En attendant l’Autorité de la Concurrence

Pour tenter de conserver vingt ans de plus le Réseau interconnecté du Sud Francilien (RISF), Suez a revu à la baisse sa marge annuelle : 24 millions d’euros au lieu de 32! Une nouvelle proposition rejetée par la régie de l’eau de Grand Paris Sud. La saisine de l’Autorité de la Concurrence semble à présent le seul moyen de clarifier la situation. La décision est prise, le dossier est prêt, le contact est établi, il ne reste plus qu’à effectuer formellement la saisine. L’Autorité de la Concurrence dont la première mission est de lutter contre les ententes et les abus de position dominante, a les moyens d’investiguer sur le fond du dossier. Le fera-t-elle?

Jacky Bortoli, conseiller délégué au Cycle de l’eau de Grand Paris Sud et membre du conseil de surveillance de la régie de l’eau, Pierre Prot  (Modem), Adjoint au maire d’Evry-Courcouronnes, eau – énergie – déchets, Conseiller communautaire Grand Paris Sud délégué à l’énergie et Jean-Pierre Gaillet, représentant d’ATTAC Centre Essonne au Conseil de la régie de l’eau de Grand Paris Sud, répondent à nos questions

Jacky Bortoli, conseiller délégué au Cycle de l’eau de Grand Paris Sud et membre du conseil de surveillance de la régie de l’eau

 
 
Un conseil d’administration du Syndicat mixte Eau du Sud Francilien devait se tenir le 13 septembre  et examiner la proposition de Suez.  Il a été reporté par le Président Michel Bisson, pourquoi?
 
Jacky Bortoli: Il a souhaité faire procéder à la consultation du conseil de la régie de Grand Paris Sud (GPS). Bien lui en a pris, puisque le conseil réuni le 25 septembre a émis un avis défavorable à la proposition de Suez et s’est prononcé pour la saisine de l’Autorité de la Concurrence et, par voie de conséquence, il saisira le conseil d’agglomération de GPS.
 
Sur quoi se fonde le désaccord ?
 
JB: Le prix, le consentement, le maintien du monopole de Suez pendant encore vingt ans. 
 
Pourtant Suez multiplie les pressions pour échapper à la saisine de l’Autorité de la Concurrence et maintenir encore vingt ans son monopole et ses tarifs abusifs… Vous allez accepter ?
 
JB: Tout cela est vrai mais, pour les élus que nous sommes, la question n’est pas seulement financière. Sa nouvelle proposition montre que nous avions raison. Suez passerait de 32 millions d’euros par an de détournement d’argent public à 24 millions, sur la base d’artifices juridiques et financiers, dans le but d’échapper à la mise en concurrence et avec notre consentement.
 
C’est le consentement qui pose problème ?
 
JB: Evidemment, le consentement et le maintien du monopole. Quand on ne sait pas, il y a le bénéfice du doute, comme on dit « on est présumé innocent », mais là, on sait. C’est donc à l’Autorité de la Concurrence de dire si c’est 32, 24 millions d’euros ou zéro. C’est son rôle et Suez doit s’incliner. Quelles que soient les modalités de son intervention, l’Autorité de la Concurrence assure quatre types de missions :
1. lutter contre les ententes et les abus de position dominante ;
2. contrôler les opérations de fusion-acquisition, au gré d’opérations dites de « concentration » ;
3. formuler des avis et émettre des recommandations, selon une activité dite « consultative » ;
4.réguler les professions réglementées du droit.
Les élus n’ont rien a craindre des décisions de l’Autorité de la Concurrence. Elle bénéficie de moyens d’investigations auquel le secret des affaires ne peut être opposé. Nous pourrions lui demander de prendre des mesures conservatoires immédiates sur le prix du m3 et l’exercice du monopole.
 
Encore faut-il qu’elle soit saisie ?
 
JB: La décision de saisine est prise, le Président a mandat, le dossier est fait depuis mars 2019. Michel Bisson, Philippe Rio, la Régie de GPS avec le soutien du Président du Conseil départemental de l’Essonne, aujourd’hui ministre, sont parvenus à faire l’unanimité pour créer le Syndicat mixte Eau du Sud Francilien et pour la réappropriation publique du Réseau intégré du Sud Francilien (RISF), la quasi unanimité pour le rejet de la proposition de Suez et pour la saisine. D’ailleurs Philippe Rio nous a conviés à son rendez-vous le 17 septembre avec l’Autorité de la Concurrence dont nous sommes ressortis confortés.

Pierre Prot (Modem), Adjoint au maire d’Evry-Courcouronnes, eau – énergie – déchets, Conseiller communautaire Grand Paris Sud délégué à l’énergie

 
 
 
 

Pour quels motifs refusez-vous l’offre de Suez ?

Pierre Prot:  L’offre de Suez n’est pas acceptable car selon les analyses qui en sont faites, le prix de vente de l’eau, et celui des ouvrages d’ailleurs, contiennent tous deux une marge excessive qui ne se justifie que par l’absence de concurrence. Nous considérons que cette double marge excessive, sur deux contrats de vente liés, s’apparente à une rente monopolistique illégitime : une rente qui ne peut exister que par la situation de monopole dont Suez bénéficie et abuse. C’est donc une rente illégitime que nous devrions tous refuser, en faisant valoir nos droits.
 

Suez a diminué ses exigences, ce n’est pas suffisant ?

PP: Les marges historiques de Suez étaient fortement excessives par le passé. Cela justifiait d’ailleurs une valeur vénale du très élevée pour le RISF, car un actif qui rapporte beaucoup d’argent vaut très cher… ! Effectivement, il y a une baisse notable entre le prix que Suez a pu vouloir par le passé et la valeur équivalente de son offre actuelle… mais on est encore très loin d’un « prix juste », basé sur des marges « normales » : des marges équivalente à ce qu’on observe couramment dans les délégations de service public avec mise en concurrence des entreprises.
 

Pourquoi saisir l’Autorité de la Concurrence ?

PP: La saisine de l’Autorité de la Concurrence vise à montrer des abus de situation monopolistique de la part de Suez, notamment sur les tarifs, ceux du passé, et ceux actuellement proposés.
 

Qu’attendez-vous de la saisine de l’Autorité de la Concurrence ? 

PP: Nous espérons pouvoir ainsi être en situation de justifier un tarif d’achat d’eau plus raisonnable, au « prix juste », mais aussi de pouvoir estimer une indemnisation possible du préjudice généré par des années d’abus par Suez de notre situation de dépendance économique, en pratiquant des marges confiscatoires. Le but est de parvenir à trouver une manière juste de sortir de la situation monopolistique actuelle, où le citoyen ne serait pas contraint à subir encore ces abus.

Jean-Pierre Gaillet, représentant d’ATTAC Centre Essonne au Conseil de la régie de l’eau de Grand Paris Sud

 
 
 
Pour quels motifs refusez-vous l’offre de Suez ?
 
Jean-Pierre Gaillet: Suez dispose d’une situation de monopole dont il abuse depuis des décennies. Cela lui rapporte indument plusieurs dizaines de millions d’euros par an. Son offre est prévue pour que cette situation perdure pendant 20 ans. Avec tout ce que la multinationale percevrait comme marge indue, plus les indemnités qu’il faudrait lui verser pour devenir propriétaire du RISF, Suez accumulerait encore des centaines de millions d’euros de bonus et verrait toutes ses opération passées validées par le futur acte de vente.
 
Suez a diminué ses exigences. Ce n’est pas suffisant ?
 
JPG: Suez est conscient que sa position est indéfendable il a donc lâché un peu de lest sur les sur-tarifications mais tenté de conservé l’essentiel de sa marge indue. Si le Syndicat Eau du Sud Francilien acceptait ces exigences, il deviendrait, certes propriétaire du RISF, mais seulement dans 20 ans et au prix d’un endettement sur une durée comprise entre 20 et 50 ans selon qu’il accepterait d’augmenter tout de suite le prix de l’eau ou qu’il répercutait la dette sur les générations futures. Le remboursement de cette dette pèserait dans tous les cas sur le prix de l’eau et viendrait s’opposer aux investissements nécessaires pour répondre aux enjeux de l’eau.
 
Pourquoi saisir l’Autorité de la Concurrence ?
 
JPG:  Quand vous avez affaire à un voleur, et que vous êtes civilisés, vous faites appel à un gendarme. L’Autorité de la Concurrence est le gendarme chargé de lutter contre les abus commerciaux tels ceux dont nous sommes victimes. Ne pas faire appel à elle serait faire preuve de complicité avec Suez.
 
Qu’attendez-vous de la saisine de l’Autorité de la Concurrence ?
 
JPG: On attend d’un gendarme qu’il constate le délit, le fasse cesser, désigne le coupable et ses complices, envoie des amendes et constitue le dossier pour le tribunal.
Il me semble légitime d’attendre la même chose de l’Autorité de la Concurrence, « gendarme  » du commerce:
Elle ne pourra que constater les faits : Suez récidive dans le délit d’abus de monopole tel que l’Autorité l’avait déjà constaté en 2005.

Il lui suffira de comparer les prix demandés par Suez avec les coûts de production et les prix constatés sur des marchés équivalents. Si elle précise un prix au delà duquel elle juge qu’il y a abus, Suez devra baisser ses exigences en dessous de ce prix.

Ensuite on peut attendre qu’elle juge la responsabilité des divers acteurs dans cette affaire. Pas seulement la société « Eau du Sud parisien » qui n’est qu’un paravent mis en place par Suez pour tenter de dissimuler ses marges frauduleuses. Mais le groupe Suez et ses actionnaires qui ont encouragé les pratiques délictueuses. L’Autorité établira la responsabilité des autres complices si elle en identifie..

Il est possible qu’elle condamne Suez au maximum des amendes permis par la loi, soit 5% du chiffre d’affaire du groupe Suez ou 450M€ pour 2023. Cela restera néanmoins inférieur aux montants illicites détournés depuis 1970. Mais cela ouvrira au SESF la porte des tribunaux pour récupérer une indemnisation, au moins partielle. Et rendre à César, en l’occurrence aux utilisateurs, ce qui appartient à César.


En échange de la restitution du RISF, Suez peut-elle exiger d’être indemnisée ?

JPG: La question d’une éventuelle indemnisation de Suez ne pourrait se poser qu’après que Suez ait établi qu’elle est bien propriétaire d’au moins une partie du RISF, ce qui suppose qu’il y ait eu des négligences ou des complicités publiques car les règles d’affermage ou de DSP s’opposent à ce qu’un équipement indispensable au service public puisse devenir propriété privée. Ensuite la valeur de ces équipements ne peut être estimée qu’en tenant compte des sur-bénéfices réalisés grâce à eux. Ils sont déjà largement amortis. Une partie des indemnisations reçues par le SESF po
urrait être affectée à indemniser Suez. Un euro symbolique ?

Les temps changent

Le rassemblement devant l’usine de production d’eau potable de Morsang-sur Seine le 20 mars 2022 pour se réapproprier publiquement le réseau interconnecté du Sud francilien.

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