Économiser l’eau des centrales nucléaires?

« On doit adapter nos centrales nucléaires au changement climatique, en engageant un vaste programme d’investissements pour faire des économies d’eau et leur permettre de fonctionner beaucoup plus en circuit fermé. » Noyée au milieu du discours sur le Plan eau d’Emmanuel Macron, le 30 mars à Savines-le-Lac (Hautes-Alpes), cette annonce est passée quasiment inaperçue auprès du grand public. Mais il y a fort à parier que les membres de la direction d’EDF sont tombés de leur chaise en l’entendant, tant le chantier s’annonce titanesque, et sa pertinence, discutable. Article d’Emilie Massemin publié dans Reporterre.

Circuit ouvert, circuit fermé, de quoi s’agit-il ? Les réacteurs nucléaires doivent être refroidis en permanence pour pouvoir fonctionner en toute sûreté. Ils ont donc été construits en bord de mer ou aux abords de fleuves ou de rivières. Les installations en circuit ouvert y pompent une cinquantaine de mètres cubes d’eau par seconde qu’elles rendent intégralement dans le milieu, réchauffés de plusieurs degrés. Celles en circuit fermé captent moins d’eau, 2 m3 par seconde, et la rejettent quasiment à la même température. Mais dans ces dernières, 60 à 65 % de l’eau utilisée part dans l’atmosphère sous forme de vapeur à la sortie de tours aéroréfrigérantes.

Sur les 56 réacteurs en fonctionnement, 30 sont en circuit fermé et 26 en circuit ouvert : les 18 réacteurs de bord de mer, les 4 réacteurs du Tricastin (Drôme), les 2 de Saint-Alban (Isère) et 2 des 4 réacteurs de Bugey (Ain), tous situés en bordure du Rhône.

Pas de vraies économies d’eau

Première bizarrerie dans l’annonce d’Emmanuel Macron : transformer des réacteurs à circuit ouvert en circuit fermé ne permettrait pas à proprement parler d’économiser l’eau. Certes, les réacteurs en circuit fermé pompent beaucoup moins. Mais « avec un refroidissement en circuit ouvert, il n’y a pas de consommation nette d’eau, contrairement au circuit fermé qui implique une consommation nette d’eau puisqu’une partie de la ressource s’évapore », précise Olivier Dubois, directeur adjoint de l’expertise de sûreté à l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN).

À la centrale du Bugey, 2 des 4 réacteurs sont en circuit ouvert. Wikimedia Commons/CC BY-SA 4.0/Chabe01

Cela dit, en période de sécheresse et de canicule, les rejets d’eau chaude et le débit de pompage des circuits ouverts sont particulièrement délétères pour l’environnement. « Les rejets thermiques ont un impact direct sur la faune et la flore, réduisent la concentration en oxygène de l’eau en favorisant l’eutrophisation, et peuvent avoir des effets sur le développement bactérien, rappelle ainsi Julien Collet, directeur général adjoint de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN). Et avec un débit de 50 m3 par seconde, les petits animaux et les larves de poissons se retrouvent aspirés. »

Des normes existent pour limiter ces rejets thermiques. Elles donnent lieu à un dilemme récurrent : soit baisser l’activité des réacteurs, voire l’interrompre, pour les respecter et protéger le cours d’eau, comme cela a été le cas pour la centrale de Saint-Alban une bonne partie de l’été dernier ; soit accorder des dérogations à EDF pour qu’elle puisse outrepasser ces normes et garantir la production, au risque de fragiliser le milieu aquatique.

Lire aussi : Centrales nucléaires : EDF face au défi des canicules

« Passer les réacteurs de Saint-Alban, Tricastin et Bugey de circuits ouverts à des circuits fermés limiterait la chaleur rejetée dans le Rhône et permettrait de résoudre ces problèmes de disponibilité qui commencent à apparaître », estime donc Olivier Dubois. Cette transformation ne serait pas pour autant miraculeuse.

Selon EDF, cité dans le rapport de la Cour des comptes consacré à l’adaptation du parc nucléaire au changement climatique publié en mars dernier, d’autres inconvénients environnementaux risqueraient d’apparaître : consommation d’eau du fleuve par évaporation, rejets de déchets de tartre ou de boues issus des tours aéroréfrigérantes.

Des travaux longs et coûteux

Autre question : cette transformation est-elle possible ? Au Tricastin, la place risque de manquer pour l’implantation d’une énorme tour aéroréfrigérante. « La centrale est entourée d’un côté par d’autres installations nucléaires, de l’autre côté par un canal », rappelle Julien Collet. De manière générale, « ce sont des travaux lourds », poursuit le directeur général adjoint. Olivier Dubois aussi se montre circonspect : « En théorie, c’est possible. Mais ce sont de gros travaux de génie civil qui prendraient entre cinq et dix ans et coûteraient des centaines de millions d’euros. »

D’après les études exploratoires menées par EDF pour la transformation des sites du Bugey, de Saint-Alban et du Tricastin citées dans le rapport de la Cour des comptes, « la faisabilité technique et foncière est très complexe et difficile à mettre en œuvre. Les coûts sont très élevés : un coût d’installation de l’ordre de 500 millions d’euros et des coûts de maintenance significatifs restant à évaluer ». Conclusion de l’électricien : pas de transformation des circuits ouverts en circuits fermés. Ou, à la rigueur, seulement dans l’optique d’un prolongement des réacteurs concernés au-delà de cinquante ans. De fait, l’investissement ne serait pas rentable sans un allongement conséquent de la durée de vie des installations, lequel n’est pas acquis puisqu’il est soumis au feu vert de l’ASN.

D’où une autre interrogation concernant l’annonce d’Emmanuel Macron : a-t-elle été prise après discussion et accord avec EDF ? Rien n’est moins sûr. Interrogée à ce propos, EDF n’a pas répondu à la question de Reporterre, se contentant d’indiquer que « dans le cadre de la poursuite d’exploitation des réacteurs au-delà de cinquante ans, EDF mènera des études en vue d’adapter ces centrales, y compris sur l’usage de l’eau en cohérence avec les annonces du président de la République ».

L’ASN et l’IRSN ont indiqué à Reporterre ne pas avoir entendu parler de ce plan avant le discours d’Emmanuel Macron. Contacté par Reporterre, l’Élysée avait renvoyé au ministère de la Transition écologique le soin de répondre, lequel n’avait toujours pas donné suite à nos sollicitations le 23 avril au soir. Ce qui laisse supposer une énième décision unilatérale du président de la République concernant la relance du nucléaire en France.

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