La fronde s’amplifie autour du projet de filtration de l’eau potable souhaité par le Syndicat des eaux d’Île-de-France. Ses opposants se tournent vers le préfet pour en obtenir la suspension. Par Marion Deye.
La pression monte autour de l’appel d’offres géant lancé par le Syndicat des eaux d’Ile-de-France (Sedif) pour renouveler la délégation de service public (DSP) qui doit fournir l’eau potable à 4 millions de franciliens entre 2025 et 2037. Même si un bug technique survenu au printemps a entaché la procédure devant départager les deux entreprises candidates au marché, Suez et Veolia, le Sedif reste droit dans ses bottes. L’organisme, présidé depuis 40 ans par le maire d’Issy-les-Moulineaux André Santini, a annoncé qu’il poursuivait, coûte que coûte, ce marché de 4,3 milliards d’euros. Et qu’il choisirait sur la base des offres reçues, avant le problème informatique. L’affaire est pourtant mal engagée : ainsi que l’a révélé Marianne, Suez a saisi le tribunal administratif de Paris pour casser la procédure. L’audience est prévue ces jours-ci.
En attendant que la justice tranche, le Sedif voit s’ouvrir un autre front : les opposants au projet ont eux aussi lancé leur offensive en se tournant vers le préfet d’Ile-de-France Marc Guillaume. Désigné à la tête de la région en août 2020, l’ancien secrétaire général du gouvernement est également préfet coordonnateur de bassin Seine-Normandie. Le 20 novembre, les dirigeants de l’association Coordination Eau Ile-de-France, qui regroupe des usagers et des collectivités autour de l’eau dans la région, lui ont adressé un courrier lui enjoignant d’exercer le contrôle de légalité de la procédure engagée par le Sedif. La missive a aussi été envoyée aux ministères de l’intérieur et à celui de l’économie. Objectif : obtenir la suspension de l’appel d’offres en raison des multiples ratés qui ont émaillé le marché. “Si ce contrat n’est pas sanctionné avant sa signature, c’est à nouveau la politique du fait accompli qui aura réussi, au mépris non seulement du pouvoir judiciaire, mais encore de l’intérêt des usagers”, font valoir les signataires. L’entité est farouchement opposée au nouveau procédé de filtration que le Sedif veut déployer pour l’occasion. Appelé osmose inverse basse pression (OIBP), il est censé produire une eau sans résidus médicamenteux, microplastiques ni perturbateurs endocriniens, mais sa pertinence environnementale et financière suscite beaucoup d’interrogations. L’association pourrait être bientôt rejointe dans son initiative par des collectivités locales.
Déjà, le 13 novembre, une dizaine de présidents de syndicats des eaux et de régies publiques franciliennes avait exprimé leur opposition à la mise en place d’un tel procédé, qui les toucherait indirectement. Dans un courrier, signé par une dizaine d’entre eux, adressé à Marc Guillaume, ils lui réclamaient un “Grenelle de l’eau en Ile-de-France”. Parmi eux notamment : le président de la régie des eaux de la Seine et de la Bièvre, Fatah Aggoune, celui du syndicat Eau du Sud francilien Michel Bisson, le patron de la régie de la capitale Eau de Paris, Dan Lert, ou encore ceux des régies Eau de Grand Paris Sud, Philippe Rio et d’Est Ensemble, Jean-Claude Oliva. Cette demande d’une concertation à grande échelle sur les enjeux de l’eau en région parisienne avait déjà été formulée avant l’été par les détracteurs du projet. Elle a aussi ressurgi à plusieurs reprises dans le débat public organisé sur le projet du Sedif par la Commission nationale du débat public (CNDP). Après trois mois de débat, l’autorité administrative indépendante, présidée par Marc Papinutti, préconisait elle aussi la tenue d’une telle concertation…