilité hydrique à partir d’une mesure composite de niveaux très élevés de pénurie et de faibles niveaux de service d’approvisionnement en eau potable (approvisionnement en eau, services d’assainissement et hygiène).
En outre, le rapport souligne, élargissant la description de la situation à l’ensemble de la population que :
– La majorité des enfants n’ayant toujours pas accès à des services hydriques de base vivent dans des pays à revenu faible et intermédiaire situés en Afrique subsaharienne, en Asie centrale, en Asie du Sud, en Asie de l’Est et en Asie du Sud-Est. C’est dans les pays les moins avancés et les contextes fragiles que la couverture est la plus faible,
– De ce fait, les dernières estimations de l’Organisation Mondiale de la Santé montrent que, près de 400 000 enfants de moins de 5 ans meurent encore chaque année – soit plus de 1 000 par jour – des suites de maladies entièrement évitables provoquées par l’insalubrité de l’eau, la déficience des systèmes d’assainissement et le manque d’hygiène. Petite observation : les bombardements et le siège de Gaza par Israël ces dernières semaines ont provoqué la mort de plus de 4000 enfants et suscité, à très juste titre, l’indignation mondiale. Pourquoi les 400 mille enfants morts par l‘absence et la mauvaise qualité de l’eau ne soulèvent-ils aucune indignation comparable, notamment auprès des dirigeants des pays les plus riches et les plus puissants sur le plan politique, économique et technologique ? L’égoïsme n’explique pas tout :
– 2,2 milliards de personnes demeurent privées d’accès aux services hydriques de base (soit plus de 1 personne sur 4),
– Aucune région n’est en voie d’atteindre d’ici à 2030 les cibles des objectifs de développement durable (ODD) relatives à l’accès universel à des services d’approvisionnement en eau potable gérés en toute sécurité. Afin de réaliser les objectifs mondiaux fixés en 2015 dans le domaine de l’eau à l’horizon 2030, les progrès doivent être multipliés par 6 ! Intenable.
Si l’on ajoute que plus de 3,6 milliards de personnes ne bénéficient d’aucune couverture sanitaire de base et qu’en 2022 plus de 1,3 millions d’enfants de moins de 5 ans sont morts de faim, on ne peut pas suffoquer le cri de révolte devant un tel désastre humain mondial, la négation massive des trois droits humains essentiels pour la vie : le droit à l’eau, le droit à l’alimentation, le droit à la santé !
Le désastre comporte un double constat. D’une part, aucun groupe social dominant, ayant le pouvoir de lutter en faveur des droits humains pour tous dans leur propre pays et au niveau international, n’a voulu adopter – où il en a été empêché – les mesures nécessaires pour assurer à tous le droit à l’eau, à l’alimentation, à la santé. Encore aujourd’hui, même dans le rapport de l’UNICEF en objet, la principale ligne stratégique d’action adoptée est celle de l’atténuation des dégâts liés à un état de vulnérabilité hydrique élevée ou extrême, et non pas la stratégie du changement aux racines du système producteur de la grande vulnérabilité mondiale (et dont la Nature n’est pas la principale responsable). De fait, les priorités de leur agenda « politique » (économique, sociale, technologique, culturelle, agricole, industrielle, éducationnelle…) ont été et restent ailleurs, en dehors des domaines des droits à la vie. Les enfants, notamment, figurent nulle part parmi les sujets prioritaires. Vraisemblablement c’est parce qu’ils ne sont pas des ressources rentables. Bien le contraire, dans l’économie capitaliste de marché dominante, ils sont surtout des coûts importants et les dépenses leur dédiées n’ont qu’un « return on investment » lointain, incertain, douteux. D’autre part, l’avalanche de promesses et d’engagements surtout volontaires, non contraignants et systématiquement non maintenus depuis début des années 90(*), montre la mystification et l’hypocrisie sous-jacentes aux politiques poursuivies par la communauté internationale dominée par le monde occidental. Si bien qu’aujourd’hui, face au régressions réelles de le situation actuelle, notamment par rapport au désastre climatique et aux objectifs de la lutte contre la pauvreté, les Etats et les monde du business et de la finance, toujours plus unis au niveau des valeurs et des objectifs, peuvent ne tenir compte d’aucune critique, d’aucun appel à la raison, à la justice, d’aucune référence aux engagements pris. Ils continuent à aller dans la direction de leurs propres intérêts et du maintien de leur suprématie et domination. Au niveau des guerres « mondiales » (**) en cours en Ukraine et de la destruction de la Palestine, la situation est très claire : les belligérants les plus forts proclament sans réserve qu’ils veulent continuer la guerre jusqu’à la victoire (cas des dirigeants de l’OTAN concernant l’Ukraine, et cela malgré les 500.000 soldats morts à ce jour ! Du délire) et jusqu’à l’extermination de l’ennemi (cas du gouvernement israélien concernant les Palestiniens. De l’absurde). Et cela sans que personne, aucune institution mondiale, aucun pays ou groupe de pays ne soit actuellement en mesure de les arrêter.
A quelques jours de la COP28 sur le changement climatique, l’UNICEF ne peut que présenter des solutions dites « pragmatiques », « acceptables ». Autrement dit, des « palliatifs ». Vraisemblablement, la COP28 ne fera que distribuer quelques « bonnes » miettes ! Le rapport de l’UNICEF est important et très utile car il montre que le roi est nu. Certes, c’est une maigre consolation, mais elle permet d’identifier des pistes d’action prometteuses, au croisement entre l’eau, l’alimentation et la santé, en agissant sur la fonction clé du système dominant, la finance. A cette fin, il est nécessaire que la nébuleuse de la société civile parvienne à coopérer en son sein d’une manière très forte, au-delà des petites et grandes chapelles qui la caractérisent et l’affaiblissent.
(*) Je pense notamment au lancement en 1992 des grandes Conférences des Parties de l’ONU distinctes sur le Changement climatique, sur la Biodiversité, sur la Déforestation…, les trois Grands Sommets de la Terre (1992, 2002, 2012), les trois Décennies internationales de l’Eau (1981-1991, 2005-2015, 2018-2028), le PAM (Programme Alimentaire Mondiale), les 75 Assemblées Mondiales de la Santé annuelles…
(**) Les guerres figurent parmi les principales causes de la vulnérabilité hydrique, alimentaire et sanitaire élevée de la moitié de la population mondiale la plus appauvrie (environ 3,6 milliards de personnes).
Sources